• La Voluspa

    Première ligne : la Thrymskvitha

    Tout comme les Havamal ou les Grimnismal, la Voluspa, ou "prédictions de la voyante", apparaît comme un texte fondamental pour notre connaissance de la cosmogonie et de la religion des anciens scandinaves, même si sa rédaction est probablement postérieure à la christianisation du nord de l'Europe. Il décrit le déroulement des principaux évènements entre la Création et les Ragnarök, c'est à dire le passé et l'avenir du monde et des Puissances. Ce poème n'est pas tout à fait linéaire, et est quelquefois difficile à lire du fait que le texte saute de temps en temps du coq à l'âne (au loup, plutôt...). Mais il renferme des informations remarquablement précises, sur les lieux, les noms et le rôle de chacun.

    Et si les noms des nains vous rappellent quelque chose, c'est normal : JRR Tolkien était un spécialiste des textes médiévaux et lisait couramment le vieux norrois.

     

    When Gjallarhorn will sound. Falkenbach.

    __________________________________ 

     

    La Voluspa

    Les Prédictions de la Voyante


    Traduction de Régis Boyer modifiée à l'aide des versions de deux traductions anonymes et quelques retours au texte original.

     

    1. Silence je réclame de tous les êtres sacrés, humbles et grands,

    Enfants de Heimdall.

    Selon ta volonté, Valfadr1, je proclamerai

    Les antiques traditions des hommes,

    Les plus anciennes dont je me souvienne.

     

    2. Je me rappelle les géants de ces temps primordiaux

     Qui me donnèrent naissance autrefois :

    Je me rappelle les neufs mondes, neuf étendues immenses,

    Et le Glorieux Arbre du Monde

    Profondément planté en terre.

     

    voluspa, edda poétique

    Yggdrasil, par F.W. Heine

     

    3. Au commencement des siècles, quand Ymir s'établit,

    Il n'y avait rien, ni sable, ni mer, ni froides ondes ;

    De terre point n'y avait, ni de ciel au-dessus,

    Seul le vide béant et d'herbe nulle part.

     

    Esquisses

    Ginnungagap, Sigrid Santrom.

     

    4. Et puis les fils de Burr2 haussèrent la terre ferme,

    Eux qui créèrent la Glorieuse Midgard,

    Sol3 brilla du sud sur les dalles de la salle,

    Alors la terre fit croître le vert poireau.

     

    5. Sol du sud, compagne de Mâni4,

     Etendit son bras droit vers le rebord du ciel ;

    Sol ne savait où se trouvait sa demeure,

    Mani ignorait quelle puissance il avait,

    Les étoiles ne connaissaient pas leur place.

     

    voluspa, edda poétique

    Sol et Mani. Frolich.

     

    6. Alors les dieux siégèrent dans la salle du jugement,

    Les divinités suprêmes se consultèrent ;

    A la nuit et à la nouvelle lune, ils donnèrent un nom,

    Ils nommèrent le matin, le midi, la fraîche et la brune,

    Et comptèrent le temps par années.

    7. Les Ases s'assemblèrent dans la plaine d'Idi

    Erigèrent tertres et temples, y placèrent une forge,

    Forgèrent des bijoux, façonnèrent des tenailles,

    Fabriquèrent des outils.


    8. Joyeux, ils jouèrent aux tables dans l'enceinte,

    Rien ne manquait en fait d'or ;

    Jusqu'au jour où vinrent trois jeunes filles géantes

    Toutes puissantes, de Jötunheim.

     

    9. Alors les dieux siégèrent dans la salle du jugement,

    Les divinités suprêmes se consultèrent

    Pour savoir qui donnerait forme au peuple des nains,

    Issu du sang de Brimir et des os de Blain.

    10. Etaient présents Modsognir, devenu le plus grand de tous les nains,

    Et Durinn, le second ; ils façonnèrent un grand nombre

    D'êtres à forme humaine, les nains dans la terre,

    Comme Durinn le prescrivit.

    11. Nýi et Nidi, Nordri et Sudri,

    Austri et Vestri, Althjóf, Dvalinn,

    Nár et Náinn, Níping, Dáinn,

    Bívurr, Bávurr, Bömburr, Nóri,

    Ánn et Ónarr, Ái, Mjódvitnir.



    12. Vigg et Gandalf, Vindalf, Thraínn,

    Thekk et Thórinn, Thrór, Vitr, Litr,

    Nýr et Nýrá ; voici les nains

    Reginn et Rádsvinn- Justement dénombrés.

     

    voluspa, edda poétique

    Les nains de la Voluspa. Frolich.

     

    13. Fíli, Kíli, Fundinn, Nali

    Heptifíli, Hannar, Svíurr,

    Frár, Hornbori ; Fraegr et Lóni,

    Aurvangr, Jari, Eikinskjaldi.

     

    14. Il est temps d'énumérer aux humains

    La lignée des nains de Dvalinn

    Qui de Lofar descend

    Eux qui allèrent à Jöruvellir et à Aurvangar

    Depuis leurs gîtes sous la pierre.

     

    15. S'y trouvaient Draupnir et Dolgthrasir,

    Hár, Haugspori, Hlévang, Glóinn,

    Dóri, Óri, Dúf, Andvari,

    Heptifili, Har, Sviar.

    Skirfir, Virfir, Skáfid, Ái,

     

    16. Alf et Yngvi, Eikinskjaldi,

    Fjalar, Frosti, Finn et Ginnar

    Toujours remonteront, tant que les hommes s'en souviendront,

    Les générations jusqu'à Lofar.

     

    17. Alors trois Ases sortirent de la troupe,

    Puissants et bienveillants : revenant à la demeure des dieux.

    Ils trouvèrent sur la terre, sans force, sans destinée

    Ask5 et Embla6.

     

    18. Ils n'avaient ni souffle, ni sens, ni sang, ni voix,

    Ni couleurs de la vie.

    Odin leur donna l'esprit, Hœnir leur donna le sens,

    Lódur donna le sang et les couleurs de la vie.

     

    voluspa, edda poétique

    Odin, Lodur et Hoenir donnant vie à Askr et Embla. Frolich

     

    19. Je sais que se dresse le frêne qu'on nomme Yggdrasil7,

    L'arbre élevé, aspergé de blanche boue :

    De là vient la rosée tombant dans les vallées,

    Toujours vert, il s'élève au dessus du Puits d'Urdr.

     

    voluspa, edda poétique

     

    20. Là résident les vierges, savantes en maintes choses,

    Trois, issues du lac situé sous l'arbre.

    L'une s'appelle Urdr, l'autre, Verdandi,

    Elles gravaient le bois, et Skuld la troisième.

    Elles édictèrent les lois, elles fixèrent la vie

    Des fils des hommes et la destinée des mortels8.

     

    voluspa, edda poétique

    Les Nornes, Ludwig Burger.

     

    voluspa, edda poétique

    Les nornes aspergeant les racines d'Yggdrasil

     

    21. Elle se rappelle la première guerre du monde

    Lorsqu'ils percèrent Gullveig de lances

    Et la brûlèrent dans la halle de Har

    Trois fois la brûlèrent, trois fois elle naquit à nouveau,

     Brûlée encore, elle vit toujours.

     

    voluspa, edda poétique

    Le bûcher de Gullveig. Frolich.

     

    22. On l'appelait Heidur9, quelque maison qu'elle visitât,

    La Völva, habile prophétesse, maniant aisément la baguette ;

    Elle pratiquait la magie autant qu'elle pouvait,

    Ensorcelait les esprits charmés,

    Par les mauvaises femmes toujours bien accueillie.


    23. Alors les dieux siégèrent dans la salle du jugement,

    Les divinités suprêmes se consultèrent :

    Les Ases paieraient-il le tribut,

    Ou tous les dieux recevraient-il offrande ?

     

    24. Odin jeta sa lance sur le peuple,

    Et ce fut la première bataille du monde ;

    L'enceinte de la forteresse des Ases fut rompue,

    Les Vanes restèrent vainqueurs du champ de bataille.

     

    voluspa, edda poétique

    La première lance.

     

    25. Alors les dieux siégèrent dans la salle du jugement,

     Les divinités suprêmes se consultèrent :

    Qui avait empli l'air de venin

    Et promis aux géants l'épouse d'Odr10 ?

    26. Seul Thor combattit, gonflé de colère

    -Il reste rarement assis quand il apprend de telles choses-

    Rompues furent les promesses, brisés les vœux et les serments,

    Les solennels accords conclus entre eux.


    27. Elle sait aussi que le cor de Heimdall

    Est caché sous l'arbre sacré, familier du ciel clair ;

    Il est éclaboussé par la cascade boueuse du gage de Valfadr.

    En savez-vous d'avantage ? Ou quoi ?

     

    28. Elle était assise dehors, solitaire, quand arriva l'Ancien,

    L'Ase très farouche, et le regarda dans les yeux :

    ''Que me demandes-tu ? Pourquoi me mettre à l'épreuve ?

    Je sais fort bien, Odin, où tu as caché ton œil,

    Dans le puits de Mimir. Mimir boit l'hydromel,

    Chaque matin, dans le gage de Valfadr.''

    En savez-vous davantage ? Ou quoi ?

     

    Esquisses

     Odin et la tête de Mimir

     

    29. Mais le Père des guerriers lui donna anneaux et colliers,

    Lui fit don de sagesse, clairvoyance et art de la magie ;

    Elle voit toujours plus loin dans l'étendue des mondes.

    30. Elle vit les Valkyries arriver de loin,

    Prêtes à chevaucher jusqu'à la maison des dieux,

    Skuld portait le bouclier, Skögull en tenait un autre,

    Suivaient Gunn, Hild, Göndul et Geirskögul;

    Voici énumérées les servantes du Seigneur-des-Armées,

    Prêtes à chevaucher par la plaine, les Valkyries.

     

    voluspa, edda poétique

    Les Valkyries, E. Doepler.

     

    31. Je pus prévoir de Balder, le dieu ensanglanté,

    Le fils d'Odin, la destinée secrète ;

    Poussait, bien au-dessus de la plaine,

    Mince et très beau, le rameau de gui.

     

    32. Fut tiré de cet arbuste d'apparence si grêle

    L'amer et funeste trait que lança Hödr ;

    Né trop tôt, le frèrea de Balder n'avait qu'une nuit

    Lorsque fut tué le fils d'Odin.


    33. Il ne se lava plus les mains, ni ne peigna sa chevelure,

    Tant qu'au bûcher ne fut déposé le meurtrier de Balder ;

    Mais Frigg pleura dans Fensalir le malheur de la Valhöll.

    En savez-vous davantage ? Ou quoi ?

     

    34. Alors Vali sut comment tresser les chaînes de la bataille,

    Les forts et rêches liens faits d'entrailles.

     

    35. Elle vit, enchaîné dans Hveralund,

    Une forme aux traits fourbes semblable à Loki ;

    Là Sigyn est assise auprès de son époux,

    Bien que de son destin elle ne soit pas réjouie.

    En savez-vous davantage ? Ou quoi ?

     

    36. Depuis l'est, un fleuve déverse à travers les vallons venimeux

    Epées et Saxes : son nom est Slidr.

     

    37. Vers le Nord, à Nidavellir, se dressait la halle d'or

    Des enfants de Sindri ; une autre se tenait à Okolnir,

    La halle à bière du lote11voluspa, edda poétique dont le nom est Brimir.

    38. Elle en vit se dresser une autre loin du soleil, à Naströnd,

    Les portes tournées vers le nord ;

    Le poison s'écoule par ses lucarnes,

    Cette halle est charpentée d'échines de serpents.

     

    39. Elle y vit patauger dans d'épais courants

    Les hommes parjures, les loups meurtriers,

    Le suborneur de la femme d'autrui.

    Là Nidhogg suçait les cadavres des défunts,

    Que le loup dépeçait.

    En savez-vous davantage ? Ou quoi ?

     

    voluspa, edda poétique

    Racines d'yggdrasil , Nidhogg et Ratatosk.

     

    40. La vieille était assise à l'orient, dans la Forêt de Fer,

    Et y nourrissait l'engeance de Fenrir ;

    Parmi eux, il y a celui qui détruira le soleil

    Sous la forme d'un monstre.

    41. Il se goinfre des chairs des hommes promis à la mort,

    Empourpre la demeure des dieux de sang rouge ;

    Noir deviendra l'éclat du soleil les étés suivants,

    Epouvantables toutes les tempêtes.

    En savez-vous davantage ? Ou quoi ?

     

    voluspa, edda poétique

    Fenrir

     

    42. Assis là sur une hauteur, jouant de la harpe,

    Se tenait le joyeux Eggther, gardien des sorcières ;

    Non loin de lui, dans la forêt aux oiseaux,

    Chantait un beau coq vermeil du nom de Fjalar.

