• Sigdrifumal

    Sigdrifumal

     Valkyrjan (Land), de Tyr.

    _________________________

     

    En parallèle avec la version en prose du Ring donnée par le Skaldskaparmal, et celle de la Volsunga saga, voici le texte de la première rencontre entre Sigurd et Brunehilde. Ce poème renferme un des très rares exemples de prière adressée expressément aux Ases, ainsi qu'une liste très précise des endroits où il faut graver les runes pour que les enchantements soient efficaces. Il s'agit donc d'un texte essentiel pour la compréhension de la manière dont les anciens scandinaves concevaient la magie. Il renferme de plus une série de conseils qui ne sont pas sans évoquer les Havamal... 

    Sigdrifumal

    Les Dits de Sigrdrífa

    Texte à partir des versions française de Régis Boyer et anglaise de Henry Adam Bellows

     

    Sigurd chevaucha sur le Hinarfjall et se dirigea au sud vers le pays des Francs. Sur la montagne, il vit une grande lumière, comme si un feu brûlait, et l'éclat en montait jusqu'au ciel. Et lorsqu'il y parvint, il s'y trouvait un rempart de bouclier dont dépassait un étendard. Sigurd entra dans la tour de boucliers et vit qu'un être humain gisait là, qui dormait avec toutes ses armes de guerre. Il lui enleva d'abord son heaume; alors il vit que c'était une femme. La cuirasse était si serrée qu'on eût dit qu'elle appartenait à la chair. Alors il fendit l'armure avec Gramr, de l'encolure jusqu'en bas ainsi que les deux manches.

     

    Sigurd libère Sigdrifa.

    Sigurd libère Sigdrifa.

     

    Il lui enleva ensuite sa cuirasse, elle s'éveilla, s'assit, aperçut Sigurdr et dit :

     

    1. "Qu'est-ce qui a mordu la cuirasse ?

    Comment fut brisé mon sommeil ?

    Qui m'a libérée de ces livides entraves ?"

     

    Il répondit :

    2. "Le fils de Sigmundr avec l'épée de Sigurd.

    Il n'y a pas ici

    De chair pour le corbeau."

     

    Sigurd s'assit à ses côtés et lui demanda son nom. Elle prit alors une corne emplie d'hydromel et lui donna à boire pour raviver ses souvenirs.

     

    Sigdrifa salue le jour. Arthur Rackham.

    Sigdrifa salue le jour. Arthur Rackham.

     

    3. "Salut, jour !

    Salut, fils du jour !

    Salut, nuit et à présent sœur de la nuit !

    D'un œil bienveillant

    Regardez-nous ici,

    Nous qui aspirons à la victoire !



    4. Salut, Ases !

    Salut, Asynes !

    Salut à toi, généreuse terre !

    Donnez-nous éloquence et sagesse,

    A tous deux, pleins de gloire,

    Et mains guérisseuses, tant que nous vivrons !

     

    5. Longtemps je sommeillais,

    Longtemps je restais endormie,

    Longs sont les malheurs des mortels;

    Odin décida que je ne pourrais point

    Rompre le charme du sommeil."

     

    Elle dit se nommer Sigrdrífa et être valkyrie. Elle raconta que deux rois s'étaient battus; l'un s'appelait Gunnar au Heaume, il était vieux et très grand guerrier. Odin lui avait promis la victoire.

    5a. Mais l'autre s'appelait Agnarr, frère de Hauda,

    Que nul ne voulait aider et protéger.

     

    Sigrdrífa abattit Gunnar au Heaume dans la bataille. Mais par vengeance, Odin la piqua de l'épine du sommeil, déclara que jamais plus elle ne remporterait la victoire dans les batailles et qu'elle se marierait. "- Mais je lui ai dit qu'à l'encontre, j'avais fait serment de ne jamais épouser homme qui connaîtrait la peur".

     

    Sigdrifumal, odin, brynhild

    Odin la piqua de l'épine du sommeil. Ferdinand Leeke.

     

    Sigurd parla à son tour et la pria de lui enseigner la sagesse, puisqu'elle connaissait les nouvelles de tous les mondes. Sigrdrífa chanta :

     

    5b. "Je t'apporte de la bière,  

    Arbre de la bataille,  

    Mêlée de force et de puissant renom,  

    Elle est pleine de charmes et de symboles de guérison,    

    D'incantations bénéfiques et de runes de joie1.

