• Futhark

    The rune (How far to Asgard). Tyr.

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    Pierres runiques

     

    Sur les quelques 6000 inscriptions runiques découvertes en Scandinavie, 3000 sont portées par des pierres levées, érigées entre le IVème siècle et la fin de l'ère viking (commodément datée de 1066, bataille d'Hastings), quelquefois jusqu'au XIIème siècle. 

    Elles appartiennent à une tradition religieuse relevée à la fois dans l'Ynglinga Saga et dans les Havamal : 

    "Un tumulus funéraire devrait être érigé à la mémoire de tout homme de quelque importance, et une pierre levée pour tout autre guerrier s'étant distingué par sa bravoure." (Ynglinga saga, chapitre 8)

    Mieux vaut avoir un fils, fut-il né trop tard, / Après la mort de son père. / La pierre commémorative se dresse rarement au bord de la route, / Si le parent ne l'érige au parent. (Havamal, strophe 72).

     

    runes, gravure

    Graveur de pierre. Louis Moe.

     

    Les pierres runiques, en fonction des inscriptions qu'elles portent, peuvent être classées en différentes catégories : 

     - les pierres funéraires, de loin les plus nombreuses,

     - les pierres commémoratives d'expéditions, soit vikings (schématiquement vers l'ouest), soit varangiennes (vers l'est),

     - les pierres à la gloire de soi-même,

    - les pierres votives d'affirmation de la foi en Christ, commémoratives de conversions...

    - les pierres magiques : malédictions ou bénédictions,

    et enfin toutes sortes de pierres diverses dont certaines portent des inscriptions qui s'apparentent à des graffitis.

    Il n'entre pas dans mes intentions d'en faire une revue exhaustive. Mais ce que j'ai lu de certaines, ou leur aspect, car elles peuvent être de très beaux objets, m'a intéressée. Je vous en présente donc quelques-unes parmi celles qui ont retenu mon attention. Elles sont parfois nommées dans les textes "bornes" ou "ponts".

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    Les Pierres Funéraires

     

    Elles peuvent ou non marquer l'emplacement d'un tombeau et sont le plus souvent érigées en mémoire du défunt par un proche. Elles constituent autour de 90% des pierres runiques. Elles ont apparemment commencé à proliférer après 960, lorsque Harald Ier Dent-Bleue, roi de Danemark, fit élever à Jelling une pierre à la mémoire de Gorm, son père, à côté de celle que ce dernier avait fait ériger pour son épouse, Thyra. Cet effet de mode s'est étendu en fonction des régions sur une à plusieurs générations. Ces deux pierres sont très célèbres et classées au patrimoine mondial de l'Unesco.

     

    Futhark, Runes et Magie 

    Pierres de Gorm l'Ancien et Thyra à Jelling, devant le tumulus funéraire.

     

    Mais les pierres funéraires runiques existaient bien avant.

     

    La pierre runique de Möjbro (Uppland, Suède) 

    Cette pierre de granite grossier de 2,46 m de haut est datée d'entre 400 et 550, donc de la première période des pierres runiques. Elle est remarquable par la qualité graphique à la fois simple et expressive du tracé de son image: un guerrier armé d'une épée, casqué, à cheval et accompagné de deux chiens. Le style évoque les images germaniques continentales inspirées du style du bas empire romain tardif. 

     

    Futhark, Runes et Magie

     

    et pour plus de lisibilité :

    Futhark, Runes et Magie

     

    Comme souvent sur les inscriptions anciennes, le futhark se lit de droite à gauche, et dans ce cas, en commençant en bas à droite, ce qui donne : "Frawaradaz anahaha i slaginaz." Frawaradaz est probablement un nom. I slaginaz signifie selon toute vraisemblance "est mort" : anglais : to slay, slaughter, suédois et norvégien "slaget" = bataille... et même "est mort à la bataille", si on en croit l'aspect martial de l'illustration. Anahaha n'est pas élucidé : incantation, mort "sous la grêle" (de flèches), lamentation ?

    Frawaradaz est donc mort à la bataille.

     

    La pierre runique de Karlevi (Öland 1)

    La pierre de Karlevi, en granite, est datée du Xème siècle et se trouve sur l'île de Öland (Suède). Elle serait juste postérieure à la bataille de Fyrisvellir, qui a opposé le roi Erik le Victorieux de Suède et son neveu Styrbjörn le Fort (Björn Olafson) vers 980. Elle est l'un des supports les plus anciens de vers scaldiques. Elle est en effet rédigée partiellement en prose, et partiellement en drottkættar, mètre de l'âge du fer, drott signifiant "chef de groupe" : c'est le mètre des chefs et des seigneurs. C'est le seul exemple de pierre sur lequel figure une strophe scaldique complète, et elle a probablement été élevée par des guerriers à la mémoire de leur chef.  

     

    Futhark, Runes et Magie

     

    Les strophes en drottkvaett sont constituées de huit lignes de six syllabes, chacune comprenant trois accentuations, deux ou trois allitérations, et s'achevant par une trochée (une longue, une courte). Les vers impairs devaient en plus renfermer des rimes partielles consonantiques avec voyelles dissemblables, et les lignes paires des rimes syllabiques internes.

    Le texte renferme également deux kenningar.

    Transcription et translittération

    S[t]æ[inn] [sa]s[i] es sattr æftiR Sibba Goða, sun Fuldars, en hans liði satti at ... 

     Fulginn liggR hinns fylgðu, / flæstr vissi þat, mæstaR / dæðiR dolga ÞruðaR / draugR i þæimsi haugi; / munat Ræið-Viðurr raða / rogstarkR i Danmarku / [Æ]ndils iarmungrundaR / uRgrandaRi landi

    Folginn liggr hinn’s fylgðu / (flestr vissi Þat) mestar / Dáðir dolga Þrúdar / Draugr í Þeimsi haugi / Mun-at reið-Viðurr ráda / Rógstarkr í Danmǫrku / Endils iǫrmungrundar / Ørgrandari landi.

    Traduction : 

    "Cette pierre a été dressée en mémoire de Sibbi le Goði (ou le Bon), fils de Foldarr, et son escorte......

    Est caché celui

    Que suivaient (la plupart le savent)

    Les plus grands des exploits,

    Guerrier de Þrud dans la bataille,

    En ce tumulus.

    Jamais plus honnête,

    Plus aguerri (conducteur) des chariots de Viðurr

    Ne chevauchera au royaume de Danemark

    Aussi parfaitement

    Les puissants domaines d'Endill."

    Il existe bien sûr d'autres manières de traduire ce texte en associant différemment les expressions les unes avec les autres. C'est une des spécialités de la poésie scaldique.

    Les kenningar : dólga Þrúdar draugur signifie mot à mot : bataille, Thrud (fille de Thor), fantôme (revenant, esprit). Ce dernier mot est un heiti classique pour "guerrier", il y ajoute une dimension effrayante. L'ensemble insiste sur l'aspect effrayant de ce guerrier lors des combats, qui se bat au nom de Thrud, fille de la Force.

    reið-Viðurr associé à Endils iǫrmungrundar

     - reið-Viðurr : les chariots d'Odin, soit les navires.

      - Endils iǫrmungrundar : les puissants domaines d'Endill soit la mer.

    Le texte laisse donc penser que Sibbi était un chef, et un roi de mer, qui plus est généralement basé au Danemark. Ce qui est cohérent avec ce qu'on sait de l'histoire de Styrbjörn, devenu chef des Vikings du Jomsland, et ayant emmené avec lui à la guerre contre son oncle un fort contingent de vikings, dont certains pouvaient être Danois, mais aussi de guerriers du Danemark, qu'il avait forcé Harald Ier Gormson, roi du Danemark, à lui donner. Il est donc très possible qu'après la défaite infligée par Erik à son neveu, certains hommes de l'armée de ce dernier aient emmené ce chef et l'aient enterré sur l'île de Öland en retournant vers le sud.