     

    43. Chez les Ases chante Gullinkambi.

    Il éveille les hommes du Père des Guerriers ;

    Mais un autre chante loin sous terre,

    Un coq rouge de suie, dans les halles de Hel.

    44. Garm aboie rageusement devant Gnipahellir,

    Sa chaîne va se rompre, le Vorace bondira.

    Je connais de nombreux charmes

    Au loin dans l'avenir je vois l'amer destin

    Des dieux de la victoire.

     

    45. Les frères se combattront et s'entretueront,

    Les parents souilleront leur propre descendance ;

    Une rude époque d'adultère universel,

    Temps des haches, temps des épées, des boucliers fendus,

    Temps des tempêtes, temps des loups,

    Avant que ne s'effondre le monde,

    Nul n'aura pitié de son prochain.

     

    46. Les fils de Mimir s'agitent, mais le destin s'embrase

    Dans l'explosion sonore de Gjallarhorn.

    Heimdall souffle fort, cor dressé ;

    Odin interroge la tête de Mimir.

     

    voluspa, edda poétique

    Heimdall souffle du cor

     

    47. Yggdrasil frissonne, le frêne vertical,

    Le vieux tronc gémit, le lote se libère ;

    Tous tremblent sur la route de Hel

    Avant que le parent de Surt ne consume l'arbre.

     

    48. Qu'en est-il des Ases ? Qu'en est-il des Alfes ?

    Tout Jötunheim résonne, les Ases tiennent conseil ;

    Les nains grommellent devant leurs portes de pierre,

    Les maîtres des falaises.

    En savez-vous davantage, ou quoi ?

     

    49. Garm aboie rageusement devant Gnipahellir,

    Sa chaîne va se rompre, le Vorace bondira.

    Je connais de nombreux charmes

    Au loin dans l'avenir je vois l'amer destin

    Des dieux de la victoire

     

    voluspa, edda poétique

    Garm et Hel. Johannes Gehrts

     

    50. Hrym vient de l'orient, tenant haut son bouclier,

    Jormungand se tord, pris de la fureur des géants ;

    Le Serpent hérisse les vagues, l'aigle glatit,

    Nidfölr déchiquète les cadavres, Naglfari est libéré.

     

    51. Le bateau vient de l'orient, amenant de la mer

    La progéniture de Muspell, Loki à la barre.

    Les enfants des monstres, alliés du Loup, voyagent,

    A leur tête s'avance le frère de Byleist.

     

    52. Surtur vient du sud avec la mort des branches,

    Le soleil luit de l'épée de Hel ;

    Les falaises s'écroulent, les monstres s'agitent,

    Les hommes foulent le chemin de Hel

    Et le ciel se lézarde.

     

    Esquisses

    Surt

     

    53. Un nouveau malheur fond sur Hlin

    Quand Odin s'avance contre le Loup12,

     Tandis que le brillant vainqueur de Beli fait face à Surtur.

    Alors périt le bien-aimé de Frigg.

    54. Garm aboie rageusement devant Gnipahellir,

    Sa chaîne va se rompre, le Vorace bondira.

    Je connais de nombreux charmes

    Au loin dans l'avenir je vois l'amer destin

    Des dieux de la victoire.

     

    55. A présent arrive le vaillant fils de Sigfödr,

    Vidar, pour tuer le charognard ;

    Il laisse dans la gueule du rejeton de Hverdrung

    L'acier plongé jusqu'au cœur.

    Ainsi, le père est vengé.

     

    voluspa, edda poétique

    Vidar et Fenrir

     

    55b. Gueule ouverte dans l'air, la ceinture du monde13,

     Le ver des hauteurs ouvre ses effrayantes mâchoires.

    Le fils d'Óðinn rencontrera le poison,

    Il tuera le monstre.

     

    voluspa, edda poétique

    Thor et Jormungand. Frohlich

     

    56. A présent arrive le glorieux fils de Hlodyn,

    Le fils d'Odin va combattre le serpent,

    En colère, le Gardien de Midgard l'occit ;

    Tous les hommes désertent leurs demeures ;

    Sans craindre la honte, le fils de Fjorgyn, agonisant,

    Recule de neuf pas devant la vipère.

     

    voluspa, edda poétique

     La mort de Thor. Frolich.

     

    57. Le soleil s'assombrit, la terre s'affaisse dans l'océan,

    Les brillantes étoiles vacillent dans le ciel ;

    Les fumées tourbillonnent, les flammes ronflent,

    L'immense incendie joue jusqu'au ciel.

     

    58. Garm aboie rageusement devant Gnipahellir,

    Sa chaîne va se rompre, le Vorace bondira.

    Je connais de nombreux charmes

    Au loin dans l'avenir je vois l'amer destin

    Des dieux de la victoire.

     

    voluspa, edda poétique

    Les Ragnarök

     

    59. Elle voit une seconde fois une terre

    Pour toujours verte émerger de l'onde ;

    Y courent des cascades, et au-dessus plane l'aigle

    Qui depuis les falaises pourchasse les poissons.

    60. Les Ases se rassemblent sur les plaines d'Idi,

    Parlent du puissant serpent,

    Se rappellent les grands événements

    Et les antiques runes de Fimbultyr14.

    61. Là, ils vont retrouver dans l'herbe verte

    Les merveilleuses tables d'or

    Qu'autrefois possédaient les peuples.

     

    62. Les champs non ensemencés porteront récoltes,

    Tous maux disparaîtront, Balder reviendra,

    Lui et Hodr résideront dans la halle de la victoire de Hroptr,

    Seigneur du séjour des morts.

    En savez-vous davantage ? - ou quoi ?

     

    63. Hœnir sait comment choisir la baguette du destin,

    Et les fils des deux frères bâtissent leur demeure

    Dans le vaste séjour des vents.

    En savez-vous davantage ? - ou quoi ?

     

    64. Elle voit se dresser une halle plus brillante que le soleil

    Couverte d'or, à Gimlé :

    Ici, à jamais, habiteront dans la joie les peuples fidèles,

    Et pour l'éternité jouiront du bonheur.

    65. Alors en chevauchant arrive d'en haut

    Pour le dernier jugement,

    Le puissant, le magnifique

    Celui qui tout gouverne.

     

    Tables des Matières

    Après Ragnarök. E. Doepler

     

    1 Odin,
     2 Et de Bestla, géants : Odin, Vili et Vé,
     3 La soleil, 
     4 Le lune, 
     5 Frêne, 
     6 Orme,
     7 Monture d'Ygg = monture d'Odin, 
     8 Ce sont les Nornes, 
     9 La Brillante, autre nom de Gullveig, sujet de dissension entre Vanes et Ases et cause de la guerre des dieux.,
     10  Freya,
     11 géant,
     12 Fenrir,
     13 Jormungand,
     14 Odin
    a Vali

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             Première ligne : la Thrymskvitha


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  • Commentaires

    1
    Jeudi 24 Octobre 2013 à 14:36

    Une question : Ragnärok est donc un pluriel ? Mais dans ce cas quelle en est la traduction ? Ne parle-t-on pas habituellement du Crépuscule des dieux ? Bon au total cela fait trois questions...

    2
    Jeudi 24 Octobre 2013 à 18:53

    Ragnarök peut être pris au singulier comme au pluriel. J'ai fait le choix de le mettre au pluriel parce que ragna est un pluriel (génitif pluriel de regin, dieu ou puissance, voir une table des déclinaisons sur cette page), et que le rök, qui signifie consommation du (des) destin (s), ou destin(s) tout court, est plutôt variable en fonction du "regin" considéré : ceux qui survivent, ceux qui ne survivent pas, celui qui ressuscite... Et aussi, ne nous le cachons pas, parce que R. Boyer, bien plus calé que moi en la matière, le met au pluriel. Quant à la traduction... J'aime bien le Crépuscule, du crépuscule des dieux, à cause de l'ambivalence du mot : matin ou soir ? Les Ragnarök ne sont en effet pas qu'une fin, mais aussi un commencement. Par contre, dieu me gêne un peu plus, en ce sens que dans les textes, il est (rarement) fait mention de "puissances" qui ne sont peut-être pas tout à fait équivalentes aux dieux, des sortes de supérieurs hiérarchiques ? Dans l'Alvissmal, par exemple, où les kenningar sont rares, peut-être pour ne pas faire d'ombre aux heiti, sont mentionnés godum (souvent comme synonyme d'asir), asir, vanir et ginnregin (augustes puissances). In petto, je traduis donc pour le moment Ragnarök par "consommation des destins des puissances". Modérément poétique, plutôt évasif, j'en conviens, et tout à fait personnel.

    PS : Je suis passée chez vous, assez rapidement pour le moment, mais j'y reviendrai. Certaines nouvelles sont très originales, et j'ai pleinement apprécié vos figurines (j'ai fait pas mal de peinture de 25 mm et de bricolage au milliput avant de ne plus avoir le temps...). A bientôt.

    3
    Jeudi 24 Octobre 2013 à 20:12

    J'aime beaucoup cette idée de "puissances". Cela donne une vue plus "chamanique" (je mets le mot entre guillemet à cause de sa sur-utilisation à toutes les sauces), disons plus totémique de la religion scandinave, qui va à l'encontre d'une vue trop classique d'une religion établie, hiérarchisée, institutionalisée comme pouvait l'être devenue par exemple le paganisme officiel romain à l'époque impériale. En tous cas c'est un mot qui renouvelle ma vision des choses.

    Je ne suis pas spécialiste de la chose, aussi pour le moment des termes tels que heiti, ou kenningar sont nouveaux pour moi. Par contre j'imagine que godum a dû donner le mot god en anglais, mais est-ce que par hasard le mot regin, ragna pourrait avoir un rapport avec le rex latin, et le terme équivalent (roi) germanique, je crois reik ou quelque chose se rapprochant (qui a donné reich, royaume en allemand moderne) ?

    Il reste vrai que "Crépuscule des dieux" est une formule poétique qui garde tout son charme.

    Le PS me fait bien plaisir. Quant à peindre des figurines, rassurez-vous je n'en ai plus trouvé non plus l'occasion depuis quelques années (et tous ces pots d'acrylique multicolores qui ont lamentablement séché à jeter dans la première poubelle venue...).

    4
    Dimanche 27 Octobre 2013 à 23:05

    Totémique, c'est cela, et je pense qu'on peut enlever les guillemets à chamanique sans galvauder le terme, au moins pour la partie la plus ancienne de l'histoire de cette civilisation, car il existe des passerelles avec le chamanisme, notamment finn, si on en croit les travaux d'Yves Kodratoff ("les runes, des faits, des légendes et leur magie") et la conception de la magie pour les nordiques (si vous voulez, un résumé ici sur quelques données de base en la matière). Cette religion n'avait en effet rien de hiérarchisé, chacun, en quelque sorte, était responsable et acteur de ses propres relations avec les divinités, même si des cérémonies collectives avaient lieu.

    Heiti signifie synonyme, et kenning périphrase. Utiliser des termes de substitution, ce qui a probablement une origine en relation avec des croyances et des interdits anciens, est une constante en poésie nordique, et leur étude est l'objet du Skaldskaparmal de Snorri.

    Et en effet, godum, god, gott sont le même mot, regin et rex de même : racine indo-européenne *reg, le chef, qu'on trouve également dans rajah, et dans Reich et roi. Il peut y avoir eu équivalence entre les deux termes (godum et regin), mais je n'en suis pas sûre. D'autant que comme chez les Germains, pas mal de lieux ou d'éléments recélaient leur puissance propre, qui a été symbolisée par des créatures diverses ou des entités dont on ne sait pas grand-chose, comme les Alfars (les elfes du folklore).

    Bonne soirée.

    5
    Mercredi 30 Octobre 2013 à 11:23

    (en espérant ne pas alourdir les commentaires, mais il y aurait tant de choses à dire!)

    Si je connaissais le rapport "rex" et le mot celtique "ri", je ne m'étais jamais rendu compte du rapport avec le raja ! Effectivement cela coule de source. Comme la notion de roi a fini par prendre un décalage suivant le degré de complexité atteint par chaque culture (les Romains parlent souvent de roitelets pour les chefs de tribus germaniques, car comment les comparer à un monarque administrant un Etat beaucoup plus vaste, comme on en trouvait par exemple en Orient ?), on a peut-être dû peu à peu assister à une évolution sémantique du sens du mot "dieu", d'une sorte de puissance tutélaire, de génie jusqu'à un concept bien plus étendu.