     

    6. Il te faut apprendre les runes de victoire

    Si tu veux remporter la victoire,  

     Et les graver sur ton épée, certaine sur le fil,  

    Certaine sur la lame, et invoquer deux fois Tyr.

     

    7. Il te faut connaître les runes de la magie

    Si tu ne veux pas qu'avec des mensonges  

     La femme d'un autre te trahisse2 

    Et te sentir assuré ; sur une corne il les faut graver,  

    Et sur le dos de tes mains, et marquer Naudiz sur ton ongle. 

    Tu dois bénir la boisson, évitant ainsi qu'elle te nuise,    

    Et jeter de l'ail dans la coupe ; (alors je sais que pour toi  

    Jamais l'hydromel ne sera empoisonné).

     

    8. Il te faut connaître les runes de délivrance

    Si tu veux aider la parturiente                

    Et donner l'enfant à la mère ; sur tes3 paumes il les faut graver,        

    Serrer ses mains, et demander l'assistance des Dises.

     

    10. Il te faut graver les runes du ressac si tu veux sauver en mer

    Le coursier à voiles; sur l'étrave, faut les graver    

    Et sur la lame du gouvernail, par le feu les marquer sur la rame

    Il n'est brisant si abrupt ni vagues si noires

    Que tu ne sortes sain et sauf de la mer.



    11. Il te faut connaître les runes des branches,

    Si tu veux être mire      

    Et savoir discerner les blessures ;  

    Sur l'écorce il faut les graver    

    Et sur le feuillage d'un arbre dont les branches tendent vers l'est.

     

    12. Il te faut connaître les runes de la parole

    Si tu veux que personne  

    Ne te rende dol pour haine ; les retourner, les brouiller,  

    Les placer les unes à côté des autres au thing  

    Où justice sera rendue pour le bien du peuple.

     

    13. Il te faut connaître les runes de l'esprit

    Pour que chacun pense que tu es le plus sage.

    Hropt les interpréta, les grava, et les conçut,

    De cette humeur qui avait filtré

    Du crâne de Hleiddraupnir4 et de la corne de Hoddrofnir.



    14. Sur la falaise il se tenait avec l'épée de Brimir,

    Portant son heaume sur la tête ; alors la savante tête de Mimir

    Parla pour la première fois, et énonça les runes véritables.

     

    15. Il demanda qu'elles soient gravées sur l'écu

    Qui se tient devant le dieu brillant,

    Sur l'oreille d'Árvakr, sur le sabot d'Alsvinnr,

    Sur la roue du char du vainqueur de Hrungnir,

    Sur les dents de Sleipnir et sur les chaînes du traîneau,



    16. Sur la patte de l'ours et sur la langue de Bragi,

    Sur la griffe du loup et sur le bec de l'aigle,

    Sur les ailes sanglantes et sur la tête des ponts,

    Sur la paume de la délivrée et sur les voies du réconfort,



    17. Sur le verre et sur l'or, dans les halles des hommes,

    Dans le vin, le moût de bière et les sièges de repos,

    Sur la pointe de Gungnir et sur le poitrail de Grani,

    Sur l'ongle de la Norne et sur le bec du hibou.



    18. Toutes furent grattées de celles qui étaient gravées depuis longtemps

    A l'hydromel sacré mêlées et largement diffusées,

    Elles se trouvent chez les Ases, elles se trouvent chez les Alfes,

    Certaines parmi les sages Vanes, certaines chez les hommes mortels.

     

    19. Ce sont les runes gravées sur le bouleau, ce sont les runes de délivrance

    Et toutes les runes de magie, et les suprêmes runes de puissance,

    Pour qui les connaît bien et sait sans erreur les lire

    Elles sont talismans ; elles le protégeront

    Jusqu'à ce que les Puissances s'entre-déchirent.



    20. A présent, tu vas choisir, puisque l'occasion t'en est offerte,

    Érable des armes acérées !

    Parler ou te taire, le choix t'appartient :

    Tous malheurs sont d'avance fixés".



    Sigurdr dit :

    21. "Je ne m'enfuirais pas, ma fin serait-elle proche,

    Point ne suis né pour être couard ;

    Je veux mériter tous tes conseils affectueux,

    Aussi longtemps que je vivrai.''


    Alors elle dit :

    22. "Je te conseille en premier lieu

    D'être envers tes parents

    Sans opprobre ; ne tire point vengeance

    Des offenses qu'ils commettraient ;

    Tu en tireras avantage après ta mort.