     

    La pierre runique de Rök

    Cette présentation est en grande partie issue d'un article trouvé sur le net.

    La pierre de Rök est une pièce monumentale (3,50 m de haut, 4 tonnes), et porte le plus grand nombre connu à ce jour de runes gravées sur un monument : 768, de différents types. Elle se trouve sous abri à proximité de l'église de la ville de Rök (Suède), dans un mur de laquelle elle avait été recyclée en pierre de construction (phénomène plus que classique de récupération des matériaux dans des constructions nouvelles religieuses ou profanes : chapiteaux de temples grecs ou romains dans des églises, têtes de méduse dans la citerne-basilique d'Istanbul, statues-menhirs en Corse dans les Torre, maisons ou églises...). Au vu des photos (couleur, granulométrie, finesse et précision de la gravure), elle paraît en calcaire, comme d'autres pierres de construction de cette région.

    D'après le style de rune majoritairement utilisé (runes suédo-norvégienne dites "raccourcies") et l'état de la langue, elle daterait du IXème siècle. Elle est non seulement intéressante des points de vue mythologique (à propos de légendes et de Thor), historique (à propos du roi des Ostrogoths, Théodoric le grand (455 ? - 526) et littéraire (vers métrés) mais aussi du fait des 5 types de runes utilisées.

     

    Futhark, Runes et Magie

    Arrière                                         Avant

    Futhark, Runes et Magie

     

    Devant :
    Futhark suèdo-norvégien à 16 runes dites raccourcies :
    Verticales : En fornyrðislag mètre.

    Le fornyrðislag est le mètre le plus commun, utilisé dans des textes narratifs et en particulier en poésie héroïque. Tous les textes de l'Edda Poétique suivent ce mètre. Les strophes comprennent quatre lignes, chaque ligne étant partagée en deux. Chaque moitié comprend deux accentuations et une syllabe qui s'allitère avec une syllabe de l'autre moitié. Ces accentuations et allitérations peuvent apparaître n'importe où dans le vers.

     

    Nous avons d'abord une inscription commémorative à la mémoire de Vämod, puis une légende sur des trésors de guerre et terminant par l'identité d'un héros qui vivait chez les Hreidgoths (Ostrogoths).
    Horizontales (puis côté droit) : En ljóðaháttr mètre, strophe sur ce héros qui serait roi des Ostrogoths, Théodoric le grand.

    Le ljóðaháttr est un type de mètre utilisé en poésie d'enseignement et de dialogue. Les strophes sont coupées en deux parties, dont chaque moitié comprend un vers long et un vers court. Le vers long comprend quatre accentuations et deux allitérations, le vers court deux de chaque. Accentuations et syllabes allitérées peuvent se trouver n'importe où dans les vers.

     

    Derrière :
    Futhark suèdo-norvégien à 16 runes dites raccourcies :
    Horizontales puis verticales : Légende sur 23 rois de la mer en conflit pour l'île de Sjælland (Seeland, Danemark).

    Futhark à 24 runes :
    puis Verticales : Légende sur un homme de la lignée d'Ingold (Ynve-Freyr, voir Ynglinga saga) qui fut racheté par le sacrifice d'une femme.

    Runes secrètes décalées : Présentation de l'ancêtre de la lignée du défunt qui pouvait terrasser un géant. Le texte étant codé en décalant d'une rune vers la droite le futhark à 16 runes de la façon suivante :
    uþąrkh niast bmlRf vient de
    fuþąrk hnias tbmlR , avec f(3) h(2) t(1) : numéros des aett

    Horizontales : airfb frbnhn finb an tfąnh nu devient sakum| |mukmini uaim si burin| |niþ
    puis en Runes normales : troki uilin is þat puis décalées: rhfþ rhis devient knuo knat|
    puis fin en Runes normales boustrophédon : niatun uilin is þat


    puis Runes secrètes en futhark à 24 runes : le nombre de oðal(o) donnant le numéro de l'aett et le nombre de | donnant le numéro de la rune dans cette Aett :
    ( o o|| ) (o o||| ) (ihwaz ou 1/1 ) donnant : (n)(i)(é ou t )



    Transcription et traduction des textes :
    Devant :

     Verticales
    aft uamuþ stonta runaR þaR n uarin faþi faþiR aft faikion sunu.
    "A la mémoire de Vamödr se dressent ces runes et Varinn les a coloré, le père à la mémoire du fils destiné à mourir", ou : "A la mémoire de Vámóðr sont dressées ces runes / Et Varinn, le père, les grava / En mémoire de son fils mort."

    sakum mukmini þat huariaR ualraubaR uaRin tuaR þaR suaþ tualf sinum uaRin numnaR t ualraubu baþaR somon o umisum monum ' þat
    "Je dis la lége
    nde de deux butins de guerre, qui douze fois ont été butins de guerre, tous les deux de différent hommes", ou "Je raconte aux jeunes hommes l’histoire de deux butins de guerre, douze fois pris comme butin, pris tous deux par divers hommes."

    sakum onart huaR fur niu altum on urþi fiaru miR hraiþkutum auk tu miR on ub sakaR
    "Je dis cet
    te deuxième (légende), sur celui qui perdit la vie il y a neuf générations chez les Hreidgoths (ostrogoths); et mourut avec eux par sa culpabilité." ou "Je dis ceci au second (en second), qui il y a neuf générations perdit la vie par les Hreidgoths ; et mourut avec eux pour sa culpabilité."

    Horizontales (puis côté droit) : strophe sur ce héros qui serait roi des Ostrogoths, Théodoric le grand.
    raiþ þiaurikR hin þurmuþi stiliR flutna strontu hraiþmaraR sitiR nu karuR o kuta sinum skialti ub fatlaþR skati marika
    "Régnait Théodoric le hardi chef des guerriers sur le rivage de la mer de Hreid. Il est assis maintenant en arme sur son palefroi son bouclier accroché (dans le dos), le chef des Mæ
    ringa.", ou "Þjoðrikr le Courageux / Chef des guerriers de la mer, / Régna sur les côtes de l'Océan Hreið. / Maintenant il est assis armé / Sur son (cheval) goth(ique), / Son bouclier attaché, / Le prince des Mærings."


    Derrière :
    Futhark suèdo-norvégien à 16 runes dites raccourcies :
    Horizontales puis verticales : Légende (inconnue) sur 20 rois de la mer en conflit pour l'île de Sjælland.

    þat sakum tualfta huar histR si kunaR itu uituoki on kunukaR tuaiR tikiR suaþ o likia ' þat sakum þritaunta huariR tuaiR tikiR kunukaR satin t siulunti fiakura uintur at fiakurum nabnum burnR fiakurum bruþrum ' ualkaR fim ra=þulfs suniR hraiþulfaR fim rukulfs suniR hoislaR fim haruþs suniR kunmuntaR fim (b)irnaR suniR * nuk m--- (m)-- alu --(k)(i) ainhuaR -þ... ...þ ... ftiR fra
    "Je dis cette douzième où le cheval de Gunnr voit les fourrages du champ du bataille là où vingt rois reposent. Ceci je le dis en treizième que vingt rois régnèrent sur Sjælland pendant quatre hivers, de quatre noms, nés de quatre frères, cinq Valkis, fils de Hráðulfr, cinq Hreiðulfrs, fils de Rugulfr, cinq Haisl, fils de Horðr, cinq Gunnmundrs, fils de Bjorn. Maintenant m---- quelqu'un....." ou "
    Je dis ceci au douzième, où le cheval de Gunnr voit les fourrages du champ de bataille, là où vingt rois reposent. Ceci je le dis en tant que treizième, que vingt rois régnèrent sur Sjólund pendant quatre hivers, de quatre noms, nés de quatre frères : cinq Valkis, fils de Hráðulfr, cinq Hreiðulfrs, fils de Rugulfr, cinq Háisl, fils de Hôrðr, cinq Gunnmundrs/Kynmundrs, fils de Bjôrn. Maintenant je raconte le conte en entier. Quelqu'un ..."


