• Edda poétique

    Quelles sont les nouvelles ?

    C'est le plus souvent par ces mots que les anciens scandinaves se saluaient. Et parmi leurs loisirs préférés figuraient raconter et déclamer. Même s'il existe en français quelques traductions fort érudites de ces textes anciens, médiévaux, notamment sous les plumes de messieurs Boyer, Dillman, Renaud-Krantz et quelques autres, pas mal me sont restées introuvables sur le net. Alors je vais voir ce que je peux faire à partir de versions anglaises, et mes traductions seront probablement au fil du temps sujettes à des modifications.

    L'Edda Poétique ou vieille Edda est un ensemble de poèmes issus tout d'abord de la tradition orale. Composés et transmis par les scaldes, ces textes sont la principale source de nos connaissances actuelles sur la mythologie et les légendes nordiques. 

    Et merci à Snorri (Sturluson) et à ses contemporains, surtout les clercs, d'avoir pris la peine de consigner ces histoires et poèmes par écrit, et à Arni Magnusson de les avoir collectés.

     

    Edda poétique : pages du Codex Regius

    Deux pages du Codex Regius

     

    Les textes ne sont pas publiés dans l'ordre classique de leur présentation, celle du Codex Regius, mais on en trouve la liste bien rangée dans les Tables des Matières du menu.

    Pour les lire dans l'ordre classique : >edda poétique <

  • Thrymskvitha

    Pour commencer, à tout Seigneur tout honneur, une vitha simple sur Thor qui, comme la Mère Michel qui a perdu son chat, a perdu son marteau, et demande qui le lui rendra. Anonyme, de style classique, ce texte est plutôt amusant avec un ressort grotesque, mais évoque tout de même la valeur symbolique du marteau comme arme, certes, mais également comme objet cérémoniel pour les bénédictions de mariage. Pratiquant fort mal le vieux norrois, je l'ai traduit de l'anglais.

    Mais d'abord ou en même temps si cela vous chante, un peu de musique sur le même thème ("The lay of Thrym", de Tyr).

     

     

    Bonne lecture.

    kveðja

    Première ligne : la Thrymskvitha

    Le Lai de Thrym

     

    anonyme (Snorri Sturluson ? ou postérieur, peut-être un texte satirique),

    traduit de la version anglaise de H.A. Bellows

     

     

    1- Vingthor, dès son lever, déchaîna sa fureur

     

    Lorsqu'il s'aperçut qu'il n'avait plus son marteau.

     

    Sa barbe s'agita, ses cheveux se dressèrent,

     

    Tandis que le fils de Iord le cherchait partout.

     

     

    2- Oyez à présent son propos, lorsqu'il parla :

     

    «Ecoute bien, Loki, attention à mes mots

     

    Nulle part sur la terre connue des humains,

     

    Ni aux cieux d'en-dessus : mon marteau m'est volé.»

     

     

    3- A la halle claire de Freyja ils allèrent,

     

    Oyez à présent son propos, lorsqu'il parla :

     

    «Peux-tu Freyja, me prêter ton habit de plumes

     

    Afin de partir en quête de mon marteau ?»

     

     

    4- Freyja dit : «A toi, il peut bien être confié,

     

    Même s'il est aussi brillant que de l'argent

     

    Et je te l'accorderais, serait-il en or.»

     

    Lors Loki s'envole, vrombit l'habit de plume,

     

    Laissant derrière lui la demeure des dieux

     

    Et atteignant plus tard la terre des géants

     

     Freya prête l'habit de plumes à Loki. Frolich

     Freya prête l'habit de plumes. Frolich

     

    Le vol de Loki. Frolich.

    Le vol de Loki. Frolich.

     

    5- Thrym assis sur un tertre, maître des géants,

     

    Laisses d'or en main, la pause pour ses mâtins,

     

    Flatte et lisse la crinière de ses coursiers.

     

     

    Thrym,  le roi des géants du givre.

     Le roi des géants du givre.

     

    Thrym dit :

     

    6- «Comment se passe le voyage des dieux ?

     

    Et comment se passe le voyage des elfes ?

     

    Pourquoi viens-tu tout seul au pays des géants ?»

     

    Loki dit :

     

    «Le voyage des dieux se passe plutôt mal,

     

    Et tout pareillement le voyage des elfes.

     

    As-tu camouflé le marteau de Hlorrithi ?»

     

     

    Thrym dit :

     

    7- «Bien sûr, j'ai célé le marteau de Hlorrithi

     

    Huit miles sous nos pieds, éloigné sous la terre,

     

    Et personne ne saurait le récupérer

     

    Si Freyja ne m'est pas accordée en mariage.»

