• Skaldskaparmal II : mariage de Skadi, naissance de la poésie

    Skaldskaparmal

    Wake Skadi, d'Hagalaz Runedance

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    Alors, Skadi, la fille de Thjazi le géant, se saisit du heaume de son père et de toutes ses armes et se rendit à Asgard pour venger son père. Les Ases, cependant, voyant son courage, lui offrirent la réconciliation et un dédommagement : la première compensation serait qu'elle pourrait se choisir elle-même un époux parmi les Ases, à condition de le choisir seulement à la vue de ses pieds, sans regarder le reste de sa personne. Alors son regard fut attiré par les proportions des pieds de l'un d'entre eux, et elle dit : «- Je choisis celui-ci. En Baldr, rien ne peut être détestable.» Mais il s'agissait des pieds de Njord de Noatun.

     

    edda de snorri

     

    Elle avait également demandé en contrepartie que les Ases parviennent à faire quelque chose dont elle les pensait à présent incapables : la faire rire. Alors Loki noua une corde à la barbe d'un bouc et l'autre à ses bijoux de famille, et chacun tira de son côté à son tour, chacun criant fort. Puis Loki se laissa tomber sur les genoux de Skadi, et elle éclata de rire. La réconciliation avec les Ases était scellée. Mais Odin fit un geste supplémentaire à l'égard de Skadi : il arracha les yeux de Thjazi et les jeta dans le firmament, les transformant en deux étoiles.

    Ægir intervint : «- Il me paraît que Thjazi était un homme puissant : de quelle famille était-il ?» Bragi répondit : «- Son père se nommait Olvaldi, et si je vous en dis plus, vous allez vous interroger sur ce que je vous raconterais. Il était très riche en or, mais lorsqu'il périt et que ses fils eurent à se partager son héritage, ils trouvèrent ce moyen pour dire quelle serait la part d'or de chacun: chacun pourrait prendre tout ce que sa bouche pourrait contenir, et chacun le même nombre de bouchées. Le premier d'entre eux était Thjazi, le deuxième Idi, et le troisième Gangr. Et nous utilisons cette métaphore aujourd'hui, pour parler de l'or nous disons : l'histoire de la bouche de ces géants. Mais nous gardons cette expression secrète, ou l'utilisons en poésie, où nous parlons de discours, ou de parole, ou de propos de ces géants.»

    Ægir dit : «-Il semble que ce soit bien caché en ces termes secrets.» Et il ajouta : «-Et d'où vient cet art que vous nommez poésie, quels en sont les débuts ?»

    Bragi répondit : «Ainsi furent ses débuts. Les Ases avaient un différend avec ceux qu'on nomme les Vanes. Ils tinrent une réunion pour la paix, et chacun est allé vers une cuve et a craché dedans à son tour. Avant de se séparer, les dieux ne voulurent pas que ce symbole de paix périsse, et lui donnèrent forme humaine. Cet homme se nommait Kvasir, et était si sage que chacun pouvait lui poser n'importe quelle question sur n'importe quel sujet, et qu'il était capable d'y répondre. Il allait et venait sur terre pour donner des conseils aux hommes ; et lorsqu'il se rendit à l'invitation de certains nains jaloux, Fjalar et Galarr, ils l'attirèrent dans une conversation privée avec eux et l'assassinèrent, laissant couler son sang dans deux cuves et une bouilloire.

     

    Skaldskaparmal II : mariage de Skadi, naissance de la poésie

    La mort de Kvasir. F. Stassen.

     

    La bouilloire est nommée Odrerir et les cuves Son et Bodn. Ils mélangèrent du miel à son sang, et le mélange donna un hydromel merveilleux par la vertu duquel quiconque en boit devient un scalde ou un savant. Les nains persuadèrent les Ases que Kvasir s'était étouffé dans son propre savoir, puisque personne n'était en mesure d'être à la hauteur de sa connaissance. Ensuite, ces nains invitèrent le géant nommé Gillingr à leur rendre visite, avec sa femme. Puis les nains invitèrent Gillingr à ramer avec eux sur la mer ; mais lorsqu'ils furent loin de la terre, les nains maladroits ramèrent vers les brisants et firent chavirer la barque. Gillingr ne savait pas nager, et il se noya ; mais les nains remirent leur bateau à l'endroit et rentrèrent à la rame. Ils racontèrent cet accident à son épouse, mais elle le prit avec gravité et pleura bruyamment. Alors Fjalar lui demanda si son deuil serait facilité s'ils la conduisaient sur la mer à l'endroit de l'accident ; et elle le voulut. Alors il parla à mi-voix à son frère Galarr et lui demanda de se tenir au-dessus de la porte, afin de lui lâcher une pierre de meule sur la tête lorsqu'elle passerait, parce que ses pleurs commençaient à l'importuner ; et il en fut ainsi.

