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XLII. ''- Pourquoi l'or est-il nommé Festin de Frodi ?''
"- A cause de la légende suivante : un des fils d'Odin, nommé Skjoldr - dont descendent les Skoldungs - avait sa demeure et gouvernait le royaume maintenant connu sous le nom de Danemark, mais autrefois appelé Gotland. Le fils de Skjoldr, qui fut roi après lui, se nommait Fridleifr. Le fils de Fridleifr était Frodi : il succéda à son père à la tête du pays, à l'époque où Auguste César imposait la paix au monde entier ; à ce moment, le Christ naquit. Mais comme Frodi était le plus puissant des souverains du Nord, la paix porta son nom partout où la langue danoise était parlée ; et les hommes l'appelaient la paix de Frodi. Aucun homme n'en blessait un autre, même s'il se retrouvait face au meurtrier de son père ou de son frère, qu'ils soient seuls ou devant témoins. Il n'y avait plus non plus de voleurs ou de brigands, de sorte qu'un anneau d'or pouvait rester longtemps sur la lande de Jalangr. Le roi Frodi se rendit à un festin au royaume de Suède, à la cour du roi nommé Fjolnir, où il acquit deux servantes, Fenja et Menja : elles étaient grandes et fortes. A ce moment-là, deux meules furent trouvées au Danemark, si lourdes que personne n'était assez robuste pour les actionner: la disposition du moulin était telle que quelle que soit la personne à qui l'on demandait de le faire tourner, elle finissait écrasée sous les pierres. Ce moulin se nommait Grotti. Celui qui avait donné le moulin au roi Frodi s'appelait Hengikjöptr. Le roi Frodi fit amener ses deux servantes au moulin et leur ordonna de moudre de l'or ; et ainsi fut fait. Tout d'abord, elles moulurent l'or, et la paix, et la joie pour Frodi. Alors il ne voulut leur accorder le repos ou le sommeil pas plus longtemps que le coucou ne se tiendrait en paix, et elles devraient chanter le reste du temps.
Fenja, Menja et la meule de Grotti. Xylogravure de Carl Larsson, 1886.
On raconte qu'elles chantèrent cette chanson, nommée le Lai de Grotti (version de la traduction française de "Hrolf Kraki" de Poul Anderson) :
Voilà qu'elles arrivent dans la maison du roi,
Ces femmes qui voient loin, Fenja et puis Menja,
Réduites par Frodi, le fils de Fridleifr,
En esclavage, ces deux pucelles puissantes,
Là ces deux femmes étaient enchaînées au travail
Là elles devaient pousser la lourde lourde meule,
Frodi leur refusait la moindre liberté,
Il voulait qu'elles chantent sans cesse en ce moulin.
Et les vierges donnaient une voix au moulin
Les rochers gémissaient, dessous grondait la terre,
Mais Frodi leur disait de moudre sans arrêt.
Elles lançaient la meule prompte à écraser,
Jusqu'à ce que s'endorment les esclaves de Frodi.
Alors Fenja chanta derrière l'axe de la meule :
Nous te moulons du bien, Frodi, et la santé,
Multiplions tes bœufs sur la meule de la chance,
Assis sur tes richesses, tu dormiras dessus,
T'éveilleras à ton gré, tout ça est bien moulu.
Ici, jamais un homme n'en blessera un autre,
Ne brisera la paix, ne tuera son prochain,
Ni même l'assassin de son frère adoré
Quand lui fut-il livré pieds et poings liés.
Mais Frodi envers elles n'eut guère que ces mots :
Vous dormirez autant que le coucou sera tranquille,
Ou tant que l'on dira un seul vers.
Mal avisé tu fus, Frodi, pour ton peuple chéri,
Lorsque tu nous acquis pour être tes esclaves
Tu ne nous vis que comme des travailleurs possibles,
Négligeant de chercher de quel pays nous sommes
Sévère fut le géant que l'on nommait Hrungnir,
Mais plus puissant encore celui nommé Thjazi.
Idhi et Aarnir, ils sont de notre sang :
Frères des trolls des glaces, d'eux tous nous descendons.
Jamais Grotti ne fut fabriqué de granit,
Ni ses rochers ne furent arrachés aux montagnes
Non plus qu'elles ne moulent, les filles des montagnes,
Si elles ne savent pas ce qu'elles font tourner.
Pendant neuf longs hivers, notre force s'accrût
Tandis que nous jouions encore sous la terre,
Alors les filles furent mûres dans leur puissance,
Nous levâmes les montagnes sur notre dos,
Nous culbutâmes des rocs sur les maisons jotuns,
Tout au fond des vallées, dans un fracas de jugement dernier,
Nous jetâmes aussi des éclats de montagnes
Que les hommes utilisèrent pour bâtir des maisons,
Puis nous partîmes, nous sœurs qui voyons loin,
Nous partîmes au Svithjodh pour y chercher la guerre.