     

     

    Le vol de Loki dans laThrymskvitha. W.G. Collingwood

    Le vol de Loki. W.G. Collingwood

     

     

    8- Lors Loki s'envole, vrombit l'habit de plume,

     

    Laissant derrière lui la maison des géants

     

    Et revenant enfin au royaume des dieux.

     

    Là, se posant dans la cour, il rencontre Thor.

     

    Oyez à présent son propos, lorsqu'il parla :

     

     

    9- «As-tu eu des nouvelles ou bien quelques ennuis ?

     

    On sent que tu as des nouvelles, dis-les vite :

     

    Souvent celui qui attend oublie son histoire,

     

    Et profère des mensonges celui qui traîne.»

     

     

    Loki dit :

     

    10- «Vraiment, j'ai des soucis et des nouvelles aussi.

     

    Thrym, le roi des géants, surveille ton marteau

     

    Et ne le rendra jamais à qui que ce soit

     

    S'il n'obtient pas Freyja pour légitime épouse.»

     


    11- Ils allèrent trouver Freyja aux cheveux clairs.

     

    Oyez à présent son propos, lorsqu'il parla :

     

    «Attache donc, Freyja, ton voile de mariée

     

    Et hâtons-nous tous deux vers la maison des Thurses»

     

     

    12- Freyja s'emporta, s'ébroua furieusement,

     

    Et la grande demeure des dieux trembla,

     

    Et tinta l'imposant collier Brisingamen.

     

    «Je devrais me plier à quelles convoitises

     

    Si j'acceptais d'aller en terre des géants !»

     

     

    13- Lors toutes les divinités se réunirent

     

    Et les déesses vinrent et tinrent aussi conseil,

     

    Et les plus réputés devaient trouver un plan

     

    Pour récupérer le marteau de Hlorrithi.

     

     

    14- Alors Heimdall parla, le plus brillant des dieux

     

    Qui comme les Vanes pressentait l'avenir :

     

    «Lions au chef de Thor le voile nuptial

     

    Parons-le du glorieux collier Brisingamen,

     

     

    15- Des clés tintinabulantes à son ceinturon,

     

    Des jupes de femme étalées jusqu'aux genoux

     

    De miroitants joyaux recouvrant sa poitrine,

     

    Et un joli bonnet pour couronner sa tête.»

     

     

    16- Alors le puissant Thor lui donna sa réponse :

     

    «Mais les dieux me qualifieront d'efféminé

     

    Si du voile nuptial je me laisse coiffer.»

     

     

    17- Loki, fils de Laufey, prit alors la parole,

     

    «Reste silencieux, Thor, et ne parle pas plus.

     

    Les géants pourraient bien résider à Asgard

     

    Si ton marteau ne t'était pas restitué.»

     

     

    18- Alors ils nouèrent sur Thor le voile nuptial

     

    Puis lui passèrent au cou le collier Brisingr

     

     

    19- Des clés à sa ceinture tintinabulèrent,

     

    Et sur ses genoux tombèrent jupes de femme;

     

    De larges joyaux recouvrirent sa poitrine,

     

    Et un joli bonnet vint couronner sa tête.

     

     

    Loki déguise Thor. G.V. Forssell

    Loki déguise Thor. G.V. Forssell

     

    Freya et Idunn déguisent Thor, ce qui fait rire Loki. E. Boyd Smith

    Freya et Idunn déguisent Thor, ce qui fait rire Loki. E. Boyd Smith

     

    20- Puis Loki le fils de Laufey, prit la parole,

     

    «En tant que servante je t'accompagnerai

     

    Nous devons nous hâter vers la maison des thurses.»

     

     

    21- Les boucs furent amenés de la grange à la halle

     

    Tirant sur leur licol, si rapides à la course

     

    Qu'au départ, le roc se fendit, le sol prit feu,

     

    Lorsque le fils d'Odin partit pour Jotunheim

     

     

    22- Lors Thrym, le chef des géants, parla haut et fort,

     

    «Remuez-vous, géants, venez paillez les bancs,

     

    Ils m'amènent Freyja pour qu'elle soit mon épouse

     

    La fille de Niord, originaire de Noatun.

     

     

    Thrymskvida : Thor et Loki déguisés arrivent chez Thrym

     

    23- «Les bêtes aux cornes d'or sont dans mon écurie

     

    Les immenses bœufs noirs, la fierté du géant,

     

    Nombreuses sont mes gemmes et nombreux mes joyaux

     

    Seule Freyja, je crois, manquait à mon orgueil.»

