• Skaldskaparmal


    bragi, snorri sturluson

    Bragi, dieu de la Poésie, par Carl Wahlbom

     

    Skaldskaparmal

    Snorri Sturluson

    Traduction de la version anglaise de Arthur Gilchrist Brodeur (1916)

     

    Un homme nommé Ægir ou Hler habitait une île maintenant connue sous le nom d'Ile de Hler (Læsso). Il était versé en l'art de la magie noire. Il entreprit le voyage vers Asgard, mais les Ases avaient eu la prémonition de son expédition. Il y fut reçu avec bonne humeur, et pourtant beaucoup d'illusions visuelles furent créées pour le duper. Vers le soir, lorsqu'il fut temps de boire, les épées disposées par Odin dans la halle étaient si lumineuses qu'il ne fallut aucun autre éclairage, tandis que tous prenaient place sur les bancs. Puis les Ases entrèrent pour le banquet, et s'assirent sur les hauts sièges les douze Ases qui ont été nommés pour être juges : voici leurs noms : Thor, Njôrdr, Freyr, Tyr, Heimdallr, Bragi, Vidarr, Vali, Ullr, Hœnir, Forseti, Loki, et pareillement les Asynes : Frigg, Freyja, Gefjon, Idunn, Gerdr, Sigyn, Fulla, Nanna.

    La vision qu'eut de la scène Ægir fut mémorable : les boiseries étaient couvertes de boucliers dorés, il y avait abondance d'hydromel mousseux. La personne assise à côté d'Ægir était Bragi, et ils partagèrent boisson et conversation : Bragi narra à Ægir les derniers hauts faits qui s'étaient passés chez les Ases.

    Il commença son récit lorsque trois des Ases, Odin, Loki et Hœnir, partis de chez eux et voyageant par les montagnes et les déserts se trouvèrent dépourvus de nourriture. Mais, en parvenant à un vallon, ils avisèrent un troupeau de bœufs, en prirent un et le préparèrent pour la cuisson. Lorsqu'ils pensèrent qu'il devait être cuit, ils éteignirent le feu. Mais il n'était pas cuit. Ils le remirent au feu un bon moment, puis l'en retirèrent une seconde fois. Il n'était toujours pas cuit. Alors ils tinrent conseil entre eux, se demandant ce que cela pouvait bien signifier.

    Ils entendirent alors une voix provenant du chêne au-dessus d'eux, avouant que celui qui était assis là était responsable de l'inefficacité du feu. Ils regardèrent vers le haut, et là était perché un aigle, et ce n'était pas un petit aigle. Alors l'aigle dit : «si vous voulez bien me céder quelque part de ce bœuf, alors il pourra cuire sur le feu.» Ils y consentirent. Alors il se laissa planer depuis sa branche et se posa dans la lueur du feu, puis sans tarder, leva pour lui même les deux cuisses du bœuf, et ses deux épaules. Alors Loki se fâcha, saisit une longue branche, la brandit de toutes ses forces et en frappa l'aigle. L'aigle se baissa violemment sous le coup puis prit son envol, le bâton coincé dans son dos, avec Loki agrippé des deux mains à l'autre extrémité. L'aigle vola à une hauteur telle que les pieds de Loki heurtèrent en bas les rochers et les collines et les arbres, et il pensa que ses bras allaient être arrachés de ses épaules. Il cria, adjurant l'aigle de bien vouloir faire la paix : mais l'aigle lui déclara qu'il ne serait jamais délivré, à moins qu'il ne fasse serment d'inciter Idunn à sortir d'Asgard avec ses pommes. Loki accepta, et, aussitôt libéré, rejoignit ses compagnons. Rien d'autre n'est rapporté de ce que fut le reste de leur périple, sinon qu'ils revinrent chez eux.

     

    edda de snorri

     

    Mais au moment voulu, Loki attira Idunn à l'extérieur d'Asgard, lui faisant miroiter qu'il avait trouvé dans une certaine forêt des pommes qui lui sembleraient tout à fait dignes d'intérêt. Et il la pria de prendre les siennes avec elle afin de les comparer à celles-là. Alors, Thjazi le géant, sous son plumage d'aigle, surgit et ravit Idunn, l'emportant dans sa lointaine demeure de Thrymheimr.