    Futhark à 24 runes : puis Verticales : Légende sur un homme de la lignée d'Ingold qui fût racheté par le sacrifice d'une femme.
    sagwm mogmeni (þ)ad hOaR igOldga OaRi gOldin d gOonaR hOsli
    "Je dis la légende de celui de la lignée d'Ingold qui a été racheté par le sacrifice d'une femme" ou "Je raconte le conte populaire / au jeune homme, dont la lignée d’Ingold fut réparée par le sacrifice d'une épouse."


    Runes secrètes décalées :
    airfb frbnhn finb an tfąnh nu devient sakum mukmini uaim si burin niþ troki uilin is þat knuo knat niatun uilin is þat
    "Je dis la légende de celui dont je suis né de la descendance d'un homme. C’est Vélinn qui pouvait écraser un géant. C’est Vélinn
    " ou "Je raconte le conte populaire / au jeune homme, à qui est né un parent, un homme vaillant. C’est Vélinn. Il pouvait écraser un géant. C’est Vélinn..."


    Côté gauche :
    Runes secrètes à branches (Isaz ou Ihwaz) :
    sakum mukmini þur
    "Je dis la légende de Thor" ou "Je raconte la légende de Thor au jeune homme" (suite du paragraphe précédent, Vélinn ?)


    Dessus :
    Runes secrètes à branches en croix :
    sibi uiauari ul niruþR.
    "Sibbi, le gardien du sanctuaire, engendra à 90 ans" ou "Sibbi de Vé, nonagénaire, engendra."

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    Les Pierres commémoratives d'expéditions

     

    Elles sont généralement érigées à la mémoire de ceux qui ne sont pas revenus, et non à la gloire de ceux qui sont revenus, qu'ils soient partis vers l'ouest ou vers l'est.

     

    Södermanland 164

    Cette pierre runique se trouve à Spanga et comporte des runes à longues branches et des runes raccourcies. L'illustration est un navire dont le mât est une croix stylisée. Le texte également est en relation avec la navigation.

     

    Futhark, Runes et Magie

     

    Translittération et transcriptionkuþbirn : uti : þaiR r(a)isþu : stan þansi : at : kuþmar : f(a)þur : sin : stuþ : triki:l(a) : i * stafn skibi : likR uistarla uf huln sar tu : Guðbiorn, Oddi, þæiR ræisþu stæin þannsi at Guðmar, faður sinn. Stoð drængila i stafn skipi, liggR vestarla of hulinn(?), saR do.

    Traduction : "Guðbjôrn et Oddi, ont érigé cette pierre en mémoire de Guðmarr, leur père. Celui qui est mort était un vaillant membre d'équipage d'un navire ; il est inhumé dans l'ouest."

    Elle est rédigée en vers allitératifs. Elle est attribuée à un nommé Traen, maître des runes de la région. 

     

    Pierre Runique de Tibble (Uppland 611)

    Cette pierre se trouve à Tibble. Elle a été érigée en mémoire d'un homme mort dans la troupe d'un chef viking nommé Freygeirr.

     

    Futhark, Runes et Magie

     

    Translittération et transcription biurn : auk : stnfriþ : litu : arisa s--n : afti : kisila : han : uti : fial : i liþi : frekis*: Biorn ok Stæinfrið letu ræisa s[tæi]n æftiR Gisla. Hann uti fioll i liði FrøygæiRs(?).

    Traduction : Bjôrn et Steinfríðr ont érigé la pierre en mémoire de Gísli. Il tomba à l'étranger, dans la suite de Freygeirr. 

     

    Pierre gravée de runes de Norby (Uppland  898). 

    Il ne s'agit pas d'une pierre runique à proprement parler, mais d'une inscription dans une forme de serpent sur un rocher plat à Norby. Elle a été gravée en mémoire de trois hommes dont un est mort dans l'est. Le texte est signé.

     

    Futhark, Runes et Magie

     

    Translittération et transcription : ali ' uk ' iufurfast * litu ' gera ' merki ' iftiR iarl faþur sin ' uk ' at ' kisl ' uk ' at ' ikimunt han ' uaR ' trebin ' hustr ' sun ' iarls ybiR risti : Ali ok Iofurfast letu gæra mærki æftiR Iarl, faður sinn, ok at Gisl ok at Ingimund. Hann vaR drepinn austr, sunn Iarls. ØpiR risti. 

    Traduction : "Ali et Jofurfast ont fait faire cette borne en mémoire de Jarl, leur père, et en mémoire de Gisli et en mémoire d'Ingimundr. Lui, fils de Jarl, est mort dans l'est. Gravé par Öpir."

     

    Södermanland 65

    Cette pierre runique incomplète, élevée à la mémoire d'un homme mort à l'étranger, spécifie le lieu de son décès : le pays des Lombards. Elle est rédigée en ce que Snorri dénommait le hinn skammi hattr (le vers bref) dans le Hattatal.

     

    Futhark, Runes et Magie

     

    Translittération et transcription : [inka : raisti : stain : þansi : at : ulai](f) : sin : [a...k] : han : austarla : arþi : barþi : auk : o : lakbarþilanti : [anlaþis +] : Inga ræisti stæin þannsi at Olæif sinn ... Hann austarla arði barði ok a Langbarðalandi andaðis.

    L'expression arði barði signifie : "labourer avec sa proue" (de son navire). C'est une expression classique en poésie scaldique pour exprimer un voyage en bateau au long cours. De même, andaðis, "rencontrer sa fin" pour mourir, était très fréquemment employée, tant en prose qu'en versification.

    Traduction : Inge a fait élever cette pierre en mémoire d'Oleif, son.... Il est parti labourer avec sa proue dans l'est, et a rencontré son destin dans le pays des lombards.

     

    On ne saura jamais qui était Oleif pour Inge, mais on peut supposer qu'il s'agissait de son mari, les filles faisant rarement ériger des pierres pour leur père, tâche dévolue plutôt aux épouses et aux fils.

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    Les Pierres Votives

    Elles signent le plus souvent la conversion au christianisme, et sont donc généralement tardives, et parfois expatriées.

     

    Pierre de Frösö

    Elle est datée des années 1030-1050, est la plus septentrionale des pierres runiques, et la seule connue du Jamtaland (aujourd'hui Jamtland, district de l'ouest de la Suède).

    Elle présente à la fois un Ouroboros bien caractéristique : le serpent du monde qui se mord la queue, et une croix chrétienne.

     

    Futhark, Runes et Magie

     

    Transcription et translittération normalisée : austmoþr kuþfastaR sun lit rai...rais... .....-n þino auk kirua bru þisa auk hon lit kristno eotalont .. osbiurn kirþi bru triun raist auk tsain runoR þisaR: : Austmaðr, Guðfastar sun, lét raisa stainn þenna, auk gerva brú þessa, auk hann lét kristna Jamtaland. Ásbjörn gerði brú. Trjónn raist, auk Stainn, rúnar þessar.

    Traduction : Austmadr, fils de Gudfast, a fait ériger ce pont (cette pierre) et a christianisé le Jämtland. Asbjorn a taillé la pierre. Trjonn et Steinn ont gravé ces runes.  

     

    Pierre Runique de Risbyle (Uppland 160).

    Cette pierre a été élevée à proximité de Risbyle pour Ulf de Skolhamar par ses enfants Ulfketill, Gyi et Unni. On pense que le graveur des runes était Ulf de Baristadir, un maître des runes célèbre de la région.