     

     

    24- Le soir tomba bientôt, la bière fut servie

     

    Thor à lui seul mangea un bœuf, et huit saumons.

     

    Et tous les mets, tous les plats dressés pour les femmes,

     

    Et l'époux de Sif but trois tonneaux d'hydromel.

     

     

    25- Lors Thrym, le chef des géants, parla haut et fort :

     

    «Avez-vous vu mariée plus gaiment dévorer ?

     

    Je n'en ai jamais vu avec cet appétit,

     

    Ni de jeune fille buvant tant d'hydromel !»

     

     

    26- Assise tout près, la servante débrouillarde,

     

    Rusée, put répondre aux paroles du géant :

     

    Freyja a jeûné pendant huit journées entières

     

    Tant elle brûlait de parvenir à Jotunheim.»

     

     

    27- Thrym souleva le voile, quêtant un baiser,

     

    Sauta en arrière jusqu'au bout de la halle :

     

    «Pourquoi les yeux de Freyja sont-ils si terribles ?

     

    Il me semble qu'un brasier jaillit de ses yeux.»

     

     

    Le mariage de Thrym. Collingwood.

     Le mariage de Thrym. Collingwood.

     

    28- Assise tout près, la servante débrouillarde,

     

    Rusée, put répondre aux paroles du géant :

     

    «Freyja n'a pu dormir pendant huit nuits entières

     

    Tant elle brûlait de parvenir à Jotunheim.»

     

     

    29- Bientôt s'approcha la triste sœur du géant

     

    Qui craignait de ne pouvoir demander la dot :

     

    «De tes mains je veux recevoir l'anneau d'or rouge,

     

    Si tu veux obtenir mon affection sincère,

     

    Mon affection sincère et un accueil cordial.»

     

     

    30- Alors Thrym, chef des géants, parla haut et fort :

     

    «Apportez le marteau, pour bénir la mariée,

     

    Sur les genoux de la fiancée posez Mjollnir,

     

    Pour que l'anneau de Var nous bénisse tous deux.»

     

     

    31- Le cœur de Hlorrithi en éclata de rire,

     

    Quand le dieu au cœur dur retrouva son marteau :

     

    En premier il terrassa Thrym, roi des géants,

     

    Puis il anéantit tout le peuple des thurses.

     

     

    32- La sœur du vieux géant qu'il avait abattu

     

    Celle qui a mandé la rançon du mariage

     

    Reçut en lieu et place d'un anneau, un coup,

     

    Et de nombreux anneaux, la force du marteau.

     

     

    33- Ainsi le fils d'Odin retrouva son marteau.

     

    (dernière strophe perdue). 

     

    Thrymskvitha, edda poétique

    Thor récupère son marteau... Frolich

     

    Thrymskvitha, edda poétique

    ... et s'en sert. 

     

    Thrymskvitha, edda poétique

     

    Thrymskvitha                                                                                                                                                          Thrymskvitha


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  • alvissmal

    The dawning, (Frigga's web), Hagalaz Runedance.

     _________________________

     

    Aujourd'hui, un petit texte que j'aime bien, parce qu'il s'agit d'une collection de "heiti" classiques (courtes périphrases ou synonymes pour désigner quelque chose ou quelqu'un). Et parce que c'est le seul exemple d'histoire où Thor se sort d'une situation sans taper dans le tas, mais par la ruse et le savoir. Comme papa !

     

    alvissmal

    Alvissmal, Collingwood

    Thor discute avec le nain Alviss en protégeant sa fille Thrudr. W.G. Collingwood, 1908

     

    Recueil écrit attribué à Saemundr Sigfusson ou Snorri Sturlusson

    (Traduction des versions anglaises de Thorpe et Bellows, et utilisation de la version française de Régis Boyer )


    Le Dit d’Alviss

     

    Alviss compte fleurette à Thrudr. L. Frolich.

    Alviss et Thrudr. Frolich.

     

    Alviss dit :
    1. Maintenant la fiancée va orner mes bancs
    Et se hâter vers ma demeure
    Je dois sembler à tous pressé de me marier
    Ou chez moi ils ne me laisseront aucun répit.


    Thor dit :
    2. Qui es-tu ? D’où vient cette pâleur autour de ton nez ?
    T'es-tu allongé cette nuit à côté de défunts ?
    Tu me sembles avoir l’aspect d’un nain.
    Tu n’es pas né pour la fiancée.

    Alviss dit :
    3. Mon nom est Alviss ; je réside sous la terre;
    Ma demeure est sous les rocs ;
    Je suis venu parler au Conducteur de Char.
    Les dieux ne doivent pas rompre leur promesse.