    Il n'empêche que le concept de roi dans les mondes barbares occidentaux antiques (moi aussi j'emploie des kenning mais qui n'ont rien de poétique ou en rapport avec un tabou sacré quelconque...) semble être différent de celui, par exemple de chef de guerre. Même si ce dernier peut et même doit avoir un certain charisme (si je ne dis pas de bêtise lié au mot heil, heilig qui a donné holy, et qu'on a interprété par le mot saint) qui doit le garantir comme toujours victorieux (on retrouve peut-être un peu ce concept chez les successeurs hellénistiques d'Alexandre le Grand, avec la "Fortuna"), il n'en demeure pas moins que le roi a une dimension autrement sacrée, en lien avec un autre monde, plus proche de celle d'un prêtre (ou d'un chamane...).

    C'est là peut-être un pont entre les mots regin et godum ?

    (j'écris depuis une tablette tactile, et je dois m'excuser pour la forme voire l'orthographe, le correcteur automatique me joue souvent, et même sans arrêt, des tours au point que je passe mon temps à corriger ses "corrections". Voilà en souhaitant ne pas trop m'égarer dans des digressions...)

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    Mercredi 6 Novembre 2013 à 19:00

    Il n'est pas question d'alourdir les commentaires. Vous m'avez fait un jour une réflexion que j'ai trouvé curieuse, au sujet de ce travail que je faisais "sans contrepartie". Si vos commentaires ne sont pas une contrepartie, alors qu'est-ce que c'est ? J'apprécie beaucoup, et j'apprends, aussi, parce que les disciplines comparées sont les plus complexes, et les plus intéressantes, et que vous me poussez à réfléchir. Digressez, digressez...

    Je crois que la version latine du mot roi et sa version germanique sont différentes. Les scandinaves n'appelaient jamais leurs roi reginar, mais konungar (König, king), et certains de leurs chefs vikings "Saekonungar", rois de mer. Cette différence peut être due au mode de fonctionnement politico-religieux de ces deux cultures, en effet. La légitimité des rois nordiques, si elle était fondée sur le sang, sur le sol, et sur le Destin (jolie convergence indo-européaniste avec la "Fortuna"), ne relevait pas d'un "droit divin" ou d'une fonction cultuelle centrale autre que celle de bouc émissaire en cas de mauvaises récoltes, à part l'intervention du Borgne, inconstant dans ses décisions, qui aidait à acquérir le pouvoir sur le champ de bataille. Même si l'Heimskringla cherche à faire descendre les rois de Norvège d'Yngvi Freyr, n'importe quel chef de quelque importance pouvait se déclarer roi, pour peu que ses hommes en soient d'accord, d'où probablement le mépris des romains. A Rome, le roi était pontife (encore un pont entre exercice du pouvoir et fonction sacrée), et les gouvernants ont conservé ce titre pendant la République, puis l'Empire, pas en Scandinavie. Et être "helgi", sacré, ne prédestinait pas à un destin victorieux en relation avec le pouvoir, mais à un destin exceptionnel conféré par les dieux, comme le héros Helgi des quatre Helgakvitha (dont une perdue), qui malgré ses exploits ne finit pas au sommet du pouvoir, mais à celui de la gloire. Une affinité entre regin et godum, oui, entre roi et dieu, oui, mais bien moins affirmée entre konung et godum ou konung et regin, les deux pouvoirs ayant probablement été séparés sur le plan politique et par suite sémantique assez tôt dans l'histoire scandinave médiévale. Mais là, je manque de textes pour asseoir mes dires, à part l'Ynglinga saga, dans laquelle le premier roi légendaire en Scandinavie est Odin, le deuxième, Njord, et le suivant, Yngvi Freyr. Ensuite, on assiste à une véritable dilution du caractère sacré de la souveraineté. Amusant, le sens que prennent les mots en fonction des peuples qui les utilisent. 

    Et vous avez une orthographe remarquable (c'était une session spéciale "compliments").

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    Vendredi 8 Novembre 2013 à 18:26

    Ô douce (mais dangereuse) incitation à la digression !

    A votre tour, prenez du temps, prenez du temps car cela fait plaisir de lire ensuite le résultat. Moi-même j'ai préféré attendre pour ce thème-ci.

    Belle définition d'une "contrepartie", c'est ce qui fait que je préfère découvrir les choses par le biais de Songerune plutôt qu'au fil d'articles sur Wiki : on peut commenter, parler et rebondir, d'autant mieux si la digression y est encouragée !

     

    Je ne pense pas qu'il y ait eu mépris de la part des Romains pour les rois tribaux germaniques (les légions se sont pris plus d'une fois la pâté et pas mal de "subsides" leur ont souvent été versés pour en avoir la paix). Simplement peut-être la traduction française de roitelet n'est-elle pas forcément la plus adaptée. Si je ne me trompe pas, le terme latin utilisé doit être regulus, qui est réducteur au niveau de l'échelle (roi d'un petit Etat) mais pas péjoratif à première vue.

    (Je ne suis pas latiniste non plus, j'utilise divers Zoega, il m'a même fallu m'intéresser aux langues éthiopiennes à un moment donné, mais juste histoire de ne pas affirmer un truc trop à tord et à travers.)

     

    Votre précision est intéressante concernant le roi scandinave. Car dans le monde ancien germanique, pour autant qu'on a pu le reconstituer (et que je m'en souvienne précisément ce qui est une autre paire de manche...), il semblerait y avoir existé une (possible) concurrence entre le "roi" (quel mot précisément à l'origine de cette traduction ?) de la "tribu", plutôt garant d'une certaine stabilité, sagesse et ancienneté, et divers "chefs de guerre", ou de raid disons plutôt, capable de rassembler autour d'eux les jeunes amenés à l'aduler au point de se sacrifier pour lui, et probablement au mépris des règles de la société dont ils provenaient pourtant. Un chef dont l'activité repose sur la force et le charisme, et non un choix ou une souveraineté sacrée.

    Ce comportement (tiré des observations de l'historien romain Tacite) a été rapproché des Fianna irlandais, qui formaient une sorte d'élite guerrière indépendante des Etats établis et des "rois" légitimes et s'opposaient parfois violemment à eux (par exemple pour aller leur piquer du bétail).

    C'est ainsi que j'entendais l'idée du "heil" (donc si je comprends bien helgi pour les scandinaves)... Une sorte de charisme comme il existe autour d'un Jack Sparrow quand il s'agit d'aller chercher un trésor aux Caraïbes, avec toutefois quelque chose de plus.

    Est-ce que par hasard Monsieur Helgi aurait été suivi dans ses aventures par d'autres guerriers prêts à se sacrifier pour lui ? Il y a apparemment le même thème dans Beowulf (voyez ce court et excellent article sur le sujet).

    En tout cas son personnage me fait penser à un autre (super?) Héros célèbre, Hercule. Mais c'est encore une autre digression folledingue.

     

    Les jeunes guerriers qui partent en raid pourraient-ils avoir un rapport lointain avec une pratique plus ancienne, sans doute liée au fonctionnement d'une société mi-sédentaire mi-nomade, celle du "Ver sacrum" terme et rite latin éclairant un phénomène...gaulois : l'envoi par le roi de certaines "classes" de génération, lorsque le territoire est en passe de connaître la surpopulation dans des directions décidées par le sort...sous la direction de nouveaux chefs menant lesdites migrations (qui ne sont donc pas vraiment -ou encore- des rois). Ce fut le cas de Bellovèse et Ségovèse neveux du roi des Bituriges Ambigat -là aussi y aurait à dire concernant la relation oncle à neveu des peuples germano-celtiques, voir par exemple le fosterage, ou encore les joyeuses querelles d'héritage mérovingiennes à ce sujet.

    On est en plein dans des traditions indo-européennes partagées, probablement depuis les premières époques agricoles... (et moi il faudrait que je me calme à vouloir résumer en un seul commentaire un million d'idées jetées toutes à la fois en même temps).

     

    La relation fertilité de la terre et roi se retrouve au moins chez les rois irlandais. Le roi à Rome est un sujet...délicat puisqu'il a été officiellement rejetté par la République mais ses pouvoirs sacrés ont été distribués entre différents magistrats et collèges de prêtres (comme à Athènes d'ailleurs). Mais il est vrai que le titre de Pontife a perduré (et perdure toujours...). Bon j'arrête ou on va remonter au Big Men des tribus du Pacifique...

     

    Ouf ! Tout ça pour dire que derrière un mot se cache bien des notions, oubliées ou endormies. Et non je ne suis pas très bière, même scandinave et je n'ai pas abusé de quoi que ce soit pour écrire ceci, sauf peut-être un peu de caféine.

    En vous remerciant de votre attention si vous ne vous êtes pas endormie entretemps ; )

     

    PS : je recommande L'Europe des Barbares de Karol MODZELEWSKI, une étude comparative énorme entre Slaves et Germains du Haut Moyen-Age, très très intéressante pour prendre conscience de tas de particularités sociales, juridiques et des constructions "tribales" de ces peuples. Très indigeste parfois aussi, car demande à s'ouvrir sur un tas de cultures et une Histoire méconnues. Je ne l'ai d'ailleurs encore jamais achevé, mais j'y reviens de temps en temps au besoin. Je suis sûr que vous y trouveriez pas mal d'éclairage concernant les pratiques de justice claniques, les liens sociaux axés sur le groupe, etc.

     

    Bien à vous, le Loup.

    8
    Lundi 11 Novembre 2013 à 18:46

    Bonsoir Loup Blanc (j'étais en déplacement, et puis il y a du matériel dans vos interventions...)

    Il n'est pas certain en effet que Tacite ait éprouvé du mépris pour les germains, même s'il a forcément interprété ce qu'il voyait à la lumière de ses propres déterminants culturels. En tout cas, moins de mépris que n'en éprouvaient ses contemporains qui n'étaient pas allé voir, et il a exalté de ces peuples les vertus qui lui semblaient manquer à la Rome de l'époque (genre courage, hospitalité et morale sexuelle). Et César non plus n'a pas fait preuve de mépris, mais plus pour des raisons de politique intérieure (l'ennemi était puissant mais nous l'avons vaincu etc...). Les deux ont fait oeuvre d'historiens et d'ethnographes. Que Rome ait versé des rançons pour avoir la paix était précurseur de ce qui allait se passer par la suite en Europe occidentale avec les Scandinaves : le Danegeld, devenu une institution fiscale en Angleterre sous la domination danoise (surtout après Knut II), et à un moindre degré en France, sous les deux Charles III, le Gros d'abord puis le Simple (avec Hrolf Ganger le Norvégien, dit Rollon, duc de Normandie, qui s'était fait virer par Harald à la Belle chevelure pour actes de piraterie in situ...). En parlant d'Harald Ier, il fut le premier vrai roi de Norvège (Toute ? Toute !), ayant vaincu tous les autres rois locaux (872). Le premier roi "sacré" religieusement fut dans ce pays Magnus V Erlingsson, moitié du XIIème, beaucoup pour asseoir son pouvoir : son père n'était pas de sang royal, il lui manquait donc une partie de sa légitimité. L'unification de la Suède eut lieu à la même époque ( s'il m'en souvient bien, après Birger et Valdemar), "rois" et "jarls" (comtes, mais la traduction est impropre) gouvernant auparavant à tour de rôle des régions plus ou moins étendues, en toute légitimité guerrière et pécuniaire et sans l'aide des ou du dieu. En résumé, il n'était même pas nécessaire d'être roi pour en exercer les pouvoirs et en avoir les prérogatives. Chez les Scandinaves, le caractère particulièrement sacré du roi a été instauré après la christianisation. Avant, tout homme était sacré. Ou en somme, chacun était sacré, et aucun plus que les autres, sauf les hors-la loi qui ne l'étaient plus. Petite digression par rapport à la légitimité sacrée du roi.

    Il n'y avait pas à proprement parler, pour autant que je sache, de rivalité entre chefs de raids (vikings) et rois. Ou plutôt, c'était une coutume bien établie que les hommes partent faire des raids à la belle saison, après les récoltes, pour "afla sér fjár", acquérir des richesses (et une réputation, si possible !), parfois en indépendants, parfois pour le compte de leur jarl, parfois pour le compte de leur roi, ou même avec lui : Harald l'Impitoyable fut un viking de la plus belle eau. Il y avait partage du butin, le bien était collectif et à la charge du chef  (jarl, roi...). Ils partaient aussi bien piller la région d'à côté, surtout au début de la constitution de ces sociétés, qu'à l'étranger, quand le phénomène a pris de l'ampleur. Dans les premiers temps, le raid pouvait avoir une fonction politique : récompenser les hommes qui se battaient aux côtés de leur chef pour la conquête du pouvoir, d'où, certainement, l'attachement profond à l'idée que le chef ou le roi devait être un homme généreux. A partir du moment où un chef remplissait ses obligations (ie donner des richesses) et se montrait brave au combat, ceux qui le suivaient auraient été deshonorés de se montrer moins courageux que lui. Car il y avait deux valeurs majeures dans cette société : la richesse et la réputation, cette dernière pouvant être très bonne, de préférence, ou très mauvaise, seule la médiocrité était déjugée. Je n'insiste pas sur la nécessité pour un chef d'être généreux, c'est patent dans l'article sur Beowulf, et récurrent dans les kenningar qui désignent les rois et les qualités quasi-hagiographiques, parfois, dont Snorri pare les rois de Norvège. Les ladres qui avaient les moyens étaient vraiment les vilains petits canards, la générosité était toujours reconnue et exaltée comme une vertu majeure. 