     

    23. Je te conseille en second lieu

    De ne point prêter serment

    Que tu ne connaisses comme véridique ;

    Amer est le destin des briseurs de parole,

    Misérable est le loup de ses propres mots.

     

    24. Je te conseille en troisième lieu, lorsque tu es au Thing,

    De ne point quereller avec des sots ;

    Car l'insensé souvent se laisse aller à dire

    Paroles pires qu'il ne pensait.

     

    25. Tout est difficile si tu te tais ;

    Alors, tu passes pour un couard et en seras à bon droit accusé ;    

    Celui qui salis ta réputation, à moins que tu n'aies déjà grand renom,  

    Envoie-le dès le lendemain à la mort,      

    Et fais ainsi payer le mensonge public.

     

    26. Je te conseille en quatrième lieu,

    Si tu croises la sorcière perverse sur ta route,  

    De passer ton chemin plutôt que d'être son hôte,    

    Quand bien même il ferait nuit. 

     

    27. D'yeux prévoyants ont besoin les fils des hommes

    Qui combattent au cœur des batailles ;    

    Souvent des sorcières attendent au bord du chemin,

    Qui émoussent épées et courage.

     

    28. Je te conseille en cinquième lieu, même si tu vois

    De belles filles sur les bancs,

    De ne pas te laisser ravir le sommeil par les Sif de l'argent,

    Et de te méfier du baiser des femmes.

     

    29.Je te conseille en sixième lieu,

    Au cas où parmi les hommes      

    Circuleraient de querelleurs propos de bière,

    De ne point disputer avec des guerriers ivres ;

    Le vin prive plus d'un de sens.

     

    30. Chansons à boire et bière ont à maint homme valu

    Amer chagrin, à certains, mort,

    A d'autres, chagrins ;

    Nombreux sont les malheurs des hommes.

     

    31. Je te conseille en septième lieu,

    Si tu cherches à te battre      

    Avec un ennemi plein de puissance ;    

    Mieux vaut combattre que de brûler dans sa maison

    L'homme riche.

     

    32. Je te conseille en huitième lieu d'éviter la vilénie

    Et de prendre garde au mensonge; 

    N'incite à la luxure ni vierge,

    Ni épouse d'autrui.

     

    33. Je te conseille en neuvième lieu

    De rendre les derniers devoirs aux défunts,

    Où que tu les trouves sur terre,

    Qu'ils soient morts de maladie, ou trépassés en mer,

    Ou aient péri par les armes.

     

    34. Il faut donner un bain aux morts,

    Leur laver les mains et la tête,

    Les peigner, les essuyer, avant de les mettre au cercueil,

    Et prier pour qu'ils dorment en paix.

     

    35. Je te conseille en dixième lieu

    De ne jamais faire confiance              

    Aux mots de celui de la race des loups

    (Que tu sois meurtrier de son frère      

    Ou que tu aies abattu son père):

    Le loup se retrouve en son fils                

    Quand même il aurait accepté l'or en tribut.

     

    36. Conflits, et haines, et douleurs aussi, je pense,

    S'endorment rarement en entier ;

    Le guerrier a besoin à la fois d'esprit et d'armes

    Pour être le plus hardi des hommes.

     

    37. Je te conseille en onzième lieu

    De te garder de la colère      

    Et des faux-semblants avec tes amis ;  

    La vie des Princes n'est pas longue,    

    Qui affrontent des ennemis puissants.''

     

    Sigurdr dit :

    "Il n'est pas d'être humain plus sage que toi et je fais serment de t'épouser, car tu me plais":


    Elle répondit :

    "C'est toi que je voudrais épouser, aurais-je à choisir parmi tous les hommes".

    Et ils se lièrent par des serments.

     

    1 Voir la classification des runes d'après Y. Kodratoff.  alu (A : ansuz, le verbe, L, lagu: la puissance de l'eau et U, uruz : la puissance de la terre) est un groupe de runes fréquemment associées pour obtenir une protection magique, et fréquemment gravé aussi sur les bractéates, amulettes magiques de protection. C'est également un jeu de mot de magie runique, alu signifiant "bière". On pourrait le traduire aussi : "je t'apporte la parole de pouvoir, la force de l'eau et la protection de la terre", ce qui est d'ailleurs développé après dans la même strophe.

    2 Ou ''si tu veux trahir la femme d'un autre en la dupant''. Le texte original a les deux sens. Il ne s'agirait pas d'adultère, mais d'enseignement magique (dispensé par une femme plus âgée, donc celle d'un autre pour un jeune étudiant). Les runes de magie peuvent donc être utilisées pour se protéger des charmes que pourrait lancer la magicienne, ou pour lui voler son savoir.