    Mais les dieux furent très ennuyés en l'absence d'Idunn, leurs cheveux blanchirent rapidement et ils devinrent vieux. Alors les Ases tinrent conseil et se demandèrent les uns aux autres qui avait le dernier eu des nouvelles d'Idunn ; et la dernière fois qu'elle avait été vue, c'était sortant d'Asgard avec Loki. Alors Loki fut saisi et amené devant le conseil, et menacé de mort et de torture ; une fois bien effrayé, il déclara qu'il irait chercher Idunn du côté de Jotunheim, si Freyja voulait bien lui prêter son plumage de faucon. Et lorsqu'il eut le plumage de faucon, il s'envola vers le nord en direction de Jotunheim, et finit par arriver à la maison de Thjazi le géant.

    Thjazi était parti en mer, et Idunn était seule à la maison. Loki la transforma en noix, s'en saisit entre ses serres et repartit à vive allure. Lorsque Thjazi rentra à la maison et se rendit compte de l'absence d'Idunn, il revêtit son plumage d'aigle et s'envola à la poursuite de Loki, faisant vrombir ses ailes dans son vol puissant.

    Mais lorsque les Ases virent que le faucon fuyait à tire d'aile avec la noix, et à quelle vitesse volait l'aigle, ils sortirent d'Asgard chargés de fagots de copeaux de bois. Dès que le faucon entra dans la citadelle, il se précipita sous les remparts du château ; alors les Ases boutèrent le feu aux ballots de copeaux depuis le chemin de ronde. Mais l'aigle ne put ralentir, maintenant qu'il avait manqué le faucon. Ses plumes prirent feu, et son vol cessa immédiatement. Les Ases étaient à proximité immédiate, et tuèrent le Géant Thjazi sous la porte d'Asgard, et cette mort est restée célèbre.

      

    edda de snorri

    Le retour d'Idunn. Carl Wahlbom

     

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  • songerune 

    Haikus

    Une déferlante... approchez-vous.

     

    pluie de sel marin
    le parfum cuivré du sang
    la mort sait nager 

     

     songerune                                                                                                                                                                                songerune


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  • Skaldskaparmal

    Wake Skadi, d'Hagalaz Runedance

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    Alors, Skadi, la fille de Thjazi le géant, se saisit du heaume de son père et de toutes ses armes et se rendit à Asgard pour venger son père. Les Ases, cependant, voyant son courage, lui offrirent la réconciliation et un dédommagement : la première compensation serait qu'elle pourrait se choisir elle-même un époux parmi les Ases, à condition de le choisir seulement à la vue de ses pieds, sans regarder le reste de sa personne. Alors son regard fut attiré par les proportions des pieds de l'un d'entre eux, et elle dit : «- Je choisis celui-ci. En Baldr, rien ne peut être détestable.» Mais il s'agissait des pieds de Njord de Noatun.

     

    edda de snorri

     

    Elle avait également demandé en contrepartie que les Ases parviennent à faire quelque chose dont elle les pensait à présent incapables : la faire rire. Alors Loki noua une corde à la barbe d'un bouc et l'autre à ses bijoux de famille, et chacun tira de son côté à son tour, chacun criant fort. Puis Loki se laissa tomber sur les genoux de Skadi, et elle éclata de rire. La réconciliation avec les Ases était scellée. Mais Odin fit un geste supplémentaire à l'égard de Skadi : il arracha les yeux de Thjazi et les jeta dans le firmament, les transformant en deux étoiles.

    Ægir intervint : «- Il me paraît que Thjazi était un homme puissant : de quelle famille était-il ?» Bragi répondit : «- Son père se nommait Olvaldi, et si je vous en dis plus, vous allez vous interroger sur ce que je vous raconterais. Il était très riche en or, mais lorsqu'il périt et que ses fils eurent à se partager son héritage, ils trouvèrent ce moyen pour dire quelle serait la part d'or de chacun: chacun pourrait prendre tout ce que sa bouche pourrait contenir, et chacun le même nombre de bouchées. Le premier d'entre eux était Thjazi, le deuxième Idi, et le troisième Gangr. Et nous utilisons cette métaphore aujourd'hui, pour parler de l'or nous disons : l'histoire de la bouche de ces géants. Mais nous gardons cette expression secrète, ou l'utilisons en poésie, où nous parlons de discours, ou de parole, ou de propos de ces géants.»

    Ægir dit : «-Il semble que ce soit bien caché en ces termes secrets.» Et il ajouta : «-Et d'où vient cet art que vous nommez poésie, quels en sont les débuts ?»