    Par exemple, un extrait du  Bjarkamal : "Le roi le plus généreux en cadeaux / Enrichit ses gardes du corps / Avec le travail de Fenja, / Avec la litière de Fafnir, / Avec les aiguilles brillantes de Glasir, / Avec le fardeau du loyal Grani, / Avec les gouttes du cher Draupnir, / Au bas du Grafvitnir. / Le libéral seigneur donna, / Les héros acceptèrent, / Les longues tresses de Sif, / La glace de l'arc de force, / La rançon forcée d'Otter / Les larmes de Mardöll, / Les flammes du feu d'Orun, / Les beaux discours d'Idi / Qui réjouissent le guerrier." Que d'or, que d'or (et quelques grammes d'argent, la glace).

    Pour ce qui était de donner leur vie, certes, les guerriers le faisaient mais pas parce qu'ils adulaient leur patron comme un héros ou une divinité, quoiqu'ils aient pu avoir de l'affection et de l'admiration pour leurs chefs. Cette affection ou cette admiration se manifestaient plutôt lorsqu'il s'agissait de lui rendre hommage après sa mort. Il y avait à la base un échange de bons procédés, or contre service, don contre don. Avec un fond culturel commun, les scandinaves étaient probablement plus pragmatiques que les germains. L'échange était renforcé par le sens de l'honneur, in fine peut-être plus important que la richesse, d'après les Havamal : "Meurent les biens, meurent les parents, / Et toi, tu mourras de même; / Mais la réputation ne meurt jamais, / Celle que bonne l'on s'est acquise. / Meurent les biens, meurent les parents / Et toi, tu mourras de même; / Mais je sais une chose qui jamais ne meurt : / Le jugement porté sur chaque mort." J'ai l'impression que la loyauté gratuite était plus destinée à la famille, unité sacrée pour le coup. Les empereurs de Byzance/Constantinople/Miklagard jouèrent de cette loyauté à louer, et celle de la garde varègue était à toute épreuve, sauf trahison de l'employeur (défaut de paiement ou autre). En Islande, cette loyauté au "chef" a pris une autre forme, vu que le pays est resté sans roi depuis sa constitution (930) jusqu'à son annexion par la Norvège (1262) : les chefs assumaient les fonctions de "godi". Qui vient bien sûr de godum. Et qui m'embête bien parce que les godar n'avaient pas vraiment de fonction religieuse, mais surtout une fonction légale. Pour les scandinaves, cependant, si je peux me permettre un raccourci, Loi = Religion. Dans la ploutocratie parlementaire qu'était alors l'Islande, dépourvue de pouvoir central et d'exécutif, les godar représentaient leurs hommes (regroupés en godord, sortes de collectivités territoriales, concédables et héritables !) de leur mieux lors des sessions du Thing, et les défendaient dans leurs affaires légales. En échange, ces derniers assuraient l'exécution des sentences obtenues par leurs godar, et les défendaient dans leurs affaires guerrières. C'était service contre service.

    Les fianna irlandais m'ont fait penser aux "Vikings de Jomsborg"(et aussi au fait que j'ai depuis longtemps un article en cours sur les "vikings", qu'il faudrait que je finisse...), qui étaient une bande très nombreuse et puissante, sévissant en général en mer Baltique, pratiquant occasionnellement le mercenariat pour un roi ou un autre en fonction des alliances du moment et des fonds disponibles. Ainsi qu'aux vikings qui bien avant, à l'époque de Hrolf Kraki  (VIème siècle) avaient déjà mauvaise presse au pays quand ils n'étaient pas contrôlés. Ces bandes étaient combattues ou utilisées par les rois, et plus le pouvoir a été centralisé, plus elles sont devenues indésirables quand elles sévissaient dans le royaume (cf supra, Rollon). Mais elles n'ont pas cherché à s'emparer du pouvoir, comme ont tenté de le faire des groupes de révoltés, les Birkebeins, au XIIème sous le règne de Magnus V, en prenant pour chefs des prétendants au trône plus légitimes que lui par le sang .

    Les Helgi... Le premier, fils de Hjorthvar, roi, fut donc roi, mais ce n'est pas par là qu'il connut la gloire. Son principal compagnon de route fut Atli, rusé, dont il n'a jamais été dit qu'il était prêt à se sacrifier pour quiconque, mais ils étaient suivis par nombre de bateaux et d'hommes. Cet Helgi était l'époux de Svava, Valkyrie, et fut tué par son propre frère, qui avait juré de l'épouser lui-même, en combat singulier. Le deuxième aurait été le demi-frère de Sigurd Fafnisbani (le Siegfried de Wagner), et est connu pour avoir tué Hunding, un roi puissant dont le fils Hothbrodd prétendait épouser Sigrun, Valkyrie dont Helgi était épris. Celui-ci était aidé par Sinfjotli, un autre demi-frère de Sigurd, et disposait de la flotte et des troupes très nombreuses des Volsungs, mais fut tué plus tard par Dag, fils de Hunding, avec la lance d'Odin (marqué par le destin). Et du troisième, Helgi Haddingjaskati («seigneur des Haddingjar»), qui n'était pas un miséreux non plus, on ne sait pas grand-chose, sinon qu'il avait aussi sa Valkyrie attitrée, Kára. Les deux premiers ont un indéniable charisme, et un courage et un sens du destin démesurés (inversement proportionnel à leur sens de l'humour, assumé par le compagnon de route). Aucun des Helgi n'avait à conquérir le pouvoir, ils en disposaient d'entrée. Ils ont en commun leur Valkyrie (image du destin s'il en fut), leur fin, en combat d'homme à homme, et leur compagnon, presque un égal, qui s'il était prêt à combattre à leur côté ne l'était pas à mourir pour eux, mais avec eux pour leur propre gloire, ce qui ne s'est fait dans aucun des deux cas. Je vois plus de proximité entre Hercule et Thor (origine divine, attributs, voyages, quêtes initiatiques à répétition...) qu'entre Hercule et les Helgi ou Sigurd, qui fondamentalement sont des héros humains "marqués" et dont je pense que la fonction première était d'accepter leur destin avec dignité, même s'ils en étaient informés à l'avance, comme Sigurd, car il n'y a guère de suspense dans la Volsunga saga. A noter enfin que les Helgi auraient été les réincarnations les uns des autres, mais que ce serait le seul exemple de métempsychose dans la littérature norse, et que cette assertion est tardive, due aux clercs qui ont mis les poèmes par écrit.

    La communauté des coutumes qui voulait que les jeunes hommes partent (campagnes de chasse, chercher des femmes...) est certainement très ancienne, mais chez les Norses, elle n'était pas liée à mon avis à une question de surpopulation, et en général, ils revenaient s'établir au pays. Peut-être en raison du fait que la Scandinavie est passée très tard au néolithique, avec le recouvrement du peuplement initial de Sames, semi-nomades cueilleurs chasseurs, par des peuples germains, vers - 1500. En fait, l'ethnogenèse était déjà achevée quand les germains sont arrivés, avec leur agriculture, leur élevage, et leur mode de vie sédentaire. On ne sait pas grand-chose de ce qui s'est passé là-haut entre -1500 et 600, à part des luttes intestines pour le pouvoir, des contacts plus ou moins belliqueux avec les Finns et les Sames qui descendaient vers le sud, le début des relations commerciales avec le sud. Cette période a été celle des derniers essaimages de masse pour cause de guerre (les Burgondes, les Lombards). La question de la surpopulation a été posée au sujet de la surrection du phénomène viking et de l'ampleur qu'il a prise, mais aucun indice relatif à la démographie n'est venu l'étayer. Les drengar - jeunes hommes non mariés- partaient faire leurs preuves, acquérir des richesses, et rentraient fonder une famille. Pour repartir année après année si nécessaire. Il s'agissait rarement d'envoyer volontairement des groupes d'hommes choisis pour coloniser de nouveaux territoires, les découvertes de terres s'étant faites au hasard des voyages, et la colonisation, qui était plutôt une exploration doublée ou non d'une intégration, était basée sur des décisions individuelles, qu'elles soient politiques (exode norvégien vers l'Islande sous Harald I), commerciales, légales (le bannissement d'Erik le Rouge et son installation au Groenland), opportunistes... soutenues par un grand dynamisme, et un goût marqué de l'aventure. A la suite de quoi il pouvait y avoir une vraie colonisation, mais des terres vierges. Je ne parle évidemment pas là des guerres entre royaumes, qui ont d'autres ressorts. Je n'ai lu nulle part de récit relatif à une coutume similaire au Ver sacrum, probablement parce que les conditions de vie étaient trop rudes pour permettre une expansion suffisante de la population comme ce fut le cas plus au sud, à tel point qu'il y ait eu des hommes surnuméraires, d'autant que les luttes intestines en consommaient pas mal. Le plus souvent, les gars qui partaient rentraient au pays, même après 20 ans passés à l'étranger.
    Le fosterage était des plus répandus, notamment dans les classes supérieures de la population. Je ne sais pas vraiment d'où vient cette coutume, plutôt ubiquiste sur la planète, au départ apparemment liée à la structuration matrilinéaire voire matriarcale primitive des sociétés humaines (passage à l'oncle maternel, si je ne me trompe). Elle est restée, et a dérivé parce que les adoptants n'avaient plus forcément de lien de parenté vraie avec les adoptés, au moins chez les scandinaves, et je suppose chez les germains, fortement matrilinéaires également. Snorri fils du chef  Sturla était lui-même le foster-son du prêtre et homme de loi d'ascendance royale norvégienne Jon Loftsson, sans relation de parenté avec lui. Mais si cette coutume créait des liens de type familial entre la famille d'adoption et l'adopté, et les charges et bénéfices qui en découlaient (droit à la vengeance, alliances claniques au même titre que les mariages...), le droit du sang continuait à prévaloir sur le plan légal, pour les héritages notamment. J'ai souvenir aussi d'un passage savoureux où le fosterage sert d'arme diplomatique au plus haut niveau de pouvoir (Heimskringla, Saga d'Harald Haarfager, 42).

    Le roi et la prospérité, intéressant sujet. Qui me semble perdurer : n'attendons-nous pas de nos dirigeants qu'ils nous assurent une vie meilleure ? La seule différence aujourd'hui, c'est qu'il ne s'agit plus de sacrifier aux dieux le chef incompétent pour réparer le défaut, mais le transfert de responsabilité est du même ordre. En cas d'inondation, de chute de neige, de sécheresse, de canicule, d'épidémie, la question est plutôt unanime : mais que fait le gouvernement ? Je plaisante. A moitié.

    Merci pour la référence du livre, j'ai justement un courrier à écrire prochainement. A un vieil homme qui réside en Finlande, sapé aux couleurs de Coca-Cola.

    Bien cordialement. 

    PS : je me suis permis d'inscrire votre blog dans le répertoire de Lulette (catégorie Ecriture, section Ecrits multiples), auquel je collabore. Si vous y voyez un inconvénient, ou un classement plus adapté, ou que vous voulez une modification de la présentation lapidaire que j'en ai fait, merci de me le dire.

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    Mardi 12 Novembre 2013 à 17:12
    Il n'y a pas de chronomètre pour la réponse, sinon je crois bien que nous allons entrer dans une logique de potlatch, en fait question renchérissement nous y sommes déjà... C'est le plus long commentaire que je n'ai jamais eu à lire ! J'espère que vous ne me maudirez pas à coup de runes de continuer dans la même veine ; )
     

    Bon résumé de la pensée de Tacite pour sa Germanie. Quant à César, le Jules, il appréciait d'autant plus les Germains qu'il employait leurs cavaliers pour taper sur du Gaulois. A ce propos le mot cavalier n'est pas juste, il s'agissait d'un binôme entre un homme à cheval (sans doute un petit cheval) et un coureur à pied entraîné à le suivre depuis la plus tendre enfance.

     
    Le fait est que souvent le destructeur/transformateur d'une culture est aussi celui qui va s'y intéresse le premier sérieusement (César bien sûr, mais aussi Yankees et Indiens, Conquistadores et Précolombiens, voire moines irlandais face aux mythologies païennes, sans parler d'Alexandre face à la Perse). Les conquérants sont d'abord fascinés par ce qu'ils cherchent à conquérir. Au-delà de la vision politique de la Guerre des Gaules (un document destiné à convaincre le Sénat et les Romains que César il est trop bon et tout à fait génial) je crois qu'on ne doit pas dédaigner la curiosité, le besoin de raconter des choses nouvelles et inconnues, "d'épater la galerie" en ramenant des souvenirs insolites.
    Cela pour faire une nouvelle grosse digression.
     