    3 Ou sur celles de l'accouchée ?

    4 Mimir

     

    Brunehilde. Arthur Rackham

    Brunehilde. Arthur Rackham

     

      Sigdrifumal                                                                                                                               Sigdrifumal


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 24 Novembre 2013 à 15:54

    Vue l'ampleur des ouvertures de sujet à partir de la Volupsa, je fractionne mes répliques.

    Puisque tu m'as renvoyé à cet article, pour illustrer notre discussion sur les rites et la religion, autant y migrer... Au moins pour cette partie. Au fait c'est fou ce qu'ils semblaient avoir peur de leurs cornes de bière, je me demande si on ne devrait pas utiliser les runes sur nos plats préparés pour éviter qu'il ne contiennent des OGM ou autre produits pas bio.
     
    J'ai aussi bien apprécié le Beowulf et Grendel que tu cites que celui plus hoollywodien de Robert Zemeckis qui m'a d'ailleurs fait m'intéresser à cette légende que je ne connaissais que de nom.
    Récemment vu le marteau-croix sur un documentaire sympa au sujet de la Scandinavie à la veille de l'an mille. Il est des choses qu'on croit antinomiques qui ne le sont peut-être pas tant que cela...
     
    Effectivement la forme était extrêmement importante dans la religion romaine au point qu'un seul geste faussé commandait de recommencer l'intégralité de la cérémonie. Ceci a fortement influencé le rite catholique, mais c'est au fond une base de la relation avec l'autre monde dans ce qu'on appelle la magie, un tas de rites, de formules voire de recettes à appliquer avec précision, qu'on retrouve également dans certaines traditions dites folkloriques, et en quelque sorte le placement spécifique des runes à tel ou tel endroit de l'épée et non ailleurs démontre que le phénomène n'est pas étranger non plus aux Scandinaves, dans une moindre mesure.
     
    Bien vu pour Constantin comme pour Clovis. Mais le pragmatisme apparent d'une conversion (il me faut remporter cette victoire, en échange je promets quelque chose à tel ou telle divinité) surtout pour un guerrier ne doit pas cacher une quête intérieure et de nombreuses interrogations personnelles. Si je reprends l'exemple de Clovis, même si il est difficile de retracer avec précision son parcours, il faut imaginer une grande force de caractère dans ce choix.
    Il devient roi parmi le dernier carré de peuples à demeurer païen à l'intérieur d'un monde chrétien (les anciennes limites de l'empire), qu'on soit de tendance arienne (royaumes ostrogothiques, burgondes, wisigothiques et vandales) ou bien catholique (ultimes pouvoirs romains comme celui de Syagrius, église celtique de Grande et petite Bretagne, grande majorité des ex-citoyens romains dans les cités maintenant sujettes aux Barbares, et empire d'orient). Cette fidélité aux vieilles divinités apparait comme une spécificité franque puisque les divers autres "rois" francs le demeurent aussi.
    Les autres peuples germaniques restés païens sont tous en dehors des frontières. C'est justement en combattant un de ceux-ci, les Alamans lors d'une terrible et très longue bataille que Clovis finit par opter pour le Dieu de sa femme, Clotilde.
    Et là coup de théâtre (qu'après coup on interprète comme un coup de génie stratégique, mais il était très risqué) Hlodowig opte pour la tendance religieuse des...perdants, entendre les Romains. Or à l'époque les grandes puissances occidentales sont toutes germaniques et ariennes. Que le roi des Francs ait été travaillé par les aristocrates et les grands clercs romains, voire par des agents de Constantinople (qui cherchait et va justement obtenir une alliance de revers contre les royaumes barbares) c'est certain, mais je crois qu'on ne doit pas lui ôter une décision qui ne devait pas être uniquement de l'opportunisme.
     
    Les ex-voto dans certaines vieilles églises font sourire certain, mais je ressens un profond respect lorsque je lis dans le marbre que l'archéologue a arraché à la terre, la réalisation d'un vœu sacré fait par un individu à Jupiter ou à Epona, en garnison au fin fond de la Grande-Bretagne et qui a payé de ses deniers (romains) cette acte de foi qui devait lui coûter beaucoup (achat de la stèle de marbre, gravure d'un texte, etc). Qu'on s'adresse à un dieu unique, un saint ou une divinité d'un panthéon multiple c'est la preuve matérielle de l'honorabilité du dédicant, qui a tenu à accomplir sa promesse et non à se dire, une fois obtenu ce qu'il voulait, c'était un coup de chance, comme on aurait tendance à trop facilement l'admettre aujourd'hui... 
     