    Bragi répondit : «Ainsi furent ses débuts. Les Ases avaient un différend avec ceux qu'on nomme les Vanes. Ils tinrent une réunion pour la paix, et chacun est allé vers une cuve et a craché dedans à son tour. Avant de se séparer, les dieux ne voulurent pas que ce symbole de paix périsse, et lui donnèrent forme humaine. Cet homme se nommait Kvasir, et était si sage que chacun pouvait lui poser n'importe quelle question sur n'importe quel sujet, et qu'il était capable d'y répondre. Il allait et venait sur terre pour donner des conseils aux hommes ; et lorsqu'il se rendit à l'invitation de certains nains jaloux, Fjalar et Galarr, ils l'attirèrent dans une conversation privée avec eux et l'assassinèrent, laissant couler son sang dans deux cuves et une bouilloire.

     

    Skaldskaparmal II : mariage de Skadi, naissance de la poésie

    La mort de Kvasir. F. Stassen.

     

    La bouilloire est nommée Odrerir et les cuves Son et Bodn. Ils mélangèrent du miel à son sang, et le mélange donna un hydromel merveilleux par la vertu duquel quiconque en boit devient un scalde ou un savant. Les nains persuadèrent les Ases que Kvasir s'était étouffé dans son propre savoir, puisque personne n'était en mesure d'être à la hauteur de sa connaissance. Ensuite, ces nains invitèrent le géant nommé Gillingr à leur rendre visite, avec sa femme. Puis les nains invitèrent Gillingr à ramer avec eux sur la mer ; mais lorsqu'ils furent loin de la terre, les nains maladroits ramèrent vers les brisants et firent chavirer la barque. Gillingr ne savait pas nager, et il se noya ; mais les nains remirent leur bateau à l'endroit et rentrèrent à la rame. Ils racontèrent cet accident à son épouse, mais elle le prit avec gravité et pleura bruyamment. Alors Fjalar lui demanda si son deuil serait facilité s'ils la conduisaient sur la mer à l'endroit de l'accident ; et elle le voulut. Alors il parla à mi-voix à son frère Galarr et lui demanda de se tenir au-dessus de la porte, afin de lui lâcher une pierre de meule sur la tête lorsqu'elle passerait, parce que ses pleurs commençaient à l'importuner ; et il en fut ainsi.

    Lorsque le géant Suttungr, fils de Gillingr, apprit ce qui s'était passé, il vint les voir, se saisit des nains et les emmena en mer, et les déposa attachés sur un récif qui serait submergé à marée haute. Ils supplièrent Suttungr d'épargner leurs vies, et comme dédommagement pour la mort de son père et prix de la paix, lui offrirent le précieux hydromel. Suttungr ramena l'hydromel chez lui et le cacha en un lieu nommé Hnitbjorg, en laissant la garde à sa fille Gunnlod. A cause de cette histoire, nous appelons la poésie le sang de Kvasir, ou la boisson des nains, ou le contenu ou n'importe quel liquide de Odrerir, ou de Bodn, ou de Son, ou la barque des nains - puisque cet hydromel leur a sauvé la vie -, ou rançon du récif, ou hydromel de Suttungr, ou liqueur de Hnitbjorg.

     

    edda de snorri

    Suttungr menaçant les nains.  Louis Huard

     

    Alors Ægir fit remarquer : «- Ce sont de bien sombres termes pour parler de poésie. Mais comment les Ases ont-il accédé à l'hydromel de Suttungr ?»

    Bragi répondit : «- Un récit le narre : Odin quitta sa maison et parvint à un champ où neuf esclaves fauchaient le foin. Il leur demanda s'ils voulaient qu'il aiguise leurs faux, et ils acquiescèrent. Alors il prit une pierre à aiguiser à sa ceinture et la passa sur les faux. Il leur sembla qu'elles coupaient infiniment mieux, et ils demandèrent si la pierre à aiguiser était à vendre. Mais il lui conféra une valeur telle que personne ne pourrait jamais l'acheter. Alors il jeta la pierre en l'air ; et comme tous voulurent la récupérer, ils se bousculèrent tant et si bien qu'ils se coupèrent mutuellement le cou avec leurs faux.