     

    Futhark, Runes et Magie

     

    Transcription et translittération : ulfkitil * uk * kui uk + uni + þiR × litu * rhisa × stin þina * iftiR * ulf * faþur * sin * kuþan on * buki * i skul(o)bri * kuþ * ilbi * ons * at * uk * salu * uk * kusþ muþiR * li anum lus * uk baratis : Ulfkætill ok Gyi ok Uni þæiR letu ræisa stæin þenna æftiR Ulf, faður sinn goðan. Hann byggi i Skulhambri. Guð hialpi hans and ok salu ok Guðs moðiR, le hanum lius ok paradis.

    Traduction : "Ulfketill et Gyi et Unni, ils ont élevé cette pierre à la mémoire de Ulf, leur bon père. Il vivait à Skolhamar. Puisse Dieu et la Mère de Dieu aider son esprit et son âme ; puissent-ils lui octroyer la lumière et le paradis."

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    Les Pierres Personnelles.

     

    Elles ont été élevées de leur vivant par des hommes désireux d'exposer leurs hauts-faits, la vantardise n'étant pas considérée comme un défaut dans cette société.

     

    Le pont de Jarlabanke.

    L'ensemble des pierres runiques de Jarlabanke est un exemple typique et démultiplié d'auto-louange. Le pont, érigé au XIème siècle à Taby, en Suède, comprend vingt pierres dont certaines écrites en norrois en nouveau futhark. Elles ont été élevées de son vivant par un hersir (chef de cent hommes, nommé par le roi) appelé Jarlabank Ingefastson, chrétien, propriétaire de la localité, bâtisseur de ponts et de routes, descendant d'une famille prospère (noms des membres de quatre générations sur les pierres) et organisateur de Thing. Un homme puissant, donc, et fier de l'être.

     

    Futhark, Runes et Magie

    Le pont de Jarlabanke

     

    Uppland 164

    Cette pierre a été érigée par Jarlabanke de son vivant à sa propre gloire et à sa mémoire. C'est la pierre en bas à droite de la photo ci-dessus.

     

    Futhark, Runes et Magie

     

    Transcription et translittération : × iarlabaki × lit × raisa × stain × þisa × at sik × kuikuan ×× auk bru × þisa × karþi × fur ont × sina × auk ain ati × alan × tabu × kuþ hialbi ont hans : Iarlabanki let ræisa stæina þessa at sik kvikvan, ok bro þessa gærði fyr and sina, ok æinn atti allan Tæby. Guð hialpi and hans.

     Traduction : Jarlabanke a fait élever ces pierres à sa propre mémoire durant sa vie, et a fait bâtir ce pont pour son esprit, lui qui possédait seul tout Tábýr. Puisse Dieu aider son esprit.

     

    Pierre runique d'Örby (U1011)

    Cette pierre gravée au XIème siècle, a été trouvée à Örby (Rasbo, Suède).

     

    Futhark, Runes et Magie

     

    Transcription : Vígmundr lét hôggva stein at sik sjalfan, slœgjastr manna. Gudh hjalpi sál Vígmundar stýrimanns. Vígmundr ok Áfrídhr hjoggu merki at kvikvan sik.

    Traduction : "Vigmund a fait graver cette pierre en mémoire de lui-même, le plus habile des hommes. Puisse Dieu aider l'esprit de Vigmund le Capitaine. Vigmund et Afridh ont fait graver cette borne en mémoire d'eux-mêmes de leur vivant."

    Vigmund le Capitaine était un homme content de lui-même...

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    Les Pierres Magiques 

     

    Elles sont plutôt rares.

     

    La pierre runique d'Elgesem (Vestfold, Norvège).

    Cette pierre a été trouvée dans un tumulus funéraire. Elle est datée du début du Vèmesiècle. Elle est particulière en ce sens qu'elle ne porte pas de nom, seulement la formule magique rituelle ALU, à lire de droite à gauche et de haut en bas (voir l'article sur les bractéates). Elle était probablement destinée à protéger l'hôte du tumulus, et peut être assimilée soit à une pierre magique, soit à une pierre funéraire..

     

    Futhark, Runes et Magie

     

    La pierre runique de Björketorp

    Cette pierre très étrange, datée de la 2ème moitié du VIIème siècle, présente deux panneaux portant les inscriptions en runes mixtes (elder et younger futhark).

     

    Futhark, Runes et Magie

     

    Transcription :

    (côté nord-ouest) A : uþarabasba

    (côte sud) B1 : haidRruno ronu

    B2 : falahak haidera g

    B3 : inarunaR arageu

    B4 : haeramalausR

    B5 : uti aR weladaude

    B6 : saR þat barutR

    Traduction : la plus communément admise est la suivante :

    A : Prophétie de malheur

    B1 : La rangée des runes brillantes

    B2 : J’ai préservée ici,

    (le ‘g’ final de B2 est associé au début de B3 pour produire le mot ‘gina’ = porteur de magie)

    B3 : Runes porteuses de magie. Par l’ergi

    B4 : Sans repos

    B5: A l’étranger, une mort malicieuse

    B6: A qui ceci détruit (ce monument).

    Ce qui peut donner selon les runologistes classiques : "Par la rangée des runes brillantes apportant une malédiction, je préserve ici les runes porteuses de magie. Par l'ergi sans repos l'étranger qui détruira ceci subira une mort malicieuse."

    Cette pierre promet donc malédiction et mort à celui qui détruira ce monument, les deux en devenant "ergi". L'ergi, arageu, correspond au comportement de l'élément "passif" dans un couple lors de l'acte sexuel, et était considéré comme une grande honte dans la civilisation nordique lorsqu'il était présenté par un homme. Mais cet avis nous est donné dans la rédaction des sagas et documents par des auteurs bien plus tardifs et déjà christianisés. D'un autre côté, ce comportement était également une conséquence de la pratique de la magie, notamment du Seidr. C'est même la raison pour laquelle cette pratique magique du Seidr était réservée aux femmes, car il était honteux pour un homme d'être ainsi privé de sa virilité :

     - voir la Lokasenna : "Loki à Odin : - Tu as pratiqué, à ce qu'on dit, la magie noire à Samsey, et tu as frappé aux portes comme les völva sous la figure d'un sorcier, tu volas par-dessus le peuple-des-hommes, et cela est, ce me semble, le propre d'un efféminé",

     - ou l'Ynglinga Saga : "Mais l'usage de cette sorcellerie était suivi d'une telle faiblesse et d'une telle détresse qu'il n'a pas été jugé convenable pour les hommes de la pratiquer. Ce furent donc les prêtresses qui furent instruites dans cet art."

    On peut donc placer la ponctuation différemment, ce qui change le sens de la phrase : "Par la rangée des runes brillantes apportant une malédiction, je préserve ici les runes porteuses de magie grâce à l'ergi. Sans repos l'étranger qui détruira ceci subira une mort malicieuse." Dans ce cas, celui qui a inscrit les runes prévient qu'étant ergi, il pratique lui-même le seidr à la perfection puisqu'il dispose de la puissance/faiblesse féminine nécessaire pour que sa magie soit efficace. Il se vante de son pouvoir avec un argument d'autant plus imparable que c'est le seul cas où l'ergi était considéré comme en connexion avec une quelconque puissance. Sinon, nul n'aurait eu l'idée de s'en prévaloir.

    La phrase n'étant pas ponctuée sur la pierre, elle peut cependant avoir les deux sens, ce qui serait bien dans le style ambivalent des lettrés de l'époque.

     __________________________________________

     

    Les Graffitis

     

    Comme beaucoup, et peut-être encore plus que les autres à cause de l'importance de la réputation (gloire, célébrité...) dans leur culture, les vikings ont tenu à laisser leur marque où ils passaient. 