    Thor dit :
    4. Moi, je romprai la promesse des Dieux ; car sur la fiancée
    Son père a tout pouvoir.

    Je n’étais pas au logis, lorsqu’elle te fut promise,
    Mais seul, parmi les Dieux, je puis te l'accorder.

     
    Alviss dit :
    5. Quel héros prétend pouvoir disposer
    De la jeune fille rayonnante de beauté ?
    Peu doivent te connaître, vagabond ;
    Qui fut payé d'anneaux pour te mettre au monde ?


    Thor dit :
    6. Je suis Vingthor, le Voyageur Lointain
    Et fils de Sidgrani.
    Contre ma volonté, tu n’auras pas la jeune fille,
    Et ce mariage ne s’accomplira pas.

    Alviss dit :
    7. Je veux à l’instant obtenir ton acquiescement
    Et conclure cette alliance sur-le-champ.
    J'ai longtemps attendu, et ne veux pas renoncer
    A cette vierge blanche comme la neige.

    Thor dit :
    8. L’amour de la jeune fille, ô intelligent convive,
    Ne te sera pas refusé,
    Si, au sujet de chaque monde, tu es à même
    De me dire tout ce que j’aspire à savoir.

      

    Alviss et Thor. L. Frolich.

    Alviss et Thor. Frolich.

     

    Alviss dit :
    9. Tu peux tenter l’épreuve, si tu es avide de savoir
    Jusqu’où va l’expérience d’un nain
    Qui a parcouru les neufs mondes
    Et à qui nulle chose n’est inconnue.

    Thor dit:
    10. Dis-moi ceci, Alviss ! Toi qui connais tout,
    Ô nain, du destin des hommes :
    Comment s’appelle dans, chacun des mondes,
    Cette terre qui s’étend devant les regards des mortels?

    Alviss dit :
    11. Elle s’appelle «Terre» chez les hommes et «Plaine Herbeuse» chez les Ases;
    Les Vanes la nomment «Chemins Prolongés»;
    «Toujours Verte» chez les Géants, «Nourrice» chez les Alfes,
    Les Dieux des sphères éthérées l’appellent «Sol Humide».

    Thor dit :
    12. Dis-moi ceci, Alviss ! Toi qui connais tout,
    Ô nain, du destin des hommes :
    Comment s’appelle, dans chacun des mondes,
    Ce ciel que nous voyons au-dessus de nous?

    Alviss dit :
    13. Il s’appelle «Ciel» chez les hommes et «Voûte Etincelante» chez les dieux:
    Les Vanes le nomment «Générateur de Vent» ;
    Les Géants, «Monde Supérieur»; les Alfes, «Toit Resplendissant» ;
    Les Nains l’appellent «Halle Ruisselante».

    Thor dit :
    14. Dis-moi ceci, Alviss ! Toi qui connais tout,
    Ô nain, du destin des hommes :
    Comment s’appelle, dans chacun des mondes,
    La lune qui apparaît aux regards des mortels?

    Alviss dit :
    15. Elle s’appelle «Lune» chez les hommes et «Corps Flamboyant» chez les Ases;
    Dans les enfers on la nomme «Roue» ;
    Les Géants l’appellent «la Voyageuse»; les Nains, «Lueur» ;
    Les Alfes lui donnent le nom de «Décompte de l’Année».

    Thor dit :
    16. Dis-moi ceci, Alviss ! Toi qui connais tout,
    Ô nain, du destin des hommes :
    Comment s’appelle, dans chacun des mondes,
    Ce soleil qui brille aux regards des mortels?

    Alviss dit :
    17. Il s’appelle «Soleil» chez les hommes et «Lumière du Midi» chez les Dieux;
    Les Nains le nomment «Trompeur de Dvalin»1 ;
    Les Géants, «Brasier Permanent»; les Alfes, «Roue Etincelante» ;
    Les fils des Ases l'appellent «le Tout Pur».

    Thor dit :
    18. Dis-moi ceci, Alviss ! Toi qui connais tout,
    Ô nain, du destin des hommes :
    Comment s’appellent, dans chacun des mondes,
    Ces nuages entremêlés d’averses?

    Alviss dit :
    19. Ils s’appellent «Nuages» chez les hommes et «Espoirs d’Averses» chez les Dieux;
    Les Vanes les nomment «Jouets des Vents» ;
    Les Géants, «Annonceurs de Pluie»; les Alfes, «Puissance du Temps»;
    Dans les enfers on leur donne le nom de «Casques des Secrets».