    Odin sollicita l'hospitalité pour une nuit auprès du frère de Suttungr, nommé Baugi. Baugi se lamentait sur son exploitation, se plaignant que ses neuf esclaves se soient entretués, et déclara qu'il n'avait aucun espoir de retrouver des serviteurs. Odin lui dit s'appeler Bolwerk : il lui offrit de reprendre la besogne des neuf travailleurs de Baugi, et demanda comme salaire une gorgée de l'hydromel de Suttungr. Baugi le prévint qu'il n'avait aucun droit sur l'hydromel, et dit que Suttungr était bien déterminé à le garder pour lui tout seul, mais il promit d'aller le voir avec Bolwerk et d'essayer d'obtenir un peu d'hydromel. Pendant l'été, Bolwerk accomplit le travail de neuf hommes pour Baugi, mais quand l'hiver vint, il lui demanda sa rétribution. Ils se rendirent tous deux chez Suttungr, à qui Baugi parla de son marché avec Bolwerk, sans en obtenir ne serait-ce qu'une goutte d'hydromel. Alors Bolwerk suggéra à Baugi d'user de ruses afin d'accéder à l'hydromel ; Baugi en fut d'accord. Donc, Bolwerk alla quérir une tarière nommée Rati, disant que si Baugi pouvait creuser le roc, elle serait bien coupante. Ainsi firent-il. Quand Baugi dit que la montagne était enfin traversée, Bolwerk souffla dans le trou, mais les gravats volèrent vers lui. Alors il découvrit que Baugi l'avait trompé, et il lui ordonna de continuer à creuser. Baugi se remit à creuser, et lorsque Bolwerk souffla à nouveau, les gravats volèrent vers la caverne au fond du trou. Alors Bolwerk se transforma en serpent et rampa dans le tunnel, mais Baugi lui lança la tarière par derrière et le manqua. Bolwerk progressa vers l'endroit où Gunnlod résidait, et resta trois nuits avec elle. Alors elle lui permit de boire trois gorgées d'hydromel. La première nuit, il vida Odrerir jusqu'à la dernière goutte ; la deuxième nuit, il assécha Bodn ; et la troisième nuit, Son. Et maintenant, il avait tout l'hydromel.

     

    edda de snorri

    Odin et Gunnlod. Johannes Gehrts.

     

    Alors il se transforma en aigle et s'enfuit aussi vite que possible. Mais lorsque Suttungr vit la manière dont fuyait cet aigle, il changea de forme également, devint un aigle à son tour, et le pourchassa. Lorsque les Ases virent qu'Odin s'enfuyait, pressentant ce qui se passait, ils sortirent immédiatement les cuves dans la cour ; et lorsqu'Odin parvint à Asgard, il régurgita l'hydromel dans les cuves. Pourtant, comme il avait été bien près d'être rattrapé par Suttungr, un peu d'hydromel ressortit aussi par l'orifice postérieur. Aucune attention ne fut portée à cet hydromel-là, et quiconque peut en obtenir, et nous l'appelons la part des poêtaillons.

     

    edda de snorri

     

    Mais Odin donna de l'hydromel de Suttungr aux Ases et aux hommes capables de composer de la poésie. Depuis, nous nommons la poésie butin ou trouvaille d'Odin, ou boisson d'Odin, ou son don, et boisson des Ases.

     

    Skaldskaparmal                                                                                                                          Skaldskaparmal 

     


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  • Première ligne : la Thrymskvitha

    Lord of lies (Ragnarok), Tyr 

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    Ase presque aussi complexe que son frère juré Odin, Loki incarne à la fois les forces destructrices du chaos, la ruse, la malice, mais également la séduction et la débrouillardise. Il représente donc la figure mythologique du Bouffon, résolvant intelligemment, mais toujours sous la contrainte, les troubles qu'il a lui-même causés. Il est d'une nature fondamentalement mauvaise et capricieuse, et pourrait s'apparenter à une figure du Mal, au sens chrétien, si la notion morale que ce terme inclut avait un sens dans ce paganisme orienté plutôt vers un nécessaire pragmatisme. Il est plus certainement la grande figure du chaos, dans ce qu'il s'oppose à l'ordre du monde, la Loi, concept plus compréhensible et fondateur pour les anciens scandinaves.

    Père des deux grands monstres de la mythologie nordique, Fenrir le Loup et Jormungand le Serpent du Monde, il est aussi celui de Hel, à qui reviennent les morts pas suffisamment méritants pour gagner la Valhöll (chez Odin) ou Folksvang (chez Freya), et la mère de Sleipnir, le cheval d'Odin.

    Loki tuera Heimdall, son parfait négatif et sera tué par lui lors des Ragnarök.

     

    La lokasenna, edda poétique

     

    La Lokasenna est un texte dans lequel Loki, qui sait tout parce qu'il est à l'origine de la majorité des troubles et passe son temps à se mêler des affaires des autres, semble régler ses comptes avec les autres dieux, de manière insolente, violente et crue. Il en résulte qu'il les excède et subit un terrible châtiment. 
    La Lokasenna est aussi un texte faisant référence à de nombreux mythes et légendes fondateurs, cités ou non par ailleurs, et qui explicite la position fonctionnelle traditionnelle de chaque divinité.

     

    La lokasenna, edda poétique

    Lokasenna. Lorentz Frolich.

     

    La Lokasenna

      LES SARCASMES DE LOKl.