     

    Le Lion du Pirée ou Lion de l'Arsenal.

    Cette statue représentant un lion assis gueule fermée fait partie d'un groupe de quatre fauves sculptés au deuxième siècle en Grèce dans des blocs de marbre athénien, et autrefois placés à l'entrée du port du Pirée. Il se trouve à présent à l'entrée de l'arsenal de Venise, où il a été emporté par Francesco Morosini (doge de Venise) en 1687. C'est aussi ce bienfaiteur de l'histoire de l'art qui a fait sauter le Parthénon au mortier pour le reprendre aux Turcs, qui y avaient stocké leurs réserves de poudre...

    Ce lion porte des inscriptions runiques, identifiées comme telles en 1800 par le Suédois Akerblad.

     

    Futhark, Runes et Magie

    Futhark, Runes et Magie

     

    Cette inscription, longtemps restée mystérieuse, a été réalisée en 1040 par des mercenaires d'origine scandinave qui travaillaient pour l'empereur de Byzance, Michel IV le Paphlagonien, et avaient été envoyés à Athènes réprimer une révolte des athéniens contre une levée d'impôts. Ces guerriers varangiens, de la garde impériale, ont donc voulu laisser une trace de leur passage et de leurs exploits sur les lieux, en faisant des graffitis sur cette statue.

    Tous les caractères n'étaient pas bien lisibles, et certains mots ont dû être extrapolés en fonction du nombre de caractères pouvant être gravés à l'emplacement effacé, ou à partir de ce qui semblait être écrit. A cette réserve près, les textes ont pu être transcrits ainsi, puis traduits pour la première fois en 1856 par C.C. Rafn, un danois qui a compris que ces runes formaient un texte dans une antique langue des pays du nord, encore parlée à l'époque dans des coins reculés d'Islande.

     

    Futhark, Runes et Magie

    Dessins de l'ouvrage de C.C. Rafn, "Inscription Runique du Pirée."

     

    Il en a donc fourni une transcription et une traduction (en gras, ce qui est vraiment lisible, en maigre, ce qu'on devine/extrapole en regardant la pierre en lumière rasante) : 

    Côté gauche : Hakun : van : Þir : ulfr : auk : asmudr : auk : aurn : hafn : Þesa : Þir : men : lagÞu : a : u: haradr : hafi : ufiabuta : uprarstar : vegna : grikiaÞiÞs : varÞ : dalk: nauÞugr : i : fiari : laÞum : egil : var : i : faru : miÞ : ragnarr : til : rumaniu …... auk : armeniu.

    "Hakon avec Ulf et Asmund et Orn, a conquis ce port. Ces hommes et Harald le Grand ont imposé une amende considérable à cause de l'insurrection du peuple grec (ont reçu de fortes sommes à cause de la révolte du peuple grec). Dalk est resté captif dans des contrées éloignées. Egil est parti en campagne avec Ragnar en Roumanie …. et Arménie."

     

    Côté droit asmudr : hju : runar : Þisar : iskir : auk : Þurlifr : ÞurÞr : auk : ivar : at : bon : harads : hafa : Þuat : grikiar : uf : hugsaÞu : auk : banaÞu :

    "Asmund grava ces runes avec Asgeir et Thorleif, Thord et Ivar, à la demande d'Harald le Grand (à la haute stature), bien que les grecs considérant la chose l'aient interdite (bien que les grecs s'y opposèrent)."

    Certains ont voulu voir dans le chef de cette équipe Harald Hardradi Sigurdarson (futur Harald III de Norvège, dit "le Dernier des Vikings"). Cette année-là, il était en Méditerranée, normalement en Sicile ou en Afrique du Nord, aux imprécisions de dates près... Il n'était cependant toujours pas remonté en Norvège, et il ne semble pas impossible qu'il ait été chargé de cette mission.

     

    Mais d'autres auteurs ont ultérieurement donné d'autres transcriptions et d'autres traductions, comme Erik Brate en 1914:  

    hiuku þir hilfninks milum hna en i hafn þesi þir min eoku runar at haursa bunta kuþan a uah riþu suiar þita linu fur raþum kul uan farin

    tri(n)kiar ristu runar 

    [a rikan strin]k hiuku þair isk[il-] [þu]rlifr

    litu auka ui[i þir a] roþrslanti b[yku] - a sun iuk runar þisar. ufr uk - li st[intu] a[t haursa] kul] uan farn.

    Ce qui donne

    "Ils ont tranché ses forces par le milieu. Mais dans le port, les hommes ont gravé des runes près de la mer en mémoire de Horsi, un bon guerrier.

    Les Suédois ont inscrit ceci sur le lion (note : les varangiens étaient le plus souvent suédois, les norvégiens partant plutôt vers l'ouest)

    Il a continué son chemin avec un bon conseil, il a gagné de l'or dans ses voyages.

    Les guerriers ont gravé les runes, ils les ont taillées sur un manuscrit ornemental.

    Askel (et d'autres) et Thorleif les ont bien gravées, eux qui vivaient à Rosklagen. (Inconnu) les a coloré en mémoire de Horsi. Il a gagné de l'or dans ses voyages."

    Cette version est certainement plus détachée de la connaissance des événements historiques et moins influencée par elle. Mais il y a fort à parier que, l'érosion aidant, le sens réel de cette inscription ne demeure à jamais une énigme.

     

    Les Graffitis d'Hagia Sophia.

    La grande église de Constantinople, ville d'attache de la tagma des varègues, la garde varangienne des Empereurs grecs, porte au moins deux graffitis dont la nature runique d'origine scandinave est avérée, et cinq autres qui sont encore à l'étude.

    Le plus célèbre est le nom d'Halfdan : -ALFTAN, gravé dans le courant du XIème dans la balustrade de marbre de la galerie sud (celle des impératrices) de la grande église. Le reste de l'inscription est difficilement déchiffrable, mais on peut imaginer quelque chose dans le genre : "Halfdan a gravé ces runes". Parce qu'il s'ennuyait à l'office avec ces dames ?

     

    Futhark, Runes et Magie

     

    La seconde se trouve dans une niche de la même galerie, et porte les lettres : ari:k. Cette gravure a l'air inachevée, et Ari (Arni) voulait peut-être écrire : Ari a gravé ces runes.

     

    Futhark, Runes et Magie

     

    Il existe bien trop d'autres pierres, préparées à dessein, ou impromptues, qui ont servi de support à la gravure de runes, pour qu'elles soient toutes citées ici.

     

    .Futhark                                                                                                                               Futhark


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  • Futhark

    Valknut

     

    Le valknut est généralement traduit par "nœud des morts", ou plus justement "nœud des guerriers occis" : de knut, le nœud (knot en anglais, knoten en allemand, hnut en islandais...), et val , le guerrier tombé au combat, donc pas n'importe quel mort, racine que l'on retrouve dans Valhöll (la halle des guerriers tombés au combat), Valfather (un des noms d'Odin: père des guerriers tombés au combat), Valfreyja (laquelle Freyja avait droit à la moitié des guerriers tombés au combat), Valkyrie...

    Il s'agit d'une figure géométrique à base de triangles enchevêtrés, mais avec une continuité dans la construction.

    Valknut

     

    La première représentation semble dater du VIIème siècle, mais on en trouve en particulier sur les pierres historiées du Götland.

     

    Scène historiée sur la pierre de Larbro

    Valknut

    Valknut

     

    Sur cette scène, le guerrier mort au combat touché par le valknut semble appelé à gagner la Valhöll.

    On en a retrouvé également une représentation sur une pièce de châlit de la litière funéraire présente dans le navire d'Oseberg (autour de 820).

     

    Valknut              Valknut

     

    Détails d'un montant de lit funéraire trouvé dans le navire d'Oseberg.