    Thor dit :
    20. Dis-moi ceci, Alviss ! Toi qui connais tout,
    Ô nain, du destin des hommes :
    Comment s’appelle, dans chacun des mondes,
    Ce vent qui souffle de tous côtés ?

    Alviss dit :
    21. Il s’appelle «Vent» chez les hommes et «Indécis» chez les Dieux ;
    Les Augustes Puissances le nomment «le Hennissant» ;
    Les Géants, «Hurleur»; les Alfes «Courant Mugissant» ;
    Dans les enfers on lui donne le nom de «Rafale Impétueuse».

    Thor dit :
    22. Dis-moi ceci, Alviss ! Toi qui connais tout,
    Ô nain, du destin des hommes :
    Comment s’appelle, dans chacun des mondes,
    Ce calme vent qui dort ?

    Alviss dit :
    23. Il s’appelle «Vent Calme» chez les hommes et «Temps de Bonace» chez les Dieux;
    Les Vanes le nomment «Silence du Vent»;
    Les Géants «Atmosphère Etouffante»; les Alfes «Modérateur de la Journée»;
    Les Nains l’appellent «Refuge du Jour».

    Thor dit :
    24. Dis-moi ceci, Alviss ! Toi qui connais tout,
    Ô nain, du destin des hommes :
    Comment s’appelle, dans chacun des mondes,
    Cette mer sur laquelle les hommes rament ?


    Alviss dit :
    25. Elle s’appelle «Mer» chez les hommes et «Douce Couche» chez les Dieux;
    Les Vanes la nomment «Flot Ondoyant» ;
    Les Géants, «Séjour des Anguilles»; les elfes, «Elément Liquide» ;
    Les Nains l’appellent «Abîme des Eaux».

    Thor dit :
    26. Dis-moi ceci, Alviss ! Toi qui connais tout,
    Ô nain, du destin des hommes :
    Comment s’appelle, dans chacun des mondes,
    Ce feu qui brûle devant les regards des mortels ?

    Alviss dit :
    27. Il s’appelle «Feu» chez les hommes et «Flamme» chez les Ases ;
    Les Vanes le nomment «Flamme Sauvage» ;
    Les géants, «le Vorace»; les Nains, «Incinérateur» ;
    Dans les enfers on lui donne le nom de «Rapide».

    Thor dit :
    28. Dis-moi ceci, Alviss ! Toi qui connais tout,
    Ô nain, du destin des hommes :
    Comment s’appelle, dans chacun des mondes,
    Cette forêt qui croît dans Midgard ?

    Alviss dit:
    29. Elle s’appelle «Forêt» chez les hommes et «Crinière des Montagnes» chez les Dieux;
    Hel la nomme «Algues des Coteaux» ;
    Les Géants, «Aliment du Feu» ; les Alfes, «Beaux Rameaux» ;
    Les Vanes lui donnent le nom de «Bosquets».

    Thor dit:
    30. Dis-moi ceci, Alviss ! Toi qui connais tout,
    Ô nain, du destin des hommes :
    Comment s’appelle, dans chacun des mondes,
    Cette nuit que Nött a engendrée ?

    Alviss dit:
    31. Elle s’appelle «Nuit» chez les hommes et «Obscurité» chez les dieux;
    Les Augustes Puissances la nomment «Capuche» ;
    Les Géants «Absence de Clarté» ; les Alfes, «Réconfort du Sommeil» ;
    Les Nains lui donnent le nom de «Tisseuse de Rêves».

    Thor dit :
    32. Dis-moi ceci, Alviss ! Toi qui connais tout,
    Ô nain, du destin des hommes :
    Comment s’appelle, dans chacun des mondes,
    Ce grain que sèment les gens ?


    Alviss dit:
    33. Il s’appelle «Céréale» chez les hommes et «Blé» chez les dieux ;
    Les Vanes le nomment «Végétation»;
    Les Géants, «Pâture» ; les Alfes, «Etoffe de la Boisson» ;
    Dans les enfers on l’appelle «Tige Mince».

    Thor dit:
    34. Dis-moi ceci, Alviss ! Toi qui connais tout,
    Ô nain, du destin des hommes :
    Comment s’appelle, dans chacun des mondes,
    Cette bière que boivent les fils des mortels ?

    Alviss dit:
    35. On l’appelle «Ale» chez les hommes et «Bière» chez les Dieux ;
    Les Vanes la nomment «Ecumeuse» ;
    Les Géants, «Flot Limpide» ; chez Hel on l’appelle «Hydromel» ;
    Les fils de Suttung lui donnent le nom de «Breuvage des Festins».