      Reprise et modifications de la traduction de F.G. Bergmann (1838). 

     

    Ægir, qui portait aussi le nom de Gymir, donna un banquet aux Ases après qu'il eut reçu le grand chaudron, comme il a été raconté1. A ce festin vint Odin avec son épouse Frigg.

    Thor ne vint point parce qu'il était en Orient ; Sif, la femme de Thor, y était, ainsi que Bragi et son épouse Idunn; Tyr y était, le Manchot ; le loup Fenrir lui avait mangé la main lorsqu'il s'était vu enchaîné. Etaient encore présents Niordur et sa femme Skadi, Frey et Freyia, Vidar, fils d'Odin, Loki et les domestiques de Frey, Beyggvir et Beyla, et un grand nombre d'Ases et d'Alfes.

    Ægir avait deux serviteurs, Fimafing et Eldir. L'éclat de l'or éclairait le palais au lieu de la lumière du feu ; la bière se versait d'elle-même dans les coupes ; c'était là un endroit sacré.

    On louait beaucoup les serviteurs d'Ægir ; Loki ne voulut point entendre ces louanges, et tua Fimafing. Alors les Ases frappèrent leurs boucliers, poussèrent des cris contre Loki, et le poursuivirent jusqu'à l'entrée d'un bois. Puis ils revinrent à boire.

    Loki y retourna aussi ; et ayant rencontré Eldir devant la porte, il lui dit : "Dis donc, Eldir, sans que tu fasses un seul pas de plus en avant, de quoi parlent-ils là-dedans, dans leur discours de table, les fils des Dieux Combattants ?"

    ELDIR dit : "Ils devisent sur leurs armes et sur leur valeur guerrière, les fils des Dieux Combattants. De tous les Ases et Alfes qui sont là-dedans, pas un ne parle de toi en ami."

    LOKI dit : "Il faut entrer dans les salles d'Ægir, pour voir ce banquet. Là, chez les fils des Ases je vais porter le tapage et le scandale, et mêler ainsi le fiel avec l'hydromel."

    ELDIR dit : "Songe bien que si tu entres dans les salles d'Ægir pour voir ce banquet, et si tu verses l'opprobre et l'injure sur les Grandeurs si bénignes, elles sauront s'opposer à toi."

    LOKI dit : "Songe bien, Eldir, que si nous escrimons l'un contre l'autre en termes injurieux, je saurais être inépuisable en répliques si tu dis un mot de trop."

    Ensuite Loki entra dans la salle ; mais ceux qui s y trouvaient, voyant qui était entré, se turent tous à la fois.

    LOKI dit : "Altéré de soif, je suis arrivé dans cette demeure après une longue marche ; Loki prie les Ases de lui offrir seulement un coup d'hydromel pur. Pourquoi gardez-vous le silence ? Etes-vous, Dieux, si bouffis de morgue que vous ne pouvez parler ? Désignez-moi un siège et une place à ce banquet, ou renvoyez-moi d'ici."

    BRAGI dit : "Te désigner un siège et une place à notre banquet ! Jamais les Ases ne le feront ; car les Ases savent bien à qui ils doivent faire partager leur banquet joyeux."

    LOKI dit : "T'en souviens-tu, Odin ; lorsque nous deux, autrefois, nous mêlâmes notre sang ensemble ; jamais, disais-tu, jamais tu ne goûterais de l'ale, à moins qu'elle ne fut offerte à nous deux ensemble."

    ODIN dit : "Lève-toi, Vidar, et laisse le père du Loup prendre place au banquet. Afin que Loki ne nous parle pas en termes injurieux dans la demeure d'Ægir."

    Vidar se leva, et versa à boire à Loki qui, avant de boire salua les Ases : "Ases, à votre santé ; à votre santé, Asynies ! A la santé de vous tous. Dieux très-saints ! Excepté ce seul Ase, ce Bragi qui est assis au fond, sur son banc."

    BRAGI dit : "Je te donne un cheval et une épée de ma propriété ; Bragi te fait ainsi réparation avec largesse, afin que tu ne portes pas rancune aux Ases. N'irrite point les dieux contre toi !"

    LOKI dit : "Un cheval et un écu ! Jamais tu n'auras que faire de l'un ou de l'autre, ô Bragi ! C'est toi, d'entre les Ases et les Alfes qui sont ici présents, le plus prévenu contre le combat ! Le plus effarouché à la vue d'une lance !"

    BRAGI dit : "Certes ! Si pour me battre et non pour assister au banquet, j''étais venu dans la demeure d'Ægir, je porterais ta tête dans ma main, je te paierais ainsi de ton mensonge."