    D'accord pour le pragmatisme des Scandinaves : j'ai toujours été sidéré de la capacité d'adaptation des "Normands" qui se francisent très vite, qui s'orientalisent à Antioche, qui sont capables d'entrer dans les cœurs en Sicile et de leur efficacité à s'approprier un système existant et à le développer de manière efficace (Guillaume en Angleterre). Quelque chose du sens de l'organisation germanique mais sans pesanteur, à la place une adaptabilité extrême.
     
    Et Religion = Loi... A Rome la pratique religieuse est d'abord une affaire de rites et de respects titilleux de règles devenues parfois incompréhensibles. La relation des "Barbares" et du divin est elle aussi une relation de service à service, on peut même affirmer que c'est la même chose pour la relation au Christianisme : un Clovis testera jusqu'au bout la puissance de ses dieux avant de s'en rapporter à celui des Romains, et Constantin a fait de même au fond (on connait son rêve "par ce signe tu vaincra" mais moins celui qu'il fit en Gaule à l'invitation d'Apollon).
     
    Les godar d'Islande font penser à la relation patron-client à Rome. Pas mal la présentation du régime islandais, souvent présenté comme une démocratie (mais qu'est-ce qu'une démocratie?). Je n'en connaissais pas les subtilités. Par contre ce système de dépendants est au fond à la base de bon nombre (toutes?) de sociétés antico-médiévales un tant soit peu complexe.
    Il y a toujours un représentant qui dispose aussi parfois de pouvoirs quasi sacrés et terribles sur des dépendants (le Pater Familias romain et son droit de vie et de mort sur sa famille).
     
    C'est une hypothèse personnelle : le Ver sacrum (j'use de ce terme par commodité à la base c'est un concept latin archaïque assez différent), le printemps sacré pourrait être un lointain écho d'un type d'agriculture semi-sédentaire qui s'est développé le long du Danube jusque dans le bassin parisien, et dont l'illustration se retrouve dans l'ethnologie. Un clan familial installe un village (constitué de maisons communes de vaste taille -et là je pense à la Halle des récits germano-scandinave) et exploite le terroir environnant après avoir essarté la forêt. Au bout d'un certain nombre d'années la terre est moins fertile (on sacrifie alors sur un autel en forme d'urne le président de la Respublica... non je délire), il faut déplacer le hameau (c'est mieux que "village" et cela reflète le Heim germanique : ) car on ne connait pas encore le principe de l'assolement. Cela peut éclairer l'idée romaine que les Germains ne cultivent pas ou si peu, ce qui est en désaccord avec l'archéologie. Ils n'auraient pas eu un modèle aussi stable comme celui développé dans la zone méditerranéenne.
    Et là je rejoins un détail intéressant quand vous dites que les Germains sont arrivés en Scandinavie à haute époque : avec quel degré de développement agricole ? Y a-t-il eu adaptation à un milieu différent que les grandes plaines du centre européen ?
    Bon tout cela repose sur un postulat et ma mémoire plus ou moins floue...
     
    Le système matrilinéaire (exact c'est le coté maternel qui parait plus compter si je ne m'abuse) chez les Germains permet d'éclairer beaucoup de points restés obscurs à des yeux latins et chrétiens : la "polygamie" des rois mérovingiens, le rôle important donné à la reine, etc et même les massacres "familiaux" par exemple d'un Clovis. C'est la femme qui apporte le pouvoir et permet d'en hériter. Je ne sais plus si c'est dans ce livre qui apparemment tombera dans votre cheminée ce Noël ou bien chez Michel Rouche (ou les deux) qu'on émet l'hypothèse d'une polyandrie chez les anciens Germains. L'identité précise du père n'a plus alors vraiment d'importance, les enfants élevés sous la même "longue maison" (ça c'est ma tendance à comparer les anciens Germains aux Indiens d'Amazonie : flèches empoisonnées, omniprésence des arbres, culture par essartage, crainte de la part des empires sédentaires...et oui je suis de ceux qui comparent et les cultures et les phénomènes historiques persuadé que l'Histoire est un éternel recommencement n'en déplaise aux partisans de la fragmentation à outrance des connaissances et de la lobotomisation par complexification excessive : on va dire que j'ai gardé l'idéal grec de la simplification des phénomènes et la lourdeur d'écriture d'un panégyriste latin) ne font pas de différence entre oncle et père (désolé après cette aparté vous avez sûrement dû relire le début de ma phrase : s).
    Bon je vous l'accorde le souvenir est flou il faudrait que je retrouve un jour ce passage. Vous faites bien de préciser "voire" matriarcal car si il existe de nombreuses théories sur le sujet il est difficile de les illustrer d'exemples historiques ou anthropologiques précis. Il reste que généalogiste à mes heures perdues, j'estime qu'il aurait été extrêmement plus logique de porter le nom de sa mère plutôt que celui du père (évitant ainsi pas mal de problème de père inconnu ou d'enfant reconnu).
    Est-ce que la notion catholique de parrain et de marraine (compère et commère) ne serait pas non plus un lointain souvenir du fosterage ?
     
    Une précision : je triche en vous répondant. Mon travail est loin d'être passionnant mais me donne des temps morts fort judicieusement utilisables... Aussi ne vous mettez pas martel en tête comme disait Charles pour me renvoyer la balle, et ne mordez pas non plus sur vos loisirs pour ce faire, le Loup s'en désolerait lamentablement.
    ...et il est flatté que vous ayez pensé à l'Antreloup, mais je vous envoie à ce sujet un (petit) message via Ekla, ce qui vous sauve j'y suis limité à 1000 caractères.
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    Jeudi 21 Novembre 2013 à 15:49

    Je ne pense pas qu'il s'agisse de surenchère, simplement, tu m'ouvres des voies de réflexion que je développe à la lueur de mes connaissances, ou si nécessaire, en faisant quelques recherches complémentaires, et je suis plutôt bavarde.  

    J'ai vu des démonstrations de reconstitution historique d'assauts de cavaliers germains à l'époque romaine, à l'occasion des journées gallo-romaines de St Romain en Gal. Les attaques étaient menées par des couples cavalier-fantassin contre des bottes de paille et des pastèques. Plutôt intéressant, comme technique, même s'il n'y avait que deux chevaux (arabes) et quatre guerriers (belges). Bien sûr que César était curieux, mais surtout, il avait dû lire Sun Tzu : "Si vous connaissez vos ennemis et que vous vous connaissez vous-même, cent batailles ne pourront venir à bout de vous. Si vous ne connaissez pas vos ennemis mais que vous vous connaissez vous-même, vous en perdrez une sur deux. Si vous ne connaissez ni votre ennemi ni vous-même, chacune sera un grand danger". Trève de plaisanterie, encore qu'il n'y ait pas d'anachronisme dans ma supposition loufoque, tous les grands stratèges, ceux qui gagnaient, ont compris ça. La qualité de César est de s'être donné la peine de coucher par écrit ses observations, tout comme le peu qu'il nous reste des amérindiens d'Amérique centrale nous vient des clercs catholiques (et des monuments, certes), puisque l'Eglise Catholique a fait brûler les documents écrits impies de ces civilisations. Merci à eux quand même, il était important qu'ils réécrivent l'histoire. Les Scandinaves en campagne à l'étranger n'ont pas écrit grand-chose sur les peuples qu'ils rencontraient, mais ont pratiqué aussi cette curiosité, pour connaître les points faibles de ceux qu'ils pourraient être amenés à piller...

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     ... et cette connaissance leur a servi pour adapter leurs lois à la culture locale et pour se fondre dans le paysage. A ce titre, l'avènement de la dynastie des Rurikides en Russie est exemplaire, car selon la légende, Hrorek (Rurik) le Danois et ses hommes, d'abord mercenaires pour les chefs locaux, ont été si efficaces que les slaves leur ont demandé de bien vouloir remettre de l'ordre chez eux. D'où la création du royaume de Kiev (je résume au maximum). Les Rus (les roux, les rameurs ?) était le nom donné là-bas aux nordiques. Mais on observe tout à fait le même phénomène en France, en Angleterre (pas trop sous les Danois, plutôt après Guillaume), partout où ils sont arrivés.

    Quand j'écris Loi = Religion, ou la réciproque, je ne parle pas du détail, de la lettre de la Loi, mais de son "esprit", la "mannhelgi". En partant de là, j'arrive à comprendre comment, en lui conservant son caractère sacré, ils ont su l'adapter aux coutumes locales partout où ils ont pris le pouvoir. Pas de rigidité lithurgique - je connais un seul exemple de prière dans les textes, celui de Brynhild dans le Sigdrifumal- , et j'ai l'impression qu'à Rome, c'était pas mal la lithurgie qui était sacrée, la forme, au point d'en oublier le fond. La loi romaine était très complexe et ritualisée, et est passée après la sécularisation des mains des pontifes à celles de professionnels. Mais à Rome aussi, la loi était une émanation de la religion, qui régissait la vie quotidienne de façon plutôt stricte. Dans le nord, plus de souplesse centrée sur le principal, pour la loi comme pour la religion, l'homme et l'efficacité. D'ailleurs, l'exemple de Clovis est caractéristique, et les nordiques portaient en même temps autour du cou la croix et le marteau, un détail que j'ai trouvé assez sympa dans le film "Beowulf, la légende viking" de Sturla Gunnarsson. On a trouvé des moules mixtes permettant de couler les deux. L'essentiel était que ça fonctionne. Je ne connais pas bien l'histoire de Constantin, mais elle me paraît relever du même principe : si Apollon aide, je prends Apollon, si c'est Christ qui aide, je prends Christ, avec des conséquences politiques majeures, étant donné le prosélytisme inhérent au texte du Livre (des Livres en général, le Coran n'y échappe pas !) et la position dominante de Constantin, alors que le prosélytisme des paganismes reste à démontrer. L'influence de la conversion de Constantin sur l'essor du christianisme fait toujours débat, mais pour moi, il n'y a guère de place pour le doute: le passage au statut de religion d'état dans un empire aussi puissant a été déterminant pour le succès de cette secte encore très minoritaire à l'époque. Où voulais-je en venir ? A l'influence de la religion et de la manière dont elle est pratiquée sur la loi. L'arrivée du christianisme dans le nord a peu à peu profondément modifié les lois, en commençant par les lois fiscales (la dîme), et l'esprit de la loi, faisant passer la divinité au premier plan, et bien sûr ses représentants sur terre. C'est en partie ce qui a fait imploser la "démocratie" islandaise, les chefs étant devenus prêtres et réciproquement, puisque l'enrichissement personnel était au bout, jusqu'à ce qu'un pouvoir central ne finisse par s'imposer aux conflits individualistes, la couronne de Norvège en l'occurrence, suite à près de 300 ans de refus de l'Islande. Ouvrir une parenthèse. Qu'est-ce qu'une démocratie ? Bonne question. Le contraire d'une ochlocratie ? Pas sûr, vu ce qui se passe actuellement dans notre pays si démocratique. Peut-être juste un mode électif illusoire, puisqu'il s'agit de conférer temporairement le pouvoir absolu à des élus sur qui ne pèsent à peu près aucune obligation de moyen et aucune obligation de résultat, en l'absence de rétrocontrôle immédiat et impartial. Fermer la parenthèse. Le mode de gouvernance de l'Islande n'était pas une démocratie, même si le "diseur de la loi", qui n'était pas forcément l'arbitre des jugements, était élu. Comme à Rome, la justice était une affaire privée portée sur la place publique et où il était recommandé de faire appel à un tiers, pour la simple raison, je suppose, que sans ça, le principe de la vendetta personnelle aurait été appliqué sans arrêt.