    Thor dit :
    36. Dans un même esprit je n’ai jamais trouvé
    Plus grande richesse d'antique savoir.
    Mais j'ai dû te trahir par une vaste duperie :
    Tu t’es laissé surprendre, ô nain, par l’aube ;
    La lumière du soleil brille à présent dans la halle.

     

    Alvissmal, Collingwood

    Alviss se transforme en pierre sous les rayons du soleil.

    Illustration de W.G. Collingwood, 1908.

     

    1 : les nains (ou elfes noirs) sont intolérants à la lumière solaire

     

     

    alvissmal                                                                                                                             alvissmal


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  • Première ligne : la Thrymskvitha

    Donar's Oak, Falkenbach.

     

    Le lai de Barbe Grise est un poème relatant encore une joute verbale, mais cette fois entre Thor et un passeur nommé Harbard. Certains ont pu y voir la figure de Loki, et son esprit venimeux, mais le plus probable, comme il s'agit d'un des très nombreux noms d'Odin, est que le Borgne a pris l'aspect de ce passeur. Ce texte met en évidence la rivalité latente qui existait du point de vue cultuel entre Thor et son père, lequel remporte cette compétition par forfait. Thor était le dieu protecteur du peuple, des paysans, et usait de force, et Odin, celui des guerriers et des dirigeants, et usait d'esprit. Parfois sans gants ni fioritures, comme dans ce lai.

     

    Harbardsljod, edda poétique, thor, odin

     

    Recueil écrit attribué à Saemundr Sigfusson ou Snorri Sturlusson

    (traduction des versions anglaises de Bellows et Thorpe)

     

    Le Lai de Barbe-Grise

    Thor vint de la route de l'est et arriva à un détroit.
    De l'autre côté du bras de mer se trouvait le passeur avec son bateau.

    Thor cria:
    Qui est le coquin des coquins, qui fait du bruit de l'autre côté du détroit ?


    L'autre répondit:
    2. Qui est le rustre des rustres qui m'appelle par-delà l'onde ?

      

    Harbardsljod, edda poétique, thor, odin

    Coquin des coquins... Frolich

     

    Thor dit:
    3. Fais-moi passer le détroit, je te donnerai de quoi déjeuner ;
    Je porte un panier sur le dos, il n'y a pas meilleure pitance ;
    J'ai mangé à volonté avant de partir de chez moi,
    Du hareng et du bouc ; j'en ai encore le ventre plein.

    Le passeur dit :
    4. Tu te loues de ton repas comme d'un haut fait matinal ;
    Tu ne prévois rien de ton avenir ;
    Malheureux sont les gens de ta maison,
    Je crois que ta mère est morte.


    Thor dit :
    5. Voilà que tu parles de ce qui semble à chacun
    Le plus grave des chagrins : que ma mère serait morte.

    Le passeur dit :
    6. Il ne me semble pas que tu possèdes trois bonnes demeures en ton pays :
    Te voici jambes nues, tu as la tenue d'un mendiant, et tu ne portes pas même de braies.

    Thor dit :
    7. Amène par ici le rafiot, je vais te montrer où aborder.
    D'ailleurs, à qui est cet esquif que tu retiens à terre ?

    Le passeur dit :
    8. Hildolfr s'appelle celui qui m'en confia la garde,

    Ce sagace guerrier qui habite à Radeyjarsund
    M'a demandé de ne pas transporter les pillards et les voleurs de chevaux 1,
    Seulement les hommes de valeur et ceux que je connaîtrais bien ;
    Dis maintenant ton nom, si tu veux passer le détroit.

    Thor dit :
    9. Je dirais mon nom quoique je sois insulté, et toutes mes origines :
    Je suis le fils d'Odin, de Meili, le frère,
    Et de Magni, le père, le détenteur de la puissance des dieux ;
    C'est avec Thor qu'ici tu peux parler!
    Mais je voudrais maintenant demander comment toi, tu t'appelles.

    Le passeur dit:
    10. Harbard je m'appelle, je cèle mon nom rarement.

    Thor dit:
    11. Pourquoi cacherais-tu ton nom si tu n'as pas commis de crime ?

    Harbard dit:
    12. Même si j'avais tué quelqu'un comme toi
    Je sauverais ma vie, à moins que mon destin ne soit la mort2
     .


    Thor dit:
    13. Il me semble déraisonnable de patauger par la baie jusqu'à toi
    Et de mouiller mon matériel ;
    Je te ferai payer, mauviette, tes sarcasmes si je traverse le détroit.


    Harbard dit:
    14. Ici je reste, ici je t'attendrai ;
    Tu n'as pas croisé d'homme plus coriace depuis la mort de Hrungnir..