    LOKI dit : "Tu es impétueux sur ton banc ! Il ne faut pas en user ainsi, magnifique Bragi, qui es trop sédentaire ! Va donc te battre pendant que tu es encore courroucé ; car, «homme en colère ne craint pas le démon. »

     

    La lokasenna, edda poétique

    Loki insulte Bragi. Collingwood. 

     

    lokasenna 

    Loki et Bragi en viennent aux mains. L. Frolich.

     

    IDUNN dit : "Je t'en prie, Bragi ! Au nom de nos enfants, de tous les fils qui sont encore dans nos vœux : N'irrite point Loki par des injures, dans la demeure d'Ægir."

    LOKI dit : "Tais-toi , Idunn ! — Je te déclare de toutes les femmes la plus lascive, depuis que tu as serré dans tes bras par trop lavés le meurtrier de ton frère."

    IDUNN dit :" Je ne répondrai point par des injures à Loki, dans la demeure d'Ægir. J'apaiserai Bragi excité par la bière ; je ne veux pas que vous vous battiez ainsi irrités."

    GÉFION dit : "Comment peuvent deux Ases se quereller ici dans la salle, et se dire des injures ! Loki ne s'aperçoit pas qu'il est par trop gaillard et que son impétuosité l'emporte."

    LOKI dit : "Tais-toi, Géfion, ou je vais raconter comment t'a éblouie ce brillant jeune homme qui t'a fait présent d'un collier, et que tu as fait passer entre tes cuisses."

    ODIN dit : "Tu es un fou, Loki, et un insensé, de porter Géfion à la rancune contre toi ; car elle connaît, je pense, en entier la destinée de chacun, aussi parfaitement que moi-même."

    LOKI dit : "Tais-toi, Odin ; tu n'as jamais su bien décider du sort des combats entre les hommes. Souvent tu as donné la victoire à qui tu ne devais pas la donner, au moins courageux2."

    ODIN dit : "D'où sais-tu que j'aie donné la victoire à qui je ne devais pas la donner, au moins courageux. Mais toi, pendant huit hivers, tu as été là-bas, sur la terre, une vache à lait et une femme, et tu y as accouché plusieurs fois3 ; et cela est, ce me semble, le propre d'un efféminé."

    LOKI dit : "Tu as pratiqué, à ce qu'on dit, la magie noire à Samsey, et tu as frappé aux portes comme les volva sous la figure d'un sorcier, tu volas par-dessus le peuple-des-hommes, et cela est, ce me semble, le propre d'un efféminé."

    FRIGG dit : "De vos aventures, vous ne devriez jamais parler en présence des héros, ni de ce que vous avez fait au commencement des siècles. «Les hommes ne se reprochent point d'anciennes fautes»

    LOKI dit : "Tais-toi, Frigg; tu es la fille de Fiorgynn, et tu as toujours été luxurieuse : car toi, la femme de Vidrir, tu as tenu Ve et Vili embrassés sur ton sein.4"

    FRIGG dit : "Sais-tu que si j'avais ici, dans la demeure d'Ægir, un autre fils comme Baldr, tu ne sortirais pas de chez les fils des Ases ? On brandirait l'épée sur toi, insolent !"

    LOKI dit : "Veux-tu donc, Frigg, que je confesse encore d'autres de mes péchés ? C'est par mes soins que tu ne verras plus Baldr rentrer à cheval chez lui.5"

     

    Lokasenna, edda poétique

    Loki insulte Frigg. C.E. Doepler.

     

    FREYJA dit : "Tu es un insensé, Loki, de proclamer ainsi tes infâmes méchancetés : la destinée immuable, Frigg la connaît en entier, je pense, bien qu'elle ne le dise pas elle-même."

    LOKI dit : "Tais-toi, Freyja, je ne te connais que trop bien, tu n'es pas pure de souillure ; les Ases et les Alfes, qui sont ici présents, ont tous été tes amants."

    FREYJA dit : "Ta langue est menteuse, mais je crois que bientôt elle fera un cri de douleur ; les Ases et les Asynies sont irrités contre toi : tu ne rentreras pas joyeux à la maison."

    LOKI dit : "Tais-toi, Freyja ; tu es noircie de forfaits et toute pétrie de méchanceté, puisqu'avec tes charmes tu te fais baiser par ton frère et les Grandeurs bénignes. Et après cela, Freyja, tu oses encore brailler !"

    NIORDUR dit : "Cela est peu étonnant, si les dames choisissent pour galant un tel ou un tel : mais ce qui est merveilleux, c'est qu'un Ase efféminé soit entré ici et qu'il ait accouché plusieurs fois."