    Je n'ai pas de données très précises sur les germains puis germano-scandinaves qui se sont approprié la Scandinavie. Il me semble qu'ils pratiquaient l'essartage et la migration de proche en proche, avec culture sur brûlis, puis retour du sol à la végétation naturelle, après une période d'environ vingt ans, et certainement la pratique de la transhumance pour les troupeaux. Rien de très original, en somme, et avec à l'évidence un décalage temporel entre ce qui se pratiquait dans le nord et dans le sud : les scandinaves, qui n'ont pas connu de période antique, sont restés plus longtemps "préhistoriques" dans leur mode de vie que les Romains ou les Grecs. Quand ces derniers construisaient des temples de pierre style Parthenon, les premiers s'assemblaient dans des maisons longues en bois. On trouve quelques traces de cette progression dans les textes les plus anciens, repris par Snorri dans l'Ynglinga saga, à l'époque de l'extension des scandinaves depuis le sud de la Suède, assez plat et propice à l'agriculture, vers le nord et la Norvège (passer la "Quille", la chaîne des Scandes), avec des surnoms de rois tels que Onund le Défricheur de terre et Bâtisseur de routes et Olaf l'Abatteur d'arbres. Parce que toujours d'après l'Ynglinga, ils seraient passés par le Danemark et l'île de Zealand, après être remontés depuis la Mer Noire. De même, ce texte mentionne la polyandrie adelphique, ce qui ne laisse pas d'être curieux : "Odin avait deux frères, l'un nommé Vé, l'autre Vilje, et ils gouvernaient le royaume en son absence. Il arriva, une fois qu'Odin était parti très loin, et était resté si longtemps absent que le peuple d'Asie doutait qu'il ne revienne un jour, que ses frères prirent la décision de partager ses terres. Et tous deux prirent son épouse Frigg pour femme. Odin revint peu de temps après, et récupéra son épouse."(Ynglinga 3) Mais j'accorde à ce détail étonnant plus de crédit qu'aux suppositions bien plus tardives des clercs sur la métempsychose des Helgi, parce que ce détail n'était pas nécessaire à la compréhension du texte et ne semble pas relever d'un processus d'analyse mené par le rédacteur. Il rapporte simplement ce qui a été transmis auparavant, et qui m'a semblé venir de fort loin. A l'époque où j'ai traduit le texte, j'ai fait un rapprochement immédiat avec cette pratique dans certaines régions du nord de l'Inde, et appris qu'elle se retrouvait également chez les Scythes, et, plus récemment, d'après Jules, en Bretagne (Angles et Saxons, des germains, donc). Ce qui va dans le sens d'une hypothétique polyandrie chez les peuples germaniques. 
    Les preuves d'une société matriarcale sont difficiles à établir, puisque matriarcat et gynocratie ne se recouvrent pas. Chez les scandinaves médiévaux, les femmes mariées disposaient des clés de la maison, de leurs propriétés propres, de leurs enfants jusqu'à ce qu'ils aient dix ans (quand elles divorçaient, elles récupéraient leurs biens, la moitié du douaire, et leurs enfants jeunes. Pour ne pas perdre trop, les hommes avaient intérêt à convenir à leur épouse !), et surtout, elles étaient investies des fonctions cultuelles dans la maison, responsables de la conduite des cérémonies familiales. Il me semble me rappeler que la situation était assez semblable chez les Francs, jusqu'à la dégénérescence de la loi salique (articles sur l'héritage allodial) sous Charlemagne, privant les femmes de leurs droits de succession, et à son utilisation ultime après la mort de Jean Ier le Posthume pour évincer les femmes du pouvoir. Je me suis souvent demandé si l'instauration du pouvoir masculin dans la majorité des sociétés ne tenait pas à cette terrible incertitude elle aussi venue de loin : suis-je ou non le père des gamins de ma femme ?, et à son corollaire d'amour-propre et de sens de l'honneur, plus qu'à la force physique, qui me paraît être un moyen, non une motivation. Avec en parallèle l'affaiblissement du culte de la Déesse Mère, dans un premier temps, puis la privation des femmes de certains droits, jusqu'à 
     l'asservissement, l'enfermement etc... La puissance procréatrice féminine, dans ce qu'elle a de certain, donnerait-elle trop d'importance à la femme, et pas assez à l'homme, qui se sent obligé de rétablir l'équilibre ? Y a-t-il un lien avec les réactions très violentes qu'on a observées récemment au sujet des lois sur le mariage homosexuel (GPA sous-jacente, souvent prise comme argument des "contres") ? Et si l'homme ne donne plus son nom à son enfant, ne perd-il pas le peu de certitude qu'il lui reste ? De fait, il serait plus logique que ce soit celui de la mère, mais elle n'a rien à prouver de plus, la mère. Chez les scandinaves, comme chez les russes, les arabes et les juifs, on était ou on est encore par son patronyme "fils ou fille de son père", le plus bel exemple actuel à ma connaissance étant celui de l'Islande. Reconnaître un enfant est un acte volontaire du père. Ne pas reconnaître un enfant est une démarche volontaire de la mère. L'éloquence des lois.

    Je n'ai pas de données me permettant d'établir un lien entre parrainage, marrainage et fosterage, de même qu'avec l'adoption et l'adrogation à Rome. Le compère et la commère ne devaient pas être mariés, il me semble. Néanmoins, le parrainage dans ses premiers temps partageait des caractères communs avec le fosterage : notion d'alliance, transfert analogique de paternité, rôle de structuration sociale. Filiation ou convergence de ces coutumes, je ne saurais dire. 

    Je ne vois pas d'objection à comparer et à rapprocher des civilisations qui dans des conditions de vie similaires trouvent des réponses adaptatives convergentes, tant qu'il ne s'agit pas d'une comparaison de "valeur", laquelle me semble absurde. C'est le propre de la science, je crois, d'examiner ressemblances et différences sans prendre parti. Encore que je prenne parti, en quelque sorte, en modérant mes commentaires, pour empêcher ceux qui ont la nostalgie de l'utilisation des "vikings" au siècle dernier par certaine idéologie comparative de faire de la pub pour leurs sites avec lesquels ce blog n'a aucune affinité.

    Et là, tu soulèves entre parenthèses deux points auxquels je ne peux m'empêcher de réagir. 
    Je ne crois pas que l'histoire soit cyclique. Ou plutôt, je la vois plus comme hélicoïdale, ascendante ou descendante, repassant par des phases similaires, mais pas tout à fait identiques. Ou, si l'on tient compte de la démographie, comme l'escargot de Pythagore, qui recoupe forcément ses rayons au fur et à mesure que les générations se succèdent, mais en des points plus éloignés. Serait-ce la raison pour laquelle l'homme est incapable d'apprendre du passé ? Ou parce qu'il n'est pas capable de prendre de la hauteur ?
    Autant la diversification du savoir est une bonne chose, autant sa segmentation me semble dommageable. On observe dans l'enseignement aujourd'hui, de même que dans la vie courante avec les moyens technologiques qui font qu'on peut accéder facilement à n'importe quelle donnée, une multiplication des sources et des portions de connaissance sans rapport les unes avec les autres. Mais le plus souvent, ces savoirs constituent seulement une database encombrante, car on n'enseigne plus la synthèse, ni la critique. On voit les pixels, mais plus l'image dans son ensemble. Les grecs ne simplifiaient pas, ils prenaient du recul et déduisaient de leurs savoirs les lois générales des phénomènes. On ne le fait plus guère (enfin si, en physique, en biologie, en chimie, en philosophie, en linguistique... partout où l'intégration est nécessaire. Pourquoi pas en histoire ?), malgré toutes les informations dont on peut disposer. Faute de temps, dans une vie faite de juxtaposition d'instantanés, faute de pouvoir prendre du recul, dans une vie faite d'individualisme, faute de formation, bien que l'objectif avoué de notre système d'enseignement soit de donner la plus grande culture au plus grand nombre. Qu'est-ce que la culture ? A mon avis, pas seulement l'accumulation de points particuliers, mais la méthode pour relier ces points entre eux. D'un autre côté, serait-il judicieux politiquement que chacun sache penser seul, avec plusieurs niveaux de lecture des données...

    Je n'ai pas noté de lourdeur dans tes interventions, par contre, what mille idées par phrase, si. Et après, je cause, je cause...

    Enfin, Songerune est l'un de mes loisirs. Et je n'ai séché ni lecture ni tir à l'arc pour répondre (un peu de repassage, peut-être...). 

    @+

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    Vendredi 29 Novembre 2013 à 17:05

    Bon je me décide à finir de te répondre, en étant obligé de faire des mini chapitres pour m'en sortir. Le fait d'échanger m'oblige à revoir et remettre à jour pas mal de choses. C'est un peu rouillé dans cette tête de loup et il faut remettre un coup de balai... Faut dire qu'avec la qualité que je constate en face, faut arriver à rester à la hauteur !
     
    APÉRITIF
    Cette reconstitution de cavalier-fantassin devait être fort intéressante, mais le cheval arabe ne doit pas trop être adapté pour ce genre de course... Je verrais mieux un poney shetland ou quelque chose approchant. Bon je ne m'y connais pas suffisamment en chevaux pour continuer sur cette voie là...
     
    J'avais effectivement omis de citer la présence varègue sur les fleuves russes, en ce qui concerne la capacité d'adaptation de ces peuples. Il semblerait que les Scandinaves aient joué là-bas un peu le rôle des Francs sur les peuples gallo-romains, celui de fournir une aristocratie et une identité centralisatrice autour d'une monarchie.
     
    HISPANIQUES versus  MESO-AMERICAINS 
    Concernant les Amérindiens, j'ai eu une première réaction type "non, là je t'arrête !" mais après m'être un peu remis dans le sujet, je dirais que tu as tord et raison à la fois et par conséquence moi aussi. Fifty-fifty quoi. Je m'explique.
    Il faut avoir lu les mémoires d'un lieutenant de Cortés pour comprendre que le monopole de la curiosité "scientifique" au moins "ethnographique" n'appartenait nullement aux seuls clercs de l'église catholique. Il s'agit de Bernal Díaz del Castillo auteur d'un récit sur la conquête de la Nouvelle Espagne.
     
    Premier point que ce livre m'a fait découvrir : le respect initial dont pouvaient faire preuve les Conquistadores (d'accord, il s'agit essentiellement des nobles) face à une civilisation qu'ils estimaient largement supérieure à celle de leur Europe natale. Certes j'ai lu ce livre il y a longtemps, mais je ne me souviens pas avoir lu de remarques sarcastiques à l'égard des peuples indigènes rencontrés démontrant un quelconque sentiment de supériorité.
     
    En réalité ils ont parfaitement conscience d'être en sous-effectifs et totalement dépassés par la puissance qu'ils rencontrent. Et là second point anti-idées toute faites : l'Espagnol profitant de son indéniable supériorité d'armement et de ses chevaux pour écraser par traîtrise les Indiens en se faisant passer pour un dieu. On croirait qu'en face, ils sont condamnés à être juste des débiles. En vérité l'expédition de Cortés est un véritable coup de poker extrêmement osé et plus d'une fois à la lecture de ce récit on constate combien les Espagnols étaient à deux doigts d'aller décorer les pyramides aztèques les jours de sacrifice, et que ces derniers n'étaient nullement dupes de ce qui était en train d'arriver (en réalité les Aztèques et surtout leur empereur ont trop réfléchi au lieu de réagir de suite).
     
    Enfin pourquoi une réaction si violente à l'égard de la religion (et donc de la culture) méso-américaine ? On ne peut nier que l'étranglement "à l'espagnole" pratiqué comme peine ne donne pas une image très idyllique de la société européenne à cette époque, qui je le rappelle est juste en train de s'extraire du Moyen-Âge. Il n'en demeure pas moins vrai que le spectacle des sacrifices de masse pratiqués par les Aztèques (et pratiquement tous les autres peuples de la région Mayas compris) ne devait guère mieux valoir. Donc si les Espagnols furent fascinés par ceux qu'ils rencontraient, ils en éprouvaient également de l'aversion. 
     
    Ceci pour éclairer un peu l'attitude également ambivalente des autorités religieuses. Parmi ces dernier, il y a Diego de Landa, qui correspond bien à l'image que tu donnes, destructeur patenté de bibliothèques mayas mais également auteur d'un ouvrage très bien renseigné sur ce même peuple. Mais il a aussi Bernardino de Sahagùn, qui lui n'a pas eu un comportement aussi schizophrénique : pratiquant le nahuatl, la langue aztèque, il publie d'importants travaux sur la civilisation et la littérature aztèque, utilisant le témoignage des vieillards qui avaient connus l'invasion espagnole. En réalité, ses travaux se heurteront à une censure beaucoup plus politique que religieuse...
     
    Pour illustrer ces comportements qui ne peuvent paraître étranges que si on pense en termes d'images d'Epinal, il y a le film "Mission" sur les tentatives jésuites de créer des États indiens au Paraguay. Et pour épicer la chose, il a récemment été redécouvert (c.-à-d. porté au grand public) qu'en pleine jungle sud américaine existait un village indien où l'on fabrique des violons d'une grande qualité et où s'est préservée la plus pure musique baroque depuis le XVIIe siècle ce qui fait le bonheur des mélomanes et de musiciens... Comme quoi parfois l'Histoire prends d'étrange (et souvent cruels) chemins de traverse.
    Enfin il ne faudrait pas faire l'impasse sur la mémoire qu'ont conservé eux-mêmes les méso-américain. On trouve encore dans la jungle maya (dont le peuple existe toujours et plus que jamais) des gardiens de bibliothèques possédant dans leur hutte des codex... 
     