     

    Le valknut serait une représentation des interconnexions entre les neufs mondes, au niveau des intersections, par les racines d'Yggdrasil. Il s'agit d'un symbole odinique évoquant la mort en tant que libération de l'âme, qui peut ainsi regagner la place qui lui échoit. D'aucuns y voient également une symbolique de cyclicité de la vie et de métempsychose. On peut penser aux différentes sagas d'Helgi, mais rien n'est démontré quant à la place de cette croyance chez les anciens scandinaves.

    Le valknut présente enfin une parenté formelle avec le Cœur de Hrungnir et certains nœuds celtiques à base triangulaire.

     

    Et quand je mets la main sur de la pâte fimo... 

    Valknut

     

     valknut                                                                                                                                                             valknut


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  • Futhark

    Dédicace spéciale à Bertrand, "Verktyg Vargulfr"

     

     Algir Stien Klarnar, Wardruna

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    De l'âme des Vikings

     

    ... ou plutôt, des âmes des Vikings.

    Car chez les anciens scandinaves, pourtant réputés parfaitement ancrés dans le réel et le pragmatisme, pour lesquels religion et respect de la Loi n'étaient que des aspects d'une même ligne de conduite, existaient au moins cinq termes différents pour délimiter l'âme. Si peuvent être laissés de côté, d'après Régis Boyer, les termes sál, du vieux germanique (Seele en allemand, soul en anglais, la psychè, la pensée individuelle) et önd ou andi (le souffle vital, l'haleine, directement importé de la notion d'anima latine), dont les concepts nous sont assez facilement accessibles, restent tout de même trois vocables norrois pour désigner ce concept : hugr, hamr et fylgia. Qui ont des sens et des fonctions différents, probablement bien plus anciens que celui de l'"âme" au sens chrétien, et plus originaux.

     

    LE HUGR

    Le hugr, tout d'abord, le plus vaste, le plus général, est l'âme du monde partagée par tous et correspondant au mana polynésien, puissance spirituelle du groupe, et au Manitou amérindien, esprit de l'esprit, le grand tout immatériel. Il s'agissait d'un flux spirituel baignant la réalité, se manifestant soit spontanément, soit par l'intermédiaire d'une volonté expressément dirigée dans ce sens. Le hugr est généralement impersonnel et collectif, conscience et savoir à la fois. C'est par lui que surviennent les rêves, les présages, c'est par lui que l'on est courageux (ou couard si on y a peu accès), sensé (ou fou, si on en a été privé), habile parleur ou non.
    Il n'est pas sans rapport avec la connaissance : Hugin, corbeau d'Odin, est dépositaire de la Connaissance, celle qui permet de réagir, d'anticiper. Il dépasse l'individu. 

    Il est probablement la conception la plus primitive que les hommes purent avoir de l'immatériel de leur conscience, et de la rapidité de la pensée : celui qui vainc Thjalfi à la course lors du voyage de Thor chez Utgardaloki se nomme Hugi.

    Ses manifestations sont toujours actives, qu'elles soient spontanées, tout comme on dit aujourd'hui que se gratter la paume de la main est signe de rentrée d'argent, ou orientées par un malveillant ordinaire. Les nordiques croyaient que lorsqu'on avale de travers en buvant, c'est dû à l'envoi du hugr de quelqu'un qui envie le fait de boire. Le fait d'éternuer n'est pas bon signe, quelqu'un vous veut du mal, et si l'on se gratte le cou, c'est présage d'une mort prochaine par décollation. La démangeaison du nez signifiait que quelqu'un vous attendait, celle des doigts annonçait une visite, main droite pour un homme, main gauche pour une femme... Tous les gestes réflexes procédaient du hugr, qui mordait ainsi le destinataire. Qui mordait...

    En effet, les rêves mettant en jeu des créatures maléfiques comme les loups signaient souvent qu'un ennemi avait à votre encontre des pensées peu amènes, et que sa partie de hugr prenait symboliquement la forme d'un loup, classique pour figurer le méchant dans ce monde. En tant que puissance psychique présente partout, le hugr est bien commode pour les mages et magiciennes qui savent le manipuler afin de nuire à leurs ennemis. On disait d'eux qu'ils "chevauchaient le hugr", le domptait, et il en reste dans l'imaginaire collectif (hugr aussi ?) ces illustrations de sorcières montant des loups ou des balais (simplification extrême du loup ou du cheval, dont ne reste que la queue), pendant la nuit. Une des plus connues chez les nordiques était Hyrrokkin, la sorcière qui maudit Helgi (Helgakvitha Hjorvarthsonnar) et poussa à l'eau le navire funéraire de Baldr après lui avoir jeté un sort l'immobilisant... au grand dam de Thor qui, vexé de l'inutilité de sa force, la tua d'un coup de marteau.

     

    hugr, hamr, fylgia            hugr, hamr, fylgia

     Hyrrokkin                                                                                              Carabosse ?

     

    Un des exemples les plus caractéristiques de cet usage maléfique du hugr est celui du meurtre à distance du roi Vanlandi par la sorcière Huld par la matérialisation de l'esprit : "Driva paya la sorcière Huld pour qu'elle ensorcèle Vanlande afin qu'il revînt en Finlande, ou bien qu'elle le tue. Lorsque l'œuvre magique fut accomplie sur Vanlande, qui était à Uppsala, un grand désir le submergea de se rendre en Finlande. Mais ses amis et conseillers l'en dissuadèrent, et lui dirent que c'était la sorcellerie du peuple Finn qui se manifestait dans son envie d'aller là-bas. Alors il fut pris de torpeur, et se coucha pour dormir. Mais il dormait depuis peu de temps lorsqu'il se mit à crier, disant que la Mara le piétinait. Ses hommes se hâtèrent pour l'aider, mais lorsqu'ils lui prirent la tête, elle lui foulait les jambes à les briser, et lorsqu'ils lui saisirent les jambes, elle lui appuya sur la tête de sorte qu'il en mourut." (Pour savoir pourquoi Driva voulait voir revenir Vanlande en Finlande ou le tuer, voir Ynglinga saga 16, Snorri Sturluson). Huld commence par lui envoyer par le hugr une grande envie d'aller à sa perte, puis finit par la "matérialisation onirique" d'une Mara, une chevaucheuse. A noter que le terme cauchemar vient de cette pratique (caucher, picard, qui signifie fouler, piétiner, et marr : jument. Nightmare en anglais, tout aussi évocateur, jument de la nuit). 

     

    hugr, hamr, fylgia

    John-Henry Füssli : the Nightmare. Un poids sur l'estomac, et un cheval.

     

    En somme, le hugr est l'âme globale, l'âme mentale (de la pensée), l'esprit du monde, auquel chacun pouvait avoir accès s'il y prêtait un peu attention et en avait la faculté : savoir décoder les signes et interpréter les rêves était de la plus haute importance, et on en rencontre de nombreux exemples, que ce soit dans des œuvres narrant des légendes, comme la Volsunga Saga, ou des écrits à vocation plus historique, comme l'Heimskringla, et jusque tardivement, même sous la plume du chrétien Snorri.

     

    LE HAMR

    Hamr et Hugr se rejoignent sur certains plans. Le hamr est la forme de l'âme, et l'on a vu que le hugr pouvait assumer également des formes symboliques complexes en fonction de la puissance et du savoir de celui qui le manipulait. Mais le hamr, au contraire du hugr, est éminemment personnel et individuel. En tant que synonyme de forme, morphologie, hamr a signifié également dès le début : membrane qui entoure le foetus, amnios. Il est donc intimement lié à l'individu, externe avant la naissance, il s'intériorise lors de cette dernière, comme une membrane immatérielle collant à l'intérieur du corps, comme un moule en creux de notre apparence, notre principe spirituel, plus proche de la notion classique d'"âme", avec des différences notables cependant.