    LOKI dit : "Tais-toi, Niordur ; on t'a envoyé d'ici en Orient comme otage aux dieux ; les filles d'Hymir t'ont pris pour un baquet à urine, et t'ont pissé dans la bouche."

    NIORDUR dit : "Ce qui me console d'avoir été envoyé loin d'ici comme otage aux dieux, c'est que là, j'ai engendré un fils qui est aimé de tout le monde et qui passe pour le chef des Ases."

    LOKI dit : "C'est assez, Niordur ; ne dépasse pas la mesure. Sans cela je ne pourrai plus longtemps cacher que c'est avec ta sœur que tu as engendré ce fils, ce qui, pourtant, n'est pas le pire de ce qu'on attendait de toi."

    TYR dit : "Freyr est le meilleur de tous les preux chevaliers, dans les enclos des Ases : jamais il n'a fait pleurer une fille ni une femme mariée, et il affranchit chacun de la servitude."

    LOKI dit : "Tais-toi, Tyr ; tu n'a jamais su réconcilier deux adversaires : parlerai-je de ta main droite que t'a enlevée Fenrir ?"

    TYR dit : "Je regrette ma main, et toi tu regrettes Hrodtirs-Vitnir ; notre perte est douloureuse à l'un et à l'autre : le Loup n'est pas bien non plus dans ses fers, il attendra jusqu'au Destin des Grandeurs."

    LOKI dit : "Tais-toi, Tyr ! Il est arrivé à ta femme d'avoir un enfant avec moi : tu n'as pas reçu un chiffon, pas un denier pour dédommagement, pauvre homme !"

    FREY dit : "Je vois le Loup qui, à l'embouchure du fleuve, reste enchaîné jusqu'à ce que les Grandeurs succombent, si tu ne te tais, tu seras attaché auprès de lui, fauteur du chaos !"

    LOKI dit : "Tu as fait acheter avec de l'or la fille de Gymir, et abandonné ainsi ton épée6 : mais quand les fils de Muspel traverseront la forêt Noire, alors tu ne sauras pas, pauvre homme ! comment combattre."

    BEYGGVIR dit : "Sais-tu que, si j'étais de grande condition comme Ingunnar-Frey et si j'avais un siège aussi magnifique, je te broierais plus mou que la moelle, malheureuse corneille et je te romprais tous les membres ?"

    LOKI dit : "Quelle est donc cette petite créature que je vois blottie là-bas et qui ouvre son bec parasite ? Il veut toujours être pendu aux oreilles de Frey, et grommeler entre ses dents."

    BEYGGVIR dit : "Je me nomme Beyggvir, et ma promptitude est louée par les dieux et les hommes : ce qui me ravit, c'est de voir tous les fils de Hropt réunis au banquet."

    LOKI dit : "Tais-toi, Beyggvir, tu n'as jamais su répartir les vivres entre les hommes : et caché dans la paille de ta couchette, tu n'as pas pu être trouvé lorsque les héros allaient au combat."

    HEIMDALL dit : "Loki ! Tu es ivre, de sorte que tu as perdu la raison. Pourquoi ne cesses-tu pas de boire, Loki, car l'ivresse produit dans chacun cet effet, qu'on ne s'aperçoit pas de son bavardage."

    LOKI dit : "Tais-toi, Heimdall ! Au commencement des siècles, on t'a départi un maudit emploi : comme gardien des dieux, tu es condamné à les réveiller, et à exposer ton dos à l'humidité froide de la nuit."

    SKADI dit : "Tu es de bonne humeur, Loki ; mais tu ne pourras plus longtemps agiter librement la queue7, car les dieux vont te lier au rocher, avec les boyaux de ton monstre de fils."

    LOKI dit : "Tu crois que les dieux vont me lier au rocher avec les boyaux de mon monstre de fils ! Sache que j'ai été le premier et le plus terrible au combat lorsque nous attaquâmes Thiassi."

    SKADI dit : "Si tu as été le premier et le plus terrible au combat, lorsque vous avez attaqué Thiassi, attends-toi à voir sortir de mes palais et enclos de pernicieux complots contre toi."

    LOKI dit : "Tu étais plus aimable dans ton langage avec le fils de Laufey, quand tu le sollicitas à partager ta couche. Il faut nous rappeler cette aventure si nous devons entièrement confesser nos péchés."

     

    La Lokasenna

    Chacun a droit à sa remarque désagréable. L. Frolich

     

    Cependant, Beyla s'avança et versa à Loki de l'hydromel dans une coupe de glace, en disant : "à ta santé, maintenant, Loki ! Accepte cette coupe de glace remplie d'hydromel vineux : à condition que tu laisseras au moins Sif en honneur et irréprochable parmi les Ases."