    Thor dit:
    15. Voici que tu veux mentionner mes démêlés avec Hrungnir,
    Ce géant présomptueux au crâne de pierre ;
    Pourtant je l'abattis et lui fis mordre la poussière.
    Que faisais-tu pendant ce temps-là, Harbard ?

    Harbard dit :
    16. Je passais chez Fjölvar cinq hivers pleins, habitant l'île nommée Algraen ;
    Là, nous eûmes à combattre, des guerriers à abattre,
    A surmonter de nombreux périls et à nous laisser aller à l'amour3.

    Thor dit:
    17. Comment vos femmes se comportaient-elle avec vous ?

    Harbard dit :
    18. Nous aurions eu des femmes spirituelles, nous eussent-elles obéi ;
    Nous aurions eu des femmes sensées, nous eussent-elles été fidèles.
    Elles tressaient des cordes de sable et ménageaient des plaines dans de profondes vallées.
    A moi seul, je les surpassais toutes en sagesse4 ;
    Je couchais avec ces sept sœurs et partageais avec elles toutes amour et plaisir.
    Que faisais-tu pendant ce temps-là, Thor ?


    Thor dit :
    19. Je tuai Thjazi, l'intrépide géant, je lançai les yeux du fils d'Alvaldi dans le ciel clair :
    Ce sont les preuves remarquables de mes hauts faits,
    Celles que tous les hommes contemplent depuis.
    Que faisais-tu pendant ce temps-là, Harbard ?


    Harbard dit :
    20. J'eus des intrigues amoureuses avec celles qui chevauchent la nuit
    Que j'enlevai par ruse à leurs époux ;
    Je tenais Hlébard pour un rude géant : il me fit don de sa baguette magique,
    Et moi, je lui fis perdre l'esprit.

    Thor dit :
    21. C'était récompenser de mauvais cœur un aimable cadeau.

    Harbard dit :
    22. Le chêne peut avoir ce qu'il rabote au voisin ;
    En tel cas, c'est chacun pour soi.
    Que faisais-tu pendant ce temps-là, Thor ?

    Thor dit:
    23. J'étais dans l'est et molestais les géantes,
    Les femmes habiles à faire le mal qui allaient par les montagnes ;
    Bien nombreuse serait la race des géants si toutes étaient encore en vie,
    Il n'y aurait plus d'hommes dans Midgard.
    Que faisais-tu pendant ce temps-là, Harbard ?

    Harbard dit :
    24. J'étais à Valland, prenant part aux combats.
    J'exhortais les rois à la guerre et jamais ne faisais la paix.
    A Odin reviennent les jarls qui tombent au combat,
    Mais à Thor, la race des esclaves.


    Thor dit:
    25. Tu donnerais aux dieux un partage inégal du peuple,
    Si tu avais quelque puissance.

    Harbard dit:
    26. Thor a force en suffisance, mais de courage, point :
    Par terreur et couardise, tu te vautras dans le gant, oubliant même que tu étais Thor5;
    Tellement effrayé que tu avais peur d'éternuer ou de péter
    De crainte que Fjalar ne t'entende6.


    Thor dit:
    27. Salaud de Harbard ! Je t'enverrais tout droit chez Hel
    Si mon bras pouvait atteindre l'autre bord du détroit.

     

     

    Harbardsljod, Harbard, Thor, Odin

    Je t'enverrais tout droit chez Hel... F. Stassen.

     

    Harbard dit :
    28. Pourquoi atteindrais-tu l'autre bord du détroit ?
    Nous n'avons point vraiment de compte à régler.
    Que faisais-tu pendant ce temps-là, Thor ?

    Thor dit :
    29. J'étais dans l'est et défendais les fleuves quand m'attaquèrent les fils de Svarang ;
    Ils me criblèrent de pierres,
    Mais ne se réjouirent que brièvement de leur victoire.
    Ils réclamèrent la paix les premiers.
    Que faisais-tu pendant ce temps-là, Harbard ?


    Harbard dit :
    30. J'étais à l'est et conversais avec une fille,
    Jouais avec la vierge blanche comme lin, lui donnais de longs rendez-vous,
    Je me réjouissais de la brillante comme l'or : la fille y trouvait du plaisir.

    Thor dit.
    31. Alors tu avais là bonne sorte de femme.

    Harbard dit :
    32. J'aurais bien eu besoin de ton assistance, Thor,
    Pour maintenir la fille blanche comme lis !

    Thor dit :
    33. Je te l'aurais volontiers prêtée, si j'avais été là.