    Parler de prosélytisme pour toutes les religions du Livre (une expression musulmane), je ne sais pas. Exact pour les deux plus récentes, beaucoup moins évidente en ce qui concerne la religion hébraïque, qui n'aspire pas forcément à convertir le monde autour d'elle.
    Concernant "les" paganismes, c'est moins évident parce que le concept même est différent. A priori je pense que par définition une religion polythéiste absorbe et redéfinit et fini par dissoudre, comme en Inde où le Christ peut facilement être intégré comme avatar d'un dieu préexistant dans le panthéon hindouiste. Le rôle d'une religion monothéiste (mais pas du Livre !) à tendance universaliste pourrait être jouée par le Mazdéisme des Sassanides perses, le grand adversaire du Christianisme impérial romain.
     
    Le "succès" (mais en était-ce vraiment un?) du Christianisme est bien sûr dû au coup de théâtre de l'empereur romain qui en quelque sorte à "tourné tunique", mais attention aux clichés concernant une "secte minoritaire" avant cette période. Dans la partie grecque et orientale de l'empire en tout cas, c'est loin d'être une simple minorité, et si c'est le cas elle aurait eu pas mal d'influence. L'époque toute entière, victime d'une immense "globalisation" qui avait remis en question toutes les croyances et les traditions en les faisant se culbuter joyeusement, se cherchait et cherchait un nouveau système religieux et philosophique et surtout une unité de pensée que nul en réalité ne parvenait à atteindre. La tentative de construite une Église païenne de l'empereur Julien l'Apostat pour contrer l'église constantinienne en est l'illustration : tout aussi rigide, orientée sur un dieu solaire quasi unique, avec une lourde hiérarchie de prêtres (et celle des Sassanides doit y avoir beaucoup ressemblé). Aurait-elle cherché à convertir en masse si son auteur en avait eu le temps ? Je pense que cela aurait été inévitable.
     
    Petite correction liturgie ne prend pas h, le mot est d'origine grecque et désigne à l'origine une charge civique financière à Athènes qui n'a rien de religieux. Quant à savoir pourquoi le terme s'est ainsi transformé...
     
    J'adore la vision de la lumière au sommet de la montagne, de la tour de boucliers à son sommet et de l'effeuillage à la germanique exécuté par le héros, qui devait sacrément être bon à manier l'épée pour ne pas avoir blessé sa belle au bois dormant si sa cuirasse était serrée à ce point.
    Oh là là, je m'aperçois qu'il y en aurait encore un paquet à dire sur ce nouveau thème (la tour avec la princesse enfermée de nos légendes, le rouet maudit qui pique) alors même que je n'ai pas fini de répondre à ton précédent commentaire ! 

    2
    Vendredi 29 Novembre 2013 à 13:11

    Oui, l'ALU était déjà un constituant important des canettes de bière à l'époque... (pour plus de détails sur le sens de ce terme, voir ici, sans obligation d'achat). Quant à ce qu'on mange aujourd'hui... Je dois avouer que j'use pas mal du "laukar" (poireau, oignon et ail), le L de ALU, et que je n'achète pas de plats préparés, parce que je suis une mère de famille prudente.

    Le Beowulf de Zemeckis m'est apparu très artificiel, et pas seulement sur le plan graphique. Je préfère résolument l'autre version.

    Les rites devaient en effet être précisément exécutés, si l'on voulait qu'ils montrent quelque efficacité magique, mais celui pour lequel on note le plus de latitude chez les scandinaves est également celui qui a des fins cultuelles avouées (le blot, le sacrifice). Les autres pratiques magiques principales, le seiðr (contact avec le monde de l'invisible par le hugr, le plus souvent dans le but d'avoir des visions prémonitoires) et le níð (malédiction visant à amener la maladie et le discrédit sur l'ennemi) me paraissent plus rigides dans leur forme. La chose tient peut-être au fait que les anciens scandinaves croyaient qu'ils participaient de la divinité, par leur existence même, par leurs actes, par leurs pensées, et qu'il n'y avait pas de nécessité à en faire plus pour elle de manière ostensible. La relation de hiérarchie était moins marquée que chez les chrétiens, la relation de vassalité entre la créature et le Créateur beaucoup plus diffuse. Il n'existe plus guère de rites "magiques" chez les chrétiens, à part l'exorcisme, car je ne considère pas que baptême et communion en soient, mais je dois préciser que je regarde cette religion de l'extérieur (les autres aussi, d'ailleurs).