    Loki prit la coupe, et après l'avoir vidée, il dit : "Sif ! Tu serais unique parmi les femmes si tu étais si réservée et si cruelle à l'égard des hommes : mais je connais au moins un, et je crois le connaître parfaitement, un galant de la femme de Hlôrridi, et cet amant, c'était moi, le malicieux Loki."

    BEYLA dit : "Les montagnes tremblent. Hlôrridi est, sans doute, en chemin pour rentrer chez lui : il imposera silence à ce méchant qui insulte ici les dieux et les hommes."

    LOKI dit : "Tais-toi , Beyla, tu es la femme de Beyggvir, et bien pétrie de méchanceté : jamais plus grand laideron n'est venu parmi les Ases ; tu es une gueuse, une salope."

    Cependant Thor survint et dit : "Tais-toi, lâche créature, ou mon puissant marteau Mjollnir t'ôtera la parole : j'abattrai de dessus tes épaules ce rocher qui branle sur ton cou et c'en sera fait de ta vie."

    LOKI dit : "Fils de Iord, qui ne fais que d'entrer, pourquoi fais-tu déjà le brutal ? Tu ne seras pas si audacieux quand tu devras combattre le Loup qui engloutira en entier le Père des Victoires."

    THOR dit : "Tais-toi, lâche créature, ou mon puissant marteau Mjollnir t'ôtera la parole : je t'expédierai en l'air, jusque dans les régions de l'Orient et personne ne t'apercevra plus."

    LOKI dit : "De tes expéditions en Orient, tu ne devrais jamais parler devant des héros, depuis qu'on t'a vu, toi le monomaque, blotti dans le pouce du gant où toi-même tu ne pensais plus être Thor8."

    THOR dit : "Tais-toi, lâche créature, ou mon puissant marteau Mjollnir t'ôtera la parole : de ma main droite, je te frapperai avec le Meurtrier de Hrungnir de sorte que chacun de tes os sera broyé."

    LOKI dit : "Je me promets de vivre encore longtemps, bien que tu me menaces de ton marteau. Les nœuds de Skrymir t'ont paru trop serrés ; tu n'as pas pu arriver jusqu'à la provende; tu te mourais de faim en pleine santé8."

    THOR dit : "Tais-toi, lâche créature, ou mon puissant marteau Mjollnir t'ôtera la parole, le Meurtrier de Hrungnir te précipitera dans l'empire de Hel, en bas, devant la Grille des morts."

    LOKI dit : "J'ai dit devant les Ases, j'ai dit devant les Asynies ce que l'esprit m'a poussé à dire : devant toi seul je me retirerai, parce que je sais que tu te bats. Tu as fait un festin, Ægir ! Dorénavant tu ne feras plus de banquet : que tout ton avoir, qui est ici dans cette salle, soit envahi par la flamme, et englouti derrière moi."

     

    Heimskringla : l'Orbe du Monde

    Loki cède devant Thor. C. Hansen, 1867.

     

    La lokasenna, edda poétique

    Loki menace de mettre le feu à la halle d'Aegir. Frolich.

     

    Après cela , Loki, prenant la forme d'un saumon, se tint caché sous la cataracte de Frânangur ; c'est là qu'il fut pris par les Ases avec l'aide de Kvasir. On le lia avec les boyaux de son fils Nàri, mais son autre fils fut changé en bête féroce. Skadi prit un serpent venimeux, et le suspendit au-dessus du visage de Loki ; le venin en tomba goutte à goutte. Sigyn, la femme de Loki, était assise auprès de lui, et reçut les gouttes de venin dans un bassin. Lorsque le bassin fut rempli, elle sortit avec le venin. Durant cet intervalle, les gouttes tombèrent sur Loki ; il en eut de si fortes commotions que toute la terre en fut ébranlée ; c'est ce qu'on appelle aujourd'hui tremblements de terre.

     

    La lokasenna, edda poétique

    Sigyn recueille le venin. M.E. Winge, 1863

     

    1  Dans l'Hymiskvitha 

    2 Dans le Sigdrifumal

    3 Dans la Brève Voluspa

    4 Dans l'Ynglinga Saga

    5 Dans le Baldr draumar 

    6 Dans les Skirnismal

    7 Dans le Skaldskaparmal, le mariage de Skadi

    8 Dans Thor chez Utgardaloki, tiré de la Gylfaginning de l'Edda de Snorri

     

     Première ligne : la Thrymskvitha                                                                                                                           Première ligne : la Thrymskvitha


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