    Lorsque le géant Suttungr, fils de Gillingr, apprit ce qui s'était passé, il vint les voir, se saisit des nains et les emmena en mer, et les déposa attachés sur un récif qui serait submergé à marée haute. Ils supplièrent Suttungr d'épargner leurs vies, et comme dédommagement pour la mort de son père et prix de la paix, lui offrirent le précieux hydromel. Suttungr ramena l'hydromel chez lui et le cacha en un lieu nommé Hnitbjorg, en laissant la garde à sa fille Gunnlod. A cause de cette histoire, nous appelons la poésie le sang de Kvasir, ou la boisson des nains, ou le contenu ou n'importe quel liquide de Odrerir, ou de Bodn, ou de Son, ou la barque des nains - puisque cet hydromel leur a sauvé la vie -, ou rançon du récif, ou hydromel de Suttungr, ou liqueur de Hnitbjorg.

     

    edda de snorri

    Suttungr menaçant les nains.  Louis Huard

     

    Alors Ægir fit remarquer : «- Ce sont de bien sombres termes pour parler de poésie. Mais comment les Ases ont-il accédé à l'hydromel de Suttungr ?»

    Bragi répondit : «- Un récit le narre : Odin quitta sa maison et parvint à un champ où neuf esclaves fauchaient le foin. Il leur demanda s'ils voulaient qu'il aiguise leurs faux, et ils acquiescèrent. Alors il prit une pierre à aiguiser à sa ceinture et la passa sur les faux. Il leur sembla qu'elles coupaient infiniment mieux, et ils demandèrent si la pierre à aiguiser était à vendre. Mais il lui conféra une valeur telle que personne ne pourrait jamais l'acheter. Alors il jeta la pierre en l'air ; et comme tous voulurent la récupérer, ils se bousculèrent tant et si bien qu'ils se coupèrent mutuellement le cou avec leurs faux.

    Odin sollicita l'hospitalité pour une nuit auprès du frère de Suttungr, nommé Baugi. Baugi se lamentait sur son exploitation, se plaignant que ses neuf esclaves se soient entretués, et déclara qu'il n'avait aucun espoir de retrouver des serviteurs. Odin lui dit s'appeler Bolwerk : il lui offrit de reprendre la besogne des neuf travailleurs de Baugi, et demanda comme salaire une gorgée de l'hydromel de Suttungr. Baugi le prévint qu'il n'avait aucun droit sur l'hydromel, et dit que Suttungr était bien déterminé à le garder pour lui tout seul, mais il promit d'aller le voir avec Bolwerk et d'essayer d'obtenir un peu d'hydromel. Pendant l'été, Bolwerk accomplit le travail de neuf hommes pour Baugi, mais quand l'hiver vint, il lui demanda sa rétribution. Ils se rendirent tous deux chez Suttungr, à qui Baugi parla de son marché avec Bolwerk, sans en obtenir ne serait-ce qu'une goutte d'hydromel. Alors Bolwerk suggéra à Baugi d'user de ruses afin d'accéder à l'hydromel ; Baugi en fut d'accord. Donc, Bolwerk alla quérir une tarière nommée Rati, disant que si Baugi pouvait creuser le roc, elle serait bien coupante. Ainsi firent-il. Quand Baugi dit que la montagne était enfin traversée, Bolwerk souffla dans le trou, mais les gravats volèrent vers lui. Alors il découvrit que Baugi l'avait trompé, et il lui ordonna de continuer à creuser. Baugi se remit à creuser, et lorsque Bolwerk souffla à nouveau, les gravats volèrent vers la caverne au fond du trou. Alors Bolwerk se transforma en serpent et rampa dans le tunnel, mais Baugi lui lança la tarière par derrière et le manqua. Bolwerk progressa vers l'endroit où Gunnlod résidait, et resta trois nuits avec elle. Alors elle lui permit de boire trois gorgées d'hydromel. La première nuit, il vida Odrerir jusqu'à la dernière goutte ; la deuxième nuit, il assécha Bodn ; et la troisième nuit, Son. Et maintenant, il avait tout l'hydromel.

     

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    Odin et Gunnlod. Johannes Gehrts.

     

    Alors il se transforma en aigle et s'enfuit aussi vite que possible. Mais lorsque Suttungr vit la manière dont fuyait cet aigle, il changea de forme également, devint un aigle à son tour, et le pourchassa. Lorsque les Ases virent qu'Odin s'enfuyait, pressentant ce qui se passait, ils sortirent immédiatement les cuves dans la cour ; et lorsqu'Odin parvint à Asgard, il régurgita l'hydromel dans les cuves. Pourtant, comme il avait été bien près d'être rattrapé par Suttungr, un peu d'hydromel ressortit aussi par l'orifice postérieur. Aucune attention ne fut portée à cet hydromel-là, et quiconque peut en obtenir, et nous l'appelons la part des poêtaillons.

     

    edda de snorri

     

    Mais Odin donna de l'hydromel de Suttungr aux Ases et aux hommes capables de composer de la poésie. Depuis, nous nommons la poésie butin ou trouvaille d'Odin, ou boisson d'Odin, ou son don, et boisson des Ases.

     

    Skaldskaparmal                                                                                                                          Skaldskaparmal 

     


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