    OK pour la quête intérieure des puissants, qui ne sont que des hommes, en parallèle avec leur recherche de la réussite. L'expansion du christianisme n'a pas été qu'un acte politique, et devait probablement répondre à quelque chose de plus profond, en relation avec la modification du monde à cette époque : plus de population, une meilleure propagation des hommes et des idées... Et il faut reconnaître au christianisme qu'il s'agit d'une religion simple (un Dieu, un fils de Dieu, 10 lignes de texte qui correspondent à des règles de savoir-vivre en société). Dans le nord, pour les rois de Norvège, la conversion des masses est cependant passée par 1) un séjour à l'étranger (Angleterre) des futurs rois chrétiens, Hakon le Bon, Olaf Trygvason, Saint-Olaf, qui ont été décisifs dans la conversion de ce pays, et 2) par l'usage de la force, avec toutes sortes de formes de répression, un peu passées sous silence dans "le drakkar et la croix", si c'est de ce documentaire que tu parlais. Il est fréquent que les convertis de frais ne fassent pas dans la dentelle. A titre d'anecdote, la conversion de l'Islande a été promulguée au cours de l'Althing (assemblée plénière) de l'an 1000, qui a déclaré dans le même temps que chacun pourrait rester libre de célébrer les rites qu'il voulait dans la sphère privée. Cette liberté a fondu rapidement.

    La foi des fidèles ne m'a jamais amenée à en rire. Par contre, qu'ils se permettent de me dire (à moi ou aux autres) que je ne pense et ne vis pas comme il faut m'insupporte. J'avais inclus volontairement le judaïsme dans les trois religions "du Livre" (c'est une commodité de langage, j'en conviens), sous l'influence de réminiscences de mes humanités scolaires. J'ai recherché pourquoi : dans les fragments de St Augustin, Sénèque est cité "victi victoribus leges dederunt" (il trouvait dommageable que "les vaincus aient pu donner des lois aux vainqueurs"). Je ne reviens pas sur la collusion loi-religion. Il me semble me rappeler qu'il y avait eu d'autres dols de ce type chez les auteurs latins. Et au cours de la diaspora, la pression pour une conversion au judaïsme était bien plus vive qu'aujourd'hui, même si elle n'a jamais été violente : les païens, mûrs pour ce faire, étaient vivement incités à se convertir soit complètement, soit partiellement (ils pouvaient suivre une partie des rites, se marier avec des juifs...), et leurs enfants étaient considérés comme juifs à part entière par la suite. La situation a bien changé, suite au déroulement de l'histoire d'ostracisme et pire vis à vis des juifs  depuis 2000 ans, et en effet, le judaïsme me paraît plus enclin à se préserver qu'à s'étendre, aujourd'hui. Le même phénomène est observé pour les zoroastriens, qui ne pratiquent pas le prosélytisme. Pour le christianisme du IIIème siècle, si c'est le terme "secte" qui te gêne, je peux tout à fait le remplacer par celui d'"église" (l'ekklesia chrétienne), mais on ne peut pas dire qu'elle était majoritairement représentée dans la population, quoique montant en puissance. La conversion de Constantin a donné un bon coup d'accélérateur à l'histoire. Tu as l'air de douter que l'expansion du christianisme ait été un succès pour le christianisme. Ou alors, je n'ai pas compris la question... Quant à la tentative de Julien, elle me fait penser à celle d'Akhénaton. Nul doute qu'en l'absence de séparation de l'église et de l'état, sa religion aurait été appelée à s'étendre, de gré ou de force.  

    Oups, liturgie... Les pierres n'ont rien à voir là-dedans, en effet. Quoique, tu es Pierre et sur cette pierre... Mauvais esprit de ma part. Le glissement de sens ne procéderait-il pas de l'étroite relation entre religion et loi ? Les deux étant des services publics assurés par l'état, le "travail du fonctionnaire" ? 