Nous éventrâmes des ours, fendîmes des boucliers,
Nous pavant une route d'hommes vêtus de broignes,
Un roi mis au sommet, un autre déposé,
Nous avons donné au bon Guthorn notre aide
Par le feu, par le sang, jusqu'à, ce que Knui tombe.
Nous fûmes tous ces ans prestes à la bataille
Et connues de partout comme filles de guerre,
Nous avons taillé notre voie avec l'acier trempé
Et le sang a noirci notre lame luisante.
Voila que nous venons dans la maison du roi
La malchance nous fait esclaves en un moulin
Le gravier mord nos pieds, au-dessus nous gelons
Sans manquer de place pour travailler, et malheur à Frodi.
Que la pierre repose et que les mains reposent,
J'ai moulu ce que dois, ne moudrais rien de plus,
Mais jamais ces mains-là ne connaîtront de repos
Si Frodi ne dit pas sa faim bien assouvie.
Alors les mains saisissent des épées bien trempées
Et les armes rougies. Réveille-toi, Frodi,
Debout Frodi, si tu veux écouter
Nos chansons, nos lais du temps passé.
Je vois le feu brûler aux phares du levant
Des signes qui préviennent que la guerre s'approche.
Une armée est au loin, vers ici elle se hâte,
Pour brûler le bastion que Frodi a bâti
Tu seras dépouillé, Leidhra, la royauté,
Les anneaux rutilants, le moulin des richesses,
Serre plus fort, ma fille, le bras de cette meule,
Désormais nous moulons le sang, et sur le sol.
Broyant de notre force le blé de la ruine,
Nous pouvons voir combien sont marqués pour la mort.
A présent nous secouons les arbres d'acier
Soutenant le moulin, nous le secouerons fort
Nous le secouerons fort, le fils d'Yrsa
Peut lui seul racheter ce qui est perdu pour vous :
Lui qui est à la fois le frère d'Yrsa
Et l'enfant qu'elle berça, comme nous le savons bien.
Les filles broyaient, grande était leur puissance ;
Jeunes, elles demeurèrent là, dans la colère Jötun.
Le moulin s'abattit et gît dans la poussière
Les meules frissonnèrent et tombèrent en morceaux,
Alors chantèrent les filles qui venaient des montagnes
Nous avons sué Frodi, comme tu nous l'avais dit,
Moulu ta destinée, c'est assez travaillé !.
Et avant d'avoir fini de chanter, elles avaient invoqué de la terre un ennemi contre Frodi, de telle sorte que le roi de la mer nommé Mysingr vint la même nuit et tua Frodi, s'emparant d'un riche butin. Ce fut la fin de la paix de Frodi. Mýsingr prit Grótti avec lui, et aussi Fenja et Menja, et leur ordonna de moudre du sel. Vers minuit, elles demandèrent si Mýsingr n'avait pas assez de sel. Il leur ordonna de continuer à moudre. Elles poursuivirent, mais peu de temps après, le navire qui les emmenait sombra sous le poids du sel ; c'est à ce moment que se produisit un tourbillon de la mer par lequel l'eau tomba dans le trou du moulin : c'est la raison pour laquelle la mer est salée.
Ainsi chanta Einarr Skúlason:J'ai entendu dire que les servantes de Frodi
Moulurent dans le moulin avec grande joie
Le gîte du serpent ; au cours du festin d'or,
Le roi laissa la paix être brisée
Les joues brillantes du fer de ma hache
Au manche d'érable, montrentLes richesses de Fenja : exalté
Est le scalde qui parle des richesses du bon roi.
Ainsi chanta EgillNombreux furent les hommes heureux
Du festin de Frodi."
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XLIII. ''- Pourquoi l'or est-il nommé la Semence de Kraki ?''
"- Au Danemark était un roi nommé Hrolf Kraki. Il était le plus renommé de tous les rois de jadis pour sa munificence, sa valeur et sa générosité.
Hrolf Kraki. Jenny Nystrom
Une preuve de sa bonne grâce, souvent narrée dans les histoires, est la suivante : un jeune garçon pauvre, nommé Vöggr, vint dans la halle du roi Hrôlf. A cette époque, le roi était jeune, et d'une taille svelte. Vöggr entra en sa présence et leva les yeux vers lui, et le roi lui dit: ''Que veux-tu me dire, mon garçon, puisque tu me regardes ainsi ?'' Vöggr répondit: «Quand j'étais à la maison, j'ai entendu dire que le roi Hrolf venu à Hleidr était le plus grand homme dans les terres du nord, mais maintenant est assis dans le siège une brindille (Kraki) de peu de hauteur, et il est appelé Roi''. Alors le roi prit la parole: «Toi, mon garçon, tu me donnes un nom, ainsi je serai appelé Hrôlf Kraki, et il est de coutume que le don d'un nom soit accompagné d'un cadeau. Maintenant je vois que tu m'as donné un nom mais que tu n'as pas de cadeau, ce qui n'est pas acceptable pour moi, c'est pourquoi celui qui a de quoi donner doit donner à l'autre''. Et il prit sur sa main un anneau d'or et le lui donna. Alors Vöggr dit ''Au-dessus de tous les autres rois, sois-tu le plus béni des généreux donateurs. Maintenant, je jure par serment que je serai le tueur de celui qui t'abattra''. Alors le roi éclata de rire et dit ''Vöggr est heureux d'une bien petite chose !''