    En effet, pour les anciens scandinaves, le hamr n'est pas confiné définitivement à l'intérieur du corps. Chez certains individus, dans certaines circonstances, il peut s'en échapper du vivant de l'homme, assumant alors une forme propre et agissant comme bon lui semble. Le hamr d'Odin était particulièrement libre, actif et polymorphe, comme il se doit pour un être capable de magie puissante : "Odin pouvait changer de forme : son corps pouvait gésir tel un mort, ou un homme endormi. Mais tout aussi bien, il se transformait en poisson, ou en ver, en oiseau, en fauve, et pouvait en un clin d'œil gagner des contrées lointaines pour vaquer à ses propres affaires ou à celles de son peuple." (Ynglinga Saga 7, Snorri Sturluson). Faculté qui n'est pas sans évoquer l'une des pratiques fondamentales du chamanisme, la désincarnation et l'incarnation animale par possession.

    Si chacun dispose d'un hamr, seuls quelques-uns possèdent cette capacité innée, constitutive, de le "faire courir", car il ne s'agit pas réellement d'une métamorphose, mais de l'expression de cette partie du soi. Les individus hamrammr, "devenus puissants par leur forme", sont particuliers, et, comme pour témoigner de l'ancienneté de cette croyance, leur hamr assume toujours la même forme animale, totémique (ours, loup, taureau, aigle...). Une volonté extérieure peut cependant les aider ou les obliger à exprimer leur hamr, par sorcellerie.

    Le Landnamabok, Sturlubok chap 350, raconte cette curieuse histoire : "Dufthark avait très fort la faculté de changer de forme, de même que Storolf de Hvall. Un soir, vers le coucher du soleil, un homme doué de seconde vue vit sortir de Hvall un gros ours et de Dufthaksholt un taureau. Les deux s'affrontèrent dans la plaine, qui fut trouvée toute retournée au matin. Et les hommes étaient tous deux blessés en s'éveillant."
    Cette forme peut également être modifiée par le changement de religion. Le prêtre Gudhmundr Arason, dans la "Saga Gudhmundar godha", se désincarne pour aller combattre et mettre en fuite une femme-troll et aider un homme, assumant sa forme de... prêtre, armé d'un goupillon. Mais le concept persiste !

    Les formes les plus courantes et les plus emblématiques sont cependant celles de l'ours (mannbjorn, homme-ours) et du loup (vargulfr, loup-loup), qui entrent aussi dans le cadre des "guerriers d'Odin", les Berserkers, dont le hamr s'exprimait pendant les combats lors d'accès de fureur sacrée. Le berserksgangr est décrit par Snorri Sturluson dans le chapitre 6 de l'Ynglinga saga : "Odin savait faire en sorte que dans la bataille, ses ennemis devenaient aveugles, ou sourds, ou frappés de terreur, et leurs armes si émoussées qu'elles ne mordaient pas plus qu'une tige de saule (voir la liste des sorts runiques dans les Havamal, Ljodatal, strophes 146-164). Par ailleurs, ses hommes à lui se ruaient à l'assaut sans broigne, comme des loups ou des chiens fous, mordaient leur bouclier, et étaient forts comme des ours ou des taureaux sauvages, et fauchaient les hommes en tempête, mais ni le feu ni le fer n'avait prise sur eux. On nommait cela berserksgangr, fureur de berserk." Le nom d'Odin signifie "fureur sacrée" (odhr en norse, wut en germanique, dans Wotan).

       * Les hommes-loups
    Cette forme recoupe amplement le mythe des loups-garous. Dans la saga d'Egill Skallagrimson, le grand-père d'Egill, nommé Ulfr, est ainsi décrit : "Quand venait le soir, il devenait farouche, en sorte que peu de gens pouvaient lui adresser la parole ; il avait envie de dormir. Les gens disaient qu'il était très hamrammr ; il fut surnommé Kveld-ulfr (loup du soir)." Dans la Volsunga saga, Sigmundr et son fils Sinjotli se transforment également en loups, après avoir revêtu des pelisses, des "formes", ensorcelées. Quelques femmes sont aussi réputées avoir eu cette capacité (Harbardsljod, strophe 39), et en ont été châtiées, tant il est vrai que le loup portait l'empreinte du chaos et du maléfice.

     

    hugr, hamr, fylgia

    Moule en bronze de Öland, représentant à gauche probablement Odin (qui ne porte pas un casque à cornes, les "cornes" étant la stylisation de ses deux corbeaux) et à droite un homme-loup, un Ulvedhinn "celui qui porte une peau de loup", tout comme berserk signifie: "celui qui porte une pelisse d'ours".

     

       * Les hommes-ours
    Lorsqu'il ne s'agit pas du loup, la forme la plus commune du hamr est celle de l'ours.

    Dans la saga de Hrolf Kraki, le roi Björn (Ours) Hringsson épouse une première femme, qui meurt après lui avoir donné un fils. Sa seconde épouse décide de libérer le hamr que ce fils porte en lui (pour se débarrasser de lui et l'envoyer "courir" en forêt) : "La forme d'ours se coula sur lui, puis l'ours sortit" (retour à l'image de l'amnios). Par la suite, il est obligé de se réfugier dans la forêt, où il vit comme un proscrit.

     

    hugr, hamr, fylgia

     Berserker d'Heroïc Fantasy

     

    Une autre façon de révéler, ou réveiller, son hamr aurait été de manger l'animal qui lui correspondait. Ainsi, dans le Landnamabok est narrée l'histoire d'Oddr : "Il y avait un homme qui s'appelait Arngeirr, qui colonisa tout le Sletta entre Havarlon et Sveinungsvik ; ses enfants étaient Thorgils, Oddr et Thrurodhr qu'épousa Steinlfr du Thjorsardalr. Dans son enfance, Oddr restait habituellement près du feu, il était un peu retardé et on l'appelait Kolbitr. Arngeirr et Thorgils s'en allèrent de chez eux par une tempête de neige pour chercher du bétail, et ne revinrent pas à la maison. Oddr alla à leur recherche et les trouva morts tous les deux : c'était un ours blanc qui les avait tués et il était en train de les dévorer quand Oddr survint. Celui-ci tua l'ours et le ramena à la maison, et l'on dit qu'il le mangea tout entier, déclarant qu'il avait vengé son père en tuant l'ours et son frère en le mangeant. Ensuite, Oddr fut méchant et difficile à traiter. Il avait un tel pouvoir de changer de forme qu'un soir, il s'en alla de chez lui dans le Hraunhofn, et vint le lendemain à Thjorsardalr (à 400 km de distance) porter secours à sa sœur que les gens du Thjorsardalr voulaient lapider à mort pour sorcellerie et magie."

    Tout homme est double, porteur de son âme interne, le hamr, originellement animal. Seuls quelques "élus" deviennent hamrammr, à la fois puissance et malédiction, ainsi que repris dans le film "le sang des vikings", où le berserker a été maudit et assume physiquement une forme d'ours-garou. 

     

    hugr, hamr, fylgia

     

    Lorsque le hamr est mieux maîtrisé, l'approche du combat provoque la fureur des guerriers d'élite et l'expression du hamr. Ainsi est décrite la bataille de Hafrsfjord (Stavanger), en 872, où se fit l'unification de la Norvège sous le règne du roi Harald à la Belle Chevelure (Heimskringla, Snorri Sturluson, poème du skalde Thorbjorn - Ours de Thor ! - Hornklofi) :

    "Et quand les navires ennemis s'approchèrent,
    Vous auriez dû entendre l'effrayant vacarme,
    Les féroces hommes-ours rugissant follement,
    Et les furieux champions en pelisse de loup,
    Hurlant comme des loups, et le bruit cliquetant
    De ces nombreux guerriers portant cotte de mailles."