    Arthur Rackham était un illustrateur de grand talent, et ces images sont tirées de son travail pour le Ring de Wagner. La déclinaison des thèmes archétypaux des "contes de fées" est un fort vaste sujet. Sigurd est un des prototypes de héros "solaire", portant et maniant excellemment le symbole diaïrétique associé, l'épée, laquelle n'était pas non plus n'importe quelle épée, puisqu'il s'agissait de Gramr, épée reforgée par Regin, frère du dragon Fafnir, à partir des morceaux de l'originale qu'Odin avait plantée dans un arbre puis cassée de sa lance par la suite. Toute ressemblance schématique de l'histoire avec celle d'Excalibur et d'Anduril flamme de l'ouest reforgée à partir des débris de Narsil chez Tolkien n'a rien de fortuit. La redondance des princesses endormies ou pas, enfermées dans des donjons (ou dans des cercueils de verre !) etc... dans les légendes non plus. J'avais même réussi à établir un lien entre l'histoire de la Belle au bois dormant et toute la symbolique de la rune Thurs (épine et violence virile). Un petit délire.

    @+

    3
    Vendredi 29 Novembre 2013 à 15:27

    Bon il faut que je te réponde dans le vif, car plus j'attends et plus des idées s'accumulent et viennent s'ajouter aux premières ce qui fait un commentaire toujours plus monstrueux.
     
    Les bractéates me font penser aux phalères des Francs, mais gardons ce thème pour une autre occasion.
    J'aime qu'une légende soit déclinée de manières parfois totalement différente (il existe autant de visions d'Arthur que de films à son sujet) avec même des rajouts "artificiels" à l'histoire d'origine. On va dire que Beowulf et Grendel semble peut être plus "historique" que l'autre.
     
    Ta neutralité a l'égard des religions te permet justement une bonne vision d'ensemble. Pour ma part après une période de rejet j'en suis venu à vouloir mieux comprendre celle qui a façonné pendant longtemps l'esprit de l'Europe occidentale, j'entends la branche catholique du Christianisme (et tout ce qu'elle contient, en tant que conservatoire d'éléments impérial, romain et de vieux saints gaulois ou de légendes basques !). Probablement aussi cet intérêt m'est aussi venu par esprit de contradiction. Et donc je me permets de préciser deux choses :
    Ce n'est pas du tout une religion simple. Sans porter de jugement sur son utilité réelle ou pas, sa théologie en est extrêmement complexe et peut supporter la comparaison avec le poids lourd (et beaucoup plus ancien) qu'est par exemple le Bouddhisme (qui connaissait le monde "virtuel" bien avant sa découvertes par les geeks).
    Même si un Catholique (ou un Orthodoxe d'ailleurs) ne voudra jamais se l'avouer, il y a probablement de la magie dans les rites qu'il emploie machinalement (tu as raison pour l'exorcisme, j'ajouterais les bénédictions, les signes de croix, le culte des reliques -qui rejoint quelque part le culte des Héros chez les Grecs antiques voire le culte des têtes et autres trucs assez glauques des populations celtiques... Enfin il y en aurait un paquet en fait). Bon nombre des éléments qui ont justement été combattus pas les Protestants à l'époque de la Réforme.
    Et l'élément le plus intéressant me paraît être également la notion du Sacrifice, sur un Autel s.v.p qui n'est en réalité que l'ultime avatar des antiques sacrifices sanglants ou non.
    Pourquoi les sanctuaires de pèlerinage au Moyen-Âge étaient-ils organisés afin que les pèlerins tournent autour des reliques sans savoir qu'ils reprenaient ce faisant le geste de leurs équivalents indiens ou tibétains, des Gaulois autour de leur fanum et que font toujours les Musulmans autour de leur Pierre Noire ?
    Bon j'en passe et des meilleures (rogations, Vierges Noires, antiques statues "ressorties" de terre par un paysan à l'origine d'un sanctuaire, passage de nouveaux-nés à travers le trou d'un mur de l'église, marques dites "de sorcières" sur les linteaux de pierre des églises romanes et pré romanes dans les Alpes et les Pyrénées...).
     
    Ce n'est pas le documentaire que tu cites que j'ai regardé. Mais c'était sur le Net et euh...le titre m'a échappé. Il ne m'a rien caché des conversions aux rouleaux compresseurs en Norvège (on reconnait là toute la finesse dialectique viking après tout - j'en ai également vu il y a peu un autre sur la conquête normande de l'Angleterre, et la période qui a suivi fut loin d'être des plus douces pour les Saxons) et même des guerres entre nouveaux convertis et les autres. Y compris que l'Islande s'était convertie sous la menace d'invasion du roi de Norvège.
     