    Harbard dit :
    34. Je t'aurais fait confiance, si tu n'avais fausse foi.

    Thor dit:
    35. Je ne suis pas aussi mordeur de talons
    Qu'une vieille botte de cuir au printemps !

    Harbard dit:
    36. Que faisais-tu pendant ce temps-là, Thor ?

    Thor dit :
    37. Je molestais des femmes de berserkers à Laesso,
    Elles avaient perpétré le pire : séduit tout un peuple.

    Harbard dit :
    38. Une infamie tu fis alors, quand tu rossas des femmes.

    Thor dit :
    39. Elles étaient des louves plus que des femmes,
    Elles ont fracassé mon bateau que j'avais tiré à terre,
    M'ont menacé de gourdins de fer et ont chassé Thjalfi.
    Que faisais-tu pendant ce temps-là, Harbard ?


    Harbard dit :
    40. J'étais dans l'armée qui fut envoyée par ici,
    Pour brandir des bannières et rougir des lances.

    Thor dit :
    41. Voici que tu parles maintenant de la haine que tu nous portas.

    Harbard dit :
    42. Un anneau pour ta main suffira comme indemnité,
    Comme le firent les conciliateurs qui voulaient nous réconcilier.


    Thor dit :
    43. Où as-tu appris ces sarcastiques paroles ?
    Oncques n'en entendis de plus sarcastiques.

    Harbard dit :
    44. Je les apprises des hommes très vieux qui résident dans les tas de fumier.

    Thor dit :
    45. Tu donnes là un beau nom aux cairns, quand tu les appelles tas de fumier.

    Harbard dit :
    46. C'est ainsi que je parle de telles choses.


    Thor dit:
    47. L'habileté de ta langue te portera malheur, si je décide de patauger par la baie ;
    Je parie que tu hurleras plus haut qu'un loup
    Si tu prends un coup de marteau.

    Harbard dit :
    48. Sif a un galant à la maison, c'est lui que tu devrais chercher à rencontrer,
    C'est sur lui que tu devrais éprouver ta force, cela te touche de plus près.

    Thor dit :
    49. Ta langue te fait toujours dire ce qui m'est le plus fâcheux,
    Homme au cœur de lâche, il me semble que tu mens.

    Harbard dit :
    50. Je crois dire vrai ; mais tu retardes bien ton voyage,
    Tu serais arrivé loin maintenant, Thor, si tu avais pris une autre forme.

    Thor dit :
    51. Crapule de Harbard ! C'est toi plutôt qui m'as retardé !

    Harbard dit :
    52. Je n'aurais jamais cru qu'un passeur empêchât le passage d'Asa-Thor !

    Thor dit :
    53. Je vais maintenant te donner un conseil : rame par ici avec le bateau,
    Cessons les querelles, viens chercher le père de Magni.

    Harbard dit :
    54. Va-t'en loin du détroit, le passage t'est refusé.

    Thor dit :
    55. Indique-moi le chemin,
    Puisque tu ne veux pas me faire passer l'eau.

    Harbard dit :
    56. Refuser serait mesquin. Il faut aller loin !
    Un bon moment jusqu'à la perche, un autre jusqu'à la pierre,
    Prend ensuite sur la gauche jusqu'à ce que tu atteignes Verland ;
    Là, Fjörgyn retrouvera Thor, son fils, et elle l'informera
    Des routes de ses enfants jusqu'au royaume d'Odin.

     

    Harbardsljod, edda poétique, odin, thor

    Ensuite, prends à gauche... Frolich.

     

    Thor dit :
    57. Y serai-je aujourd'hui ?

    Harbard dit :
    58. Tu y seras à grand peine et fatigue au soleil levant,
    Ou quand la neige fondra, je pense.

    Thor dit :
    59. Court sera maintenant notre entretien puisque tu ne veux répondre que moqueries ;
    Je te paierais le passage que tu m'as refusé à notre prochaine rencontre.

    Harbard dit :
    60. Va-t'en à présent là où les démons te prendront tout entier.

     

    1 : être accusé de vol était une insulte particulièrement honteuse pour les nordiques. Le pillage à visage découvert était plus honorable.
    2 : tuer un hors-la-loi n'était pas un crime, ce dernier étant déchu de ses droits et de sa qualité d'être humain.
    3 : la séduction était une activité importante pour Odin.
    4 : réflexions misogynes typiques de ce dieu.
    5 : histoire de la rencontre entre Thor et Utgardaloki

      6 : Fjalar : le coq qui chantera au matin des Ragnarok.

     
     Encadrement : Bouloute créations

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