    On a prêté à ces berserkers au sens large une résistance surnaturelle à la douleur et aux blessures, du fait de l'état de transe qui accompagne l'extériorisation du hamr, et au fil du temps, cette figure a été utilisée et parfois tournée en ridicule dans les sagas héroïques, où le jeune héros se devait d'occire un berserker pour prouver sa valeur, en guise d'étape initiatique dans sa vie d'homme et de guerrier.

     

     LA FYLGIA

    La fylgia, comportant la racine fylg, qui signifie suivre, accompagner, aider (allemand : fölgen, anglais : follow), désigne primitivement le placenta, la "délivre", qui suit le nouveau-né après son expulsion, et représente l'esprit qui accompagne chaque être humain après sa naissance, son "ange-gardien" dans la conception chrétienne (fylgjuengill en Islandais). Il s'agit probablement de la conception la plus ancienne des trois formes d'âmes qui sont traitées ici. Il s'agit d'un autre double spirituel du soi, parfois animal à l'origine, le plus souvent féminin par la suite, mais qui diffère du hamr par sa facilité à sortir de la personne, par son caractère extérieur. Ce moi se dédouble non chez certains seulement à la faveur de circonstances particulières, mais régulièrement, chez chacun, et peut alors être perçu dans un demi-sommeil ou lors des rêves.

    Une convergence est à noter entre "haminjia", hamr collectif de la famille détenu par le chef de famille, et "aettarfylgja", fylgia familiale, comme en témoigne la confrontation de ces deux textes:

    * Dans la Saga de Viga-Glumr, Glumr voit une nuit en rêve :"une femme s'avançant vers Thvera. Et elle était si grande que ses épaules touchaient les montagnes des deux côtés. Et il se voyait sortant de l'enclos pour aller à sa rencontre, et l'invitait à venir chez lui. Puis il s'éveilla. Tous trouvèrent étranges ses paroles quand il dit : "Ce rêve est grand et remarquable, et ainsi l'interpréterai-je : Vigfuss, le père de ma mère, doit être mort à présent, et cette femme devait être sa hamingja, qui allait, plus haute que les montagnes. Et lui, Vigfuss, était de bien des façons supérieur en distinction aux autres hommes, et sa hamingja doit se chercher un domicile par ici, là ou je suis." Or, pendant l'été, un bateau arriva en Islande, et on apprit la mort de Vigfuss." Lequel se trouvait alors en Norvège.

    Puis plus loin, Glumr ajoute : 

    "Je vis une dise de stature imposante,
    Une déesse de la coiffure, 
    Venir ici dans l'Eyjafjord, 
    Le casque sur la tête."

    * Dans l'Hallfredhar saga, au cours d'un voyage en bateau, Hallfredhr Le Skalde Difficile tombe malade : "Alors ils virent une femme marcher derrière le bateau. Elle était grande et en broigne ; elle marchait sur les vagues comme sur la terre. Hallfredhr regarda et vit que c'était sa Fylgjukona (kona = femme). Il dit : "- Je déclare que tout est rompu entre nous". Elle dit "- Thorvaldr, veux-tu de moi ?" Thorvaldr déclara que non. Alors Hallfredhr le Jeune (fils du Skalde) dit : "- Moi, je veux bien de toi." Puis elle disparut". Et Hallfredhr le Skalde mourut.

    Dans le premier comme dans le second cas, l'héritier accepte l'esprit, il y a transmission, et, dans le second texte, le détenteur actuel prend même congé de lui. Dans les deux, la visibilité de l'esprit annonce le décès, et en effet, voir sa fylgia ou celle de quelqu'un d'autre, que ce soit dans la réalité ou en rêve (la frontière entre les deux était très floue chez les Nordiques de cette époque) est signe annonciateur de la mort prochaine de son détenteur. Dans la Helgakvitha Hjorvarthsonnar, on lit : "Helgi parlait ainsi car il pressentait sa mort, parce que ses esprits protecteurs avaient rencontré Hethin lorsqu'il avait vu la femme chevauchant le loup."  Hethin ayant rapporté à Helgi qu'il avait vu les fylgjur de ce dernier, Helgi sait qu'il va mourir. Il n'y a généralement qu'une fylgia par personne, en posséder plusieurs est exceptionnel, mais Helgi est un héros exceptionnel, de son nom "le Sacré".

    Dans sa forme plus récente de femme-fylgia, cet esprit protecteur mais ambivalent, assume volontiers dans les textes une allure martiale (broigne, casque, dans les textes précédents), qui renvoie à l'image de la Valkyrie, et de là, à celle des Dises (voir l'article Jol), descendantes des géants comme les Nornes, ce qui renforce la collusion entre fylgia et destin, thème fondamental et central de la vision du monde des anciens scandinaves. On en trouve une allusion dans le Vafthrudnismal :  :

    "Gangrade

    J'ai beaucoup voyagé, j'ai eu beaucoup d'aventures,
    J'ai mis à l'épreuve beaucoup de puissances :
    — Quelles sont ces vierges qui au-dessus de la mer des peuples
    Volent douées d'un esprit de sagesse ?

    Vafthrudnir

    Au-dessus des hameaux volent trois compagnies de filles de Mogthrasir :
    Elles portent la chance au monde,
    Bien qu'elles soient élevées parmi les lotes."

    La fylgja, génie tutélaire, émanation de la chance et du destin, s'inscrit donc dans la représentation archétypique très ancienne d'une créature éthérée et volante qui assume la charge de la destinée d'un individu ou d'un clan.

     

    PROLONGEMENTS

    La présence constante de l'autre monde, et sous différentes formes, dans le réel d'une civilisation souvent dite matérialiste et légaliste, voire procédurière, permet de comprendre en partie son fonctionnement. Dans une réalité aussi hantée par l'occulte, l'homme devait avoir en permanence conscience de son accès et de sa participation au surnaturel, au sacré, de même que la perception de cette intrusion permanente du divin dans sa vie : habité (par le hamr), suivi (par la fylgia), animé (par le hugr) par la puissance du Destin. Il en a résulté une notion centrale en droit nordique, celle de la mannhelgi : le caractère sacré de l'homme en tant que participant du divin, le divin étant lui-même le garant de l'ordre du monde. La mannhelgi représente dans les textes de loi l'inviolabilité de l'individu, et permet de définir que celui qui attente à sa personne, à ses biens, à sa famille, attente également à l'ordre du monde (et l'augmentation de cette entropie participe au cheminement vers les Ragnarök). De même, s'attaquer à l'autre écorne la mannhelgi du coupable, de l'intérieur. Dans certains cas, la faute est réparable, moyennant un dédommagement financier le plus souvent. Mais dans d'autres, ceux des crimes honteux : meurtres honteux (tous types de meurtres lâches), vols, viols..., la mannhelgi perdue des deux côtés n'est pas récupérable, et cause des dommages au monde. C'est également ce concept qui explique que la pire sanction qui pouvait frapper une personne à cette époque n'était ni la mort (rarement prononcée par jugement avant l'avènement du christianisme), ni le bannissement, mais la déclaration "hors-la-Loi". Un hors-la-loi était dépouillé par jugement de sa mannhelgi, exclu de la société des hommes, et condamné à vivre comme un animal. Le tuer n'était plus un crime, ni honorable, ni honteux. Etant entendu bien sûr que comme dans nombre d'autres sociétés, était compris sous le terme "individu" ou "personne" tout homme (ou femme) libre de cette société, et que les lois régissaient les rapports entre eux. A l'étranger ou vis-à-vis des thraell (esclaves), c'était une autre affaire...

     

    Ouvrir son hugr, faire courir son hamr, voir sa fylgia. Un résumé de la vie ?

     

     hamr, hugr, fylgia, fylgja                                                                                                                          hamr, hugr, fylgia, fylgja


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