    Tu parles de fonctionnaires payés par l'Etat, et c'est un peu ce que j'entendais pas le "succès" du Christianisme puisque c'est exactement ce que sont devenus les prêtres à partir de Constantin.  A partir du moment où un courant religieux (secte si tu préfère cela ne me choque pas) se rigidifie de la sorte il perd beaucoup de sa vitalité réellement mystique. Et laisse place à beaucoup plus de calculateurs sans scrupule intéressés par des perspectives carriéristes. Et puis il me semble que c'est justement par la suite de cet événements qu'on se mit à convaincre les autres à coup d'épées et non plus simplement par des discours.
     
    Quand je parlais "d'image" je n'entendais pas l'illustration mais bien des mots de ta traduction ! Et pour finir (pas réussi à faire cours comme d'hab...), les petits délires d'aujourd'hui peuvent parfois donner naissance aux grandes théories de demain !
     

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    Mardi 3 Décembre 2013 à 09:22

    J'essaie d'être neutre, surtout à l'égard des croyants, que je n'ai pas à juger. J'ai été élevée (dressée ?) dans le courant luthérien du protestantisme, j'ai également fait une forte réaction de rejet à l'égard du christianisme - il en reste des traces -, et j'ai un peu de mal à être objective par rapport à l'histoire de cette religion. Ce n'est en effet pas une religion simple, encore qu'originellement, si on s'en tient à sa partie spécifique des évangiles, la parole du Christ ne me semble pas aussi alambiquée que ce qui en a été fait par la suite par l'Eglise. Mais je ne crois pas qu'avant de baptiser en masse et de force les populations païennes du nord de l'Europe, ou d'Amérique du sud, ou d'Afrique, on ait pris le temps de leur en expliquer tout le détail de la lettre. Juste les bases, avec comme consigne de faire ce qu'on leur dirait de faire.

    L'incorporation de pratiques magiques telles que tu les décris, et de symboles parfaitement étrangers à cette religion (la cathédrale d'Amiens et ses svastikas et labyrinthe), la récupération des fêtes des cultes antérieurs, le plus bel exemple étant celui de Noël, Jol et les Saturnales, l'intégration des traditions locales (le culte des crânes à Naples ou à Hallstatt n'est pas sans évoquer non plus celui des ancêtres au néolithique, certaines églises en Afrique sont décorées de masques rituels...), ont compliqué et diversifié les aspects cultuels de cette religion. Sans compter qu'elles ont probablement contribué, organisées ou pas en amont dans ce but par les instances dirigeantes de l'église, à une meilleure expansion de cette religion en se fondant dans la tradition locale, folklorique au sens étymologique, ou en recyclant des gestes rituels millénaires. Je ne suis pas une spécialiste du catholicisme, loin s'en faut, mais quand je prends part à une cérémonie religieuse catholique (baptême, mariage), je suis souvent assez étonnée de découvrir que peu des croyants qui m'entourent ont lu la Bible (tous savent lire, pourtant, ce qui n'était pas le cas au moyen-âge), et qu'ils la connaissent et l'interprètent surtout par ce qu'on leur en a dit. Mon côté protestant, sans doute. 

    Pour la suite de tes réflexions, peu de divergences. La Germanie du nord a été convertie, bah, on sait bien comment, par Charlemagne. Le Danemark a été converti, condition du retour à la paix, suite à l'invasion par Otton II, après des échecs de mission d'évangélisation par des prêtres et des évêques. L'Islande a été convertie sous la pression d'une menace d'invasion d'Olaf Tryggvason qui s'est énervé après l'échec de la mission du prêtre Thangbrand (saxon, par devers moi surnommé "le Bourrin", et sur lequel avaient été écrites des chansons qui le brocardaient avant que les Islandais ne le mettent carrément dehors). Olaf Ier avait également pris en otage les proches des principaux chefs de l'île, et menacé de les exécuter. La Finlande a été convertie par différentes croisades suédoises commanditées par les papes. Là comme ailleurs, la collaboration entre pouvoir politique et gouvernance religieuse (le potestas et l'auctoritas), en vue de partager le gâteau des impôts, a été d'une grande efficacité. Il est d'ailleurs remarquable de noter que lorsqu'il y a séparation de l'église et de l'état, à l'époque moderne, cette séparation est toujours relative en première instance à l'argent, en termes de rémunération des agents, de fiscalité, de financement des organismes éducatifs... La foi, l'obéissance aux dogmes, et leurs conséquences sur la société sont plutôt des paramètres secondaires. Le début du vingtième siècle a été assez rude pour les cultes en "occident".

    A bientôt pour une réponse à ton autre commentaire, mais pour l'heure, il paraît qu'il faut que je travaille. @+

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