    PARENTHÈSES
    L'oechlocratie... Le règne des démagogues et autres sycophantes... Un terme pas assez employé de nos jours (et qu'il m'a fallu un peu aller revoir pour ne pas me gourer sur le sujet). Elle n'est pas le contraire de la démocratie, mais son risque, sa tendance néfaste, comme la tyrannie l'est par rapport à la monarchie. Je crois que nous devons cette analyse à Aristote.
    Pour moi il est absolument clair que nous y sommes actuellement. Cela me rappelle je ne sais plus quels animaux vivant en troupeaux (gazelles, gnou autres ou tout simplement moutons ?) dont on peut admirer la capacité à changer tous en même temps de direction dès qu'un souffle d'air contraire se fait sentir, dans de magnifiques documentaires animaliers.
    On pourrait largement l'ouvrir la parenthèse mais je risque ne plus pouvoir la refermer, ne parlant jamais politique. Et pour cause. Si la politique c'est la gestion de la cité, on ne doit pas parler le même langage, les politiciens et moi.
     
    Une démocratie véritable a-t-elle jamais existé ? Uniquement quand une partie assez importante de ses citoyens étaient suffisamment éduqués pour savoir combien elle est fragile.
     
    ...ENTRACTE
    Au fait le diseur de loi que tu cites me fait penser au Rachimbourg (j'espère l'écrire correctement) germanique décrit dans le bouquin du pepsi-papa Noël ; )
     
    J'aime bien les surnoms d'Onund et d'Olaf. On dirait des Rangers catégorie Chuck aux pieds d'acier ou Gyver l'homme au couteau helvète.
     
    ONCLE, TANTE, ET NEVEUX A LA MODE DE BRETAGNE
    La polyandrie (adelphique puisque cela semble être le nom précis du phénomène) chez les Scythes ne m'étonne guère au vue de ce que j'ai découvert ici sur les Ases et les Vanes et leur lien avec la plaine eurasienne. Chez César et les Bretons par contre je ne me souviens pas d'une telle mention... Vague souvenir de rumeurs de mœurs bizarres et sans doute mal comprises par les Romains au sujet des anciens habitants de l'Irlande.
    Par contre je vois un petit amalgame spatio-temporel au sujet de la Grande-Bretagne. Si on parle de Saxons ou d'Angles du temps de Jules César, ben... On n'en parlera pas en fait. On va attendre quelques temps avant de commencer à entendre parler de Saxons en Germanie, puis de pirates mais à peu près en même temps où apparaissent ces grands peuples germaniques (Francs, Alamans puis Goths divers) qui vont faire parler d'eux par la suite, je dirais vers le milieu du IIIe siècle (à la louche). Les Angles, je crois qu'ils sont mentionnés dans Tacite (vers le temps de Trajan, autour de 100 après JC), et il me semble pas même au bord de mer mais à l'intérieur de la Germanie. Les habitants antiques de la Bretagne (pas dite grande parce que la petite sur le Continent n'existait pas encore) sont les Prytanni selon Ptolémée (encore au IIe siècle), les Britanniques, et ceux-là n'ont jusqu'à preuve du contraire pas de lien avec les Germains mais appartiennent au monde celte (même si les plus anciens Germains ne sont en fait pas éloignés du monde celtique). En clair aucun anglo-saxon ne montre le bout de son casque (à corne) dans ce qui sera la Grande-Bretagne avant l'époque du bas-empire romain, et cela ne s'aggravera réellement que passé l'an 400, provoquant par la suite certaines "petites" frictions dont sortira le Mythe d'Arthur et... L'Angleterre (qui est saxonne, mais pas en Anglia...).
     
    LOI SALIQUE et SACRÉES BARBARES
    Merci d'aborder le sujet car cela m'a permis de me rendre compte (via Wikipedia) qu'on avait fait d'énormes avancées concernant ses origines...et que j'avais de grosses lacunes. Je connaissais son utilisation par rapport aux Rois Maudits (la version originale avec Jean Piat s'il-vous-plaît) et lorsqu'elle fut utilisée pour éviter que le trône de France ne passe à la famille de l'infaaaame Édouard Ier d'Angleterre (celui qui embête William Wallace dans Braveheart : "mais sire, nos archers vont toucher nos hommes ! Réponse du roi, tournant la tête et levant un sourcil : certes !" ben oui, mes références sont ce qu'elles sont...). Ce que j'ai appris de neuf là-dessus m'intéresse d'autant plus que les personnages francs incriminés sont ceux que je cherche à mettre en scène dans mes dessins.
    Je ne peux pas te dire si les femmes franques à l'origine disposaient du même statut que les Scandinaves, mais il est clair que les femmes "barbares" ne s'effaçaient pas aussi facilement que les Romaines. Deux exemples me viennent en tête : la description d'une femme gauloise, une géante capable de donner des coups de poing (pas dans un cadre guerrier mais plutôt dans une bagarre du plus pur style astérixien) décrite dans un auteur antique (peut-être Strabon ? ou Pline ? En tous cas quelqu'un décrivant le physique des Gaulois, c'est de mémoire que je le rapporte) et dans Grégoire de Tours, beaucoup plus tard à l'époque mérovingienne, un épisode où tout un groupe de femme (burgondes ? franques ? je ne sais plus) se rebellent -très violemment- après avoir été forcées de prendre le voile dans un couvent.
     
    ET AVANT, C'ÉTAIT MIEUX LA SOCIÉTÉ ?
    Ton idée de l'origine du passage à la patrilinéarité me semble tout à fait judicieuse.
     
    Par contre l'idée d'un culte initial universel de la Déesse mère reste une hypothèse, même si elle apparaît fort pertinente (et je m'y suis d'autant plus intéressé que j'ai eu l'occasion de travailler sur la Crète minoenne), et l'idée d'une plus grande liberté sociale initiale féminine encore plus hypothétique.
    Je cite un contre-exemple : La première statuaire de l'Humanité, aux temps préhistoriques, est effectivement à très grande majorité féminine et s'étend beaucoup sur les aspects de la fécondité plutôt que sur les visages par exemple. Ce sont de miniscules statuettes extrêmement délicates à voir sculptées et polies dans des pierres de diverses couleurs, et dont j'ai la chance de pouvoir admirer quelques exemplaires dans un petit musée près de chez moi.
    On a avancé un rapport avec un culte de la fécondité de la femme. Il faut savoir que les ethnologues ont eu parfois affaire à des sociétés où les individus n'avaient pas encore fait le rapprochement entre naissance et acte sexuel. Donc oui, le pouvoir de donner la vie a dû impressionner énormément et cette puissance génératrice réservée aux femmes a pu être jalousée par les hommes, on en a des preuves, à nouveau via l'ethnologie, par rapport aux mythes initiatiques masculins d'une certaine tribu de Mélanésie, dans laquelle les hommes se persuadaient qu'ils avaient réussi à "voler" ce pouvoir aux femmes.
    Donc, oui pour le côté respect, crainte et même jalousie. Mais est-ce que cela signifie pour autant culte de la femme ?
    Au Maroc, chez certaines tribus (maures il me semble) on pratiquait au XIXème siècle voire même plus récemment quelque chose de terrible : une petite fille de sang princier étaient destinée à être tout simplement gavée comme une oie jusqu'à devenir obèse à l'âge adulte. Elle était honorée et symbolisait en quelque sorte les "réserves" alimentaires de la tribu. On a parlé "d'entonnoirs rituels" en la matière. Ce que je dis là c'est de mémoire et demanderait à être vérifié. Mais cela peut indiquer que le culte idéal de la "Déesse-Mère" n'est peut-être qu'une interprétation moderne d'un phénomène tout autre.
    Connaissant cet exemple on ne peut que regarder d'une autre manière les statues aux formes rebondies du Néolithique notamment méditerranéen (Malte en est un bon exemple) et levantin. Culte de la fécondité, peur du manque alimentaire ?
    Peut-on parler de "droits" ou de privilège lorsqu'il s'agit d'être gavée parce que la tradition l'exige ? J'ai bien peur que l'image d'un Néolithique édénique et idéalement non-violent, d'une Crète de l'âge de Bronze pacifique et matriarcale ne soient en grande partie que le fruit des savants du début du XXème siècle (les mêmes qui croyaient à un progrès promettant des lendemains merveilleux...jusqu'au gros choc de 1914). Pour moi l'être humain reste toujours l'être humain.
    Qu'une société dite idéale ait peu à peu perdu cet aspect revient à la théorie antique de la nostalgie de l'âge d'or.
    Disons que je ne prends pas pour acquis historique un processus comme tu le décris (perte du culte de la Déesse, suivi d'un asservissement progressif de la femme).
    Les sociétés sont le reflets de l'économie qui permet de les nourrir. Il semblerait a-contrario que les sociétés d'éleveurs nomades eurasiatiques aient laissé beaucoup plus de place aux femmes que les agriculteurs sédentaires. Mais il semblerait aussi que ces mêmes sociétés seraient devenues nomades à la suite d'un grave changement climatique qui a contraint des sociétés de type cultivateurs néolithiques à chercher un moyen de survivre en se reconvertissant dans le bétail.
    Donc y-avait-il nécessairement un "c'était mieux au départ ?", Je ne crois pas au mythe du bon sauvage, invention de salon, ni à celui d'un très lointain passé où tout aurait été idéal. Il y a dû avoir des recherches, des avancées, des retours en arrière. Pour en revenir à un triste exemple récent, je suis sidéré que des gens puissent dire : comment ? L'esclavage perdure encore en Europe à notre époque ? Dites plutôt : ça y est ? On est reparti dans nos sales vieilles habitudes ? Ce que je veux dire c'est que la société humaine aura toujours les mêmes tares, qu'il faut sans cesse combattre.
     
    NOUVELLES PARENTHÈSES
    J'avoue ne pas vouloir entrer dans un autre thème "d'actualité" qui veut absolument diviser une population en deux camps, comme si une nouvelle affaire Dreyfus avait éclaté. "On" cherche beaucoup à nous refiler l'idée d'une guerre civile dans ce pays ces temps-ci. J'apprends à connaître et respecter l'Individu quelque soit son appartenance (quoique des fois... je commence sérieusement à désespérer un peu sur le degré d'individualité réelle que je peux rencontrer), mais je hais profondément depuis fort jeune tout les -isme, me méfie des groupes de pressions et des trucs qui vous disent ce qu'il faut penser. Encore pire si on me met dos au mur en me disant : choisit ton camp.
    Donc analyser les arguments pour ou contre tu me permettras de ne pas m'y frotter. Quoique ce que tu avances ne soit peut-être pas totalement infondé, au sujet de certaines peurs ancestrales de perdre certaines légitimités, à mon humble avis, le principal fait c'est que cela fait des décennies qu'on chamboule tout ce qui était (mais il est faux par contre de prétendre que cela a toujours été ainsi depuis la nuit des temps, et là j'en reviens par exemple à l'idée de "polyandrie adelphique") à mon avis dans un seul but : isoler toujours plus l'individu en atomisant tous les liens "traditionnels" (communauté, pays, famille, et même syndicat, usine, églises) pour mieux le contrôler et l'asservir à travers des nouveau liens absolument stupides ("amis" facedebouquiens, "adhérents" d'une marque, pro-truc ou anti-chose, végétalien, végétarien, mangeur de steack...et je ne parlerais donc pas d'autres "tendances") qui loin de "réunir" au contraire atomise à loisir, laissant chacun en réalité seul face à un énorme système financier sans aucun scrupule, monstrueuse dictature d'un nouveau genre qui n'a rien à envier à l'URSS -même la police politique d'ex-RDA n'aurait pu rêver une telle efficacité sur la manipulation des consciences- tant elle est plus insidieuse, expérimentée, efficace et surtout...mondiale).
     
    Bon j'arrête la polémique, mais je voudrais citer Saint Exupéry dont le hasard a voulu que je relise "Pilote de Guerre". Cela pour tous ceux qui exigent la "liberté" à outrance.
    "Peu à peu (...) nous avons exigé de chacun qu'il ne lésât pas l'autre individu. De chaque pierre qu'elle ne lésât pas l'autre pierre. Et certes elles ne se lèsent pas l'une l'autre quand elles sont en vrac dans un champs. Mais elles lèsent la cathédrale qu'elles eussent fondée, et qui eut fondé en retour leur propre signification."
    ...Chacun sa route, chacun son chemin... C'était écrit en 1942.
     
    HERITAGE ET ADOPTION
    Que l'homme ne donne plus son nom à son enfant, c'est plus ou moins un fait, puisque désormais il n'y a plus vraiment de règle en la matière ; et si on s'amuse à accoler le nom du père et de la mère, à la niénème génération, on risque de rigoler pas mal.
    Par contre on est fils de untel également dans les société celtiques et la fierté d'un homme était alors de pouvoir réciter sa généalogie de père en fils, c'est un fait (et cela simplifie quand même un peu ce qu'il faut mémoriser).
     
    Éloquence des lois. J'en reste sans voix. Tu résumes avec une simplicité désarmante un problème épineux sur le sens de l'adoption. Franchement c'est génial cette définition.
     
    DE LA MODÉRATION
    Le sujet runique est extrêmement délicat. Je dois dire que le symbole des triangles enchevêtrés que tu arbores sur ton blog peut prêter à confusion et que je me suis posé certaines questions à ce sujet. Mais cela aurait été le cas que fidèle à la démarche que j'ai décrite plus haut je n'aurais pas pour autant fermé de portes, tant que je perçois en face l'être humain quelque soit le masque qu'il cherche à porter, car souvent la haine apparente n'est que le signe d'une grande souffrance intérieure. J'ai moi-même sur mon propre blog des thèmes "barbares" et "militaristes". J'estime avoir le droit de revendiquer le sens de l'honneur et d'autres valeurs qui sont mal vues parce que marquées du sceau hitlérien alors qu'elles sont celles développées par la chevalerie courtoise. En fait je te félicite d'avoir su constituer cette véritable encyclopédie viking avec une magnifique et véritable neutralité. Trop de films, de jeux vidéos, de documentaires très sérieux aujourd'hui sentent une drôle d'odeur tout en se servant de ces sujets (mythologie germano-scandinave, histoire, etc). Je note combien notamment le thème arthurien et l'époque du Haut Moyen Âge a tendance à être récupéré de la même manière...
     
    ET POUR FINIR
    En réalité je partage la même vision hélicoïdale de l'Histoire que toi, c'est simplement que tu la précises mieux que je ne l'ai esquissée. En effet je ne vois pas l'Histoire comme une succession de cycles identiques et de passages obligés, je dis simplement que certains facteurs peuvent se retrouver et que les mêmes causes risques souvent de causer les mêmes effets, ou bien être au contraire corrigés parce qu'on les a compris à temps.
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    12
    Mardi 10 Décembre 2013 à 10:16

    Là, tu as fait très fort, pas tant par la longueur que par la qualité et le détail.

    Les chevaux arabes sont assez petits, mais il est vrai que dans la démo, les piétons ramaient un peu derrière :)

    Indiens d'Amérique

    Pour ce qui est de l'invasion en Amérique du sud par les très-catholiques hispaniques, j'avais vu un documentaire (sur Arte) sur le livre de Del Castillo, mais tu mets bien les choses au point. L'écriture était aussi détenue par les nobles, qui étaient moins tenus que les religieux d'observer une attitude orthodoxe. Et auxquels on a mis des bâtons dans les roues quand les rapports qu'ils rendaient n'allaient pas dans le bon sens. Je confesse volontiers que je suis facilement injuste quand il s'agit de détruire des livres, que ce soit le fait des catholiques, des talibans ou des nazis, car cet acte accompagne toujours une remise en cause simultanée ou ultérieure de la dignité humaine de ceux de l'autre camp
    En Amérique du sud, sur le terrain, il n'est pas douteux que certains prêtres et civils aient admiré ces civilisations qu'ils venaient convertir et conquérir, sur ordre de leurs pouvoirs centraux respectifs qui s'intéressaient surtout au partage des terres et des richesses de ces peuples, détruisant par là ce que leurs subordonnés avaient pu édifier. Je ne suis pas du tout certaine que le même respect soit d'actualité aujourd'hui lorsque les «Indiens» sont expropriés par les compagnies pétrolières ou minières. Bon, il faudrait que je revois Mission (ça fait 20 ans...) et je crois me souvenir en effet de l'importance de la musique dans ce film, et du tiraillement de certains occidentaux entre leur loyauté envers leur souverain et l'évidence de ce qui allait survenir. Les Guaranis ont survécu, et ont intégré des éléments civilisationnels européens de cette époque. Plus au nord, bien sûr que les mayas existent toujours, même si le syncrétisme a pas mal modifié leurs croyances et leurs coutumes.

    De la démocratie... en Amérique ?

    Tocqueville a fait la même analyse qu'Aristote sur les dérives possibles de la démocratie : la tyrannie du peuple, inscrite dans la logique de ce mode électif, amplifiée par le miroir déformant de la presse, indispensable, la presse, mais nuisible quand elle n'obéit qu'à l'audimat. C'est un contre-pouvoir qui me fait un peu peur, en ce moment, en France, parce que les journaleux ont pris le pas sur les journalistes, et parce que les masses populaires vont plus facilement adhérer à ce qu'on leur sert de plus simple et digestible, fût-ce faux. Que disais-je au sujet de la synthèse et de l'esprit critique ? 

    Je me suis fait quelques réflexions en te lisant. Je ne crois pas que nous soyons au bord de la guerre civile qu'on essaye de nous faire gober par sensationnalisme, nous assistons seulement, pour le moment, à la coagulation locale d'intérêts particuliers, sur fond de consensus anti-gouvernemental, avec ce magnifique paradoxe : "La plupart estiment que le gouvernement agit mal ; mais tous pensent que le gouvernement doit mettre à tout la main" (Le Despotisme démocratique, A. de Tocqueville). Par contre, que les gens se comportent comme des étourneaux en migration, c'est une évidence. Quant à l'affichage de sa propre individualité, elle passe, si j'en crois des pubs récentes, par la personnalisation de la couleur de sa bagnole (j'ai tout faux, avec ma vieille caisse bas de gamme grisâtre. Mais elle a une boîte de vitesse et un auto-radio). Peut-être que cette atomisation asservissante, par mise à disposition de modèles simples et faciles à suivre, est aussi le résultat d'une évolution naturelle de la démocratie, pressentie par Tocqueville : "Dans les temps d'aristocratie, chaque homme est toujours lié d'une manière très étroite à plusieurs de ses concitoyens, de telle sorte qu'on ne saurait attaquer celui-là, que les autres n'accourent à son aide. Dans les siècles d'égalité, chaque individu est naturellement isolé ; il n'a point d'amis héréditaires dont il puisse exiger le concours, point de classe dont les sympathies lui soient assurées ; on le met aisément à part, et on le foule impunément au pied." Et il ajoute :"De nos jours, un citoyen qu'on opprime n'a donc qu'un moyen de se défendre ; c'est de s'adresser à la nation tout entière, et, si elle lui est sourde, au genre humain. Il n'a qu'un moyen de le faire, c'est la presse. Ainsi la liberté de la presse est infiniment plus précieuse chez les nations démocratiques que chez toutes les autres ; elle seule guérit la plupart des maux que l'égalité peut produire". A quel prix ? Ce qui me semble le plus manquer dans la société actuelle, que ce soit chez Tocqueville ou dans ton extrait de St Ex, c'est le ciment. Note bien que je ne plaide pas pour une quelconque forme de dictature, mais dans notre admirable devise, liberté et égalité, mal comprises ou mal appliquées, excluent apparemment fraternité, sauf celle, artificielle, de la reconnaissance par la consommation, et rendent nécessaire qu'on nous en rebatte les oreilles, de la fraternité (solidarité), jusqu'à ce que ce soit un mot vide de sens. La prééminence du Maintenant et du Moi fragilise la société et en fait une proie facile pour les marchands qui nous gouvernent plus ou moins ouvertement.

    L'esclavage et la démocratie. Si je regarde l'histoire, je me demande si les tentatives démocratiques faites dans le passé ne reposaient pas en partie sur l'esclavage. Et en poussant un peu, la nôtre ? Je n'éprouve pas une admiration délirante pour l'application de la démocratie chez les grecs anciens ou les romains, dont était exclue plus de la moitié de la population (les femmes, et les esclaves qui bossaient pour assurer aux citoyens le loisir de pratiquer la démocratie). Idem chez les Norses. Que dire du suffrage censitaire ? Par contre, je leur sais gré du concept, aux grecs anciens. Et aujourd'hui, l'esclavage et le servage qui assuraient biens et confort aux classes favorisées ont été en grande partie abolis et dans la foulée remplacés par la puissance thermique (charbon, pétrole...), et le reste est très majoritairement délocalisé, mais n'est pas de l'esclavage, parce que même les gosses sont payés. Hypocrisie. Bien sûr que nous sommes choqués lorsque le phénomène nous saute à la figure chez nous, mais par manque de lucidité et de mémoire. Quand un travailleur immigré payé pas grand-chose se fait confisquer ses papiers (privation de son identité, le plus sûr moyen de fabriquer un esclave) sur un chantier au Qatar ou dans un abattoir en Allemagne, c'est quoi ? Ta réflexion sur la fragilité de la démocratie m'interroge : a-t-elle jamais connu de réalité ? Cette démocratie-là nécessite d'être peu nombreux, instruits, et sages. La démocratie pourrait alors passer pour un mode électif élitiste, tel que pratiqué chez les grecs, et retour à la case départ. Churchill aurait dit, en plus de "La démocratie est le pire mode de gouvernement à l'exclusion de tous les autres", qui est fort célèbre, "le meilleur argument contre la démocratie est un entretien de 5 minutes avec un électeur moyen". Un peu élitiste aussi, Winston.

    Thordruna la féministe

    Je ne pense pas que la société était mieux avant, et je ne crois pas plus que toi au "bon sauvage", il y a toujours eu des inégalités structurelles et une répartition des tâches entre sexes. Mais aujourd'hui, depuis nos pays modernes et démocratiques (en France, depuis 1945 !), l'examen de ce qui se passe dans d'autres pays paraît inacceptable. La femme n'était pas à proprement parler objet de culte, mais la féminité, oui, et le matriarcat n'a pas été un modèle universellement répandu, dont il faut constater qu'il s'est raréfié, même s'il en reste des traces. La patrilinéarité me semble avoir atteint son maximum conceptuel en Europe lorsqu'après la découverte des spermatozoïdes au microscope au XVIIème, on a considéré qu'ils renfermaient des homoncules tout formés qu'il ne restait plus qu'à semer dans le terreau fertile (ou pas) que contenait la femme. Il a fallu encore presque deux siècles pour envisager la fusion nucléaire des gamètes. 
    L'exemple de la "Vénus" gavée que tu cites m'a fait penser à quelque chose que j'ai lu voilà longtemps concernant les goûts des Bochimans en matière de femmes : plus elles sont rebondies, mieux c'est. Une assurance-vie pour les enfants. Cette coutume n'a pas à mon avis de rapport avec un culte de la femme, mais plus probablement avec celui de la féminité féconde en tant que puissance assurant l'avenir du groupe et combinant les deux principaux éléments de la préservation de l'espèce : la nourriture et la sexualité. Y a-t-il jamais eu de culte de la femme, d'ailleurs ? Culte de divinités féminines symboliques, certainement, mais dans les faits, une toute autre affaire. 

    Mea culpa

    Bel anachronisme de ma part sur nos cousins germains d'Angleterre... J'en ferai d'autres, sans nul doute. Merci pour avoir remis le temps dans le bon sens.

    Du bon usage des runes

    Je sais pertinemment que mon sujet peut induire une certaine méfiance. Je fais avec. Et je suis toujours circonspecte quand j'entre sur un autre site qui en traite, parce que le dérapage peut être très rapide : j'ai quelquefois visité des sites qui commençaient par Wotan et finissaient par Hitler. Par contre, les quelques rares néo-nazis avec lesquels j'ai eu l'occasion de m'entretenir (directement, pour le coup, je ne crois pas que je le pourrais à l'écrit) ne m'ont pas paru tellement en souffrance, juste pétris de certitudes basées sur des théories que je ne partage pas. Tout comme les Témoins de Jehovah avec lesquels je discute de temps à autre.
    Le sens de l'honneur, le courage du guerrier (un guerrier est pour moi autre chose qu'un militaire), et l'intégrité intellectuelle, autant que possible - je ne parle pas de morale -, sont des valeurs qui me paraissent plus que jamais nécessaires. Mais pas très à la mode, et pas toujours comprises, ou alors comme celles d'une réactionnaire. Il est clair que mon thème a été marqué d'un sceau d'infamie. Mais je passe souvent sur U tube et je suis toujours surprise de lire certains commentaires : la musique celtique, nordique ou même médiévale est taxée fréquemment d'être vectrice d'une idéologie rétrograde, et en général, en 2 comms, le point Godwin est atteint, alors que ceux qui ont mis les morceaux en ligne ne professaient le plus souvent rien sinon d'écouter la musique qui leur plaît. Ce terrorisme a contrario m'indispose presque autant que la récupération dont tu parles. 

    Réponse carrément longue à venir, pas seulement faute de temps, mais j'entre doucement en hibernation... @+

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