Un autre exemple est la légende qui narre la valeur de Hrôlf Kraki : le roi que les hommes appellaient Adils régnait sur Uppsala, il avait pour femme Yrsa, mère de Hrôlf Kraki. Il était en guerre avec le souverain de Norvège, dont le nom était Ali, et les deux rejoignirent la bataille sur la glace du lac appelé Vaeni. Le roi Adils envoya une ambassade à Hrôlf Kraki, son beau-fils, le priant de venir à son aide, et promettant un salaire à tous ses guerriers qui partiraient l'aider ; Hrôlf le Roi également aurait droit trois cadeaux précieux, qu'il choisirait lui-même dans toute la Suède.
Le roi Hrôlf ne pouvait pas faire le voyage en personne, du fait des combats dans lesquelles il était engagé avec les Saxons, mais il envoya à Adils ses douze berserkers : Bodvar-Bjarki était là, et Hjalti le courageux, Hvítserkr Stern, Vöttr Véseti, et les frères Svipdagr et Beigudr. Dans cette bataille le roi Ali tomba, et la plus grande partie de ses hommes avec lui, et le roi Adils prit comme butin de guerre son heaume Sanglier de la Bataille et son cheval Corbeau. Puis les berserkers de Hrôlf Kraki exigèrent pour récompense trois livres d'or pour chacun d'eux, et demandèrent en plus à ramener à leur roi les dons de prix qu'ils avaient choisis pour lui, qui étaient le casque Sanglier de la Bataille et la cuirasse Héritage des Finnois, sur laquelle nul fer n'avait prise, et l'anneau d'or nommé Cochon des Suédois, qu'Adils avait reçu de ses ancêtres. Mais le roi leur refusa toutes ces choses, non plus qu'il ne leur versa leur dû. Les berserkers s'en furent mécontents de leur côté, et rapportèrent ces faits à Hrôlf Kraki. Il entreprit sur le champ un voyage à Uppsala. Il amena ses navires dans le fleuve Fyri, et poursuivit à cheval sa route vers Uppsala avec ses douze berserkers, sans y avoir été convié. Yrsa, sa mère, l'accueillit et l'hébergea dans ses appartements, puis ils se rendirent dans ceux du roi : les feux avaient été allumés dans la halle, et de la bière leur fut offerte. Alors les hommes du roi Adils entrèrent et entassèrent beaucoup de bois de chauffage sur le feu, et le brasier fut tel que les vêtements de Hrôlf et ses hommes furent brûlés. Et leur hôte demanda : ''Est-il vrai que Hrolf Kraki et ses Berserkers ne craignent ni feu ni fer ?'' Puis Hrôlf Kraki bondit sous l'insulte, et tous ceux qui étaient avec lui, et il dit : ''Nourrissons le feu dans la halle d'Adils''.
Ils prirent leurs boucliers et les jetèrent sur le feu, et sautèrent au-dessus des flammes, tandis que brûlaient les boucliers. Il parla à nouveau :''Ils ne craignent pas le feu, ceux qui sautent par-dessus.''
Ils sautèrent au-dessus des feux. Frolich
Ainsi firent ses hommes, l'un après l'autre, et ils saisirent les hommes d'Adils qui avaient tant activé le feu et les jetèrent dans les flammes. Alors Yrsa survint et donna à Hrolf Kraki une corne pleine d'or et l'anneau Cochon des Suédois ; et elle leur dit de s'enfuir très vite de cet endroit. Ils sautèrent sur leurs chevaux et chevauchèrent sur les plaines de Fyri ; et bientôt, ils virent que le roi Adils les pourchassait avec ses guerriers en armes en vue de les tuer. Alors le roi Hrolf plongea sa main droite dans la corne, prit une poignée d'or et la répandit sur la route. Voyant cela, les Suédois sautèrent de leur selle et chacun prit autant d'or qu'il put en trouver, mais le roi Adils leur ordonna de reprendre la chasse, et lui-même galopait toujours furieusement. Son cheval était Slongvir, le plus rapide de tous les coursiers. Lorsque Hrolf Kraki s'aperçut que le roi Adils parvenait à sa hauteur, il prit l'anneau, Cochon des Suédois, et le jeta vers lui, et lui cria de le recevoir comme cadeau. Le roi Adils se dirigea vers l'anneau et l'attrapa avec la pointe de sa lance, puis le laissa glisser le long de la hampe. Alors Hrolf Kraki se retourna et vit qu'il s'était penché, et lui dit :''J'ai pu faire en sorte que le plus puissant des suédois s'incline comme s'inclinent les porcs'' et ils s'échappèrent. C'est la raison pour laquelle l'or est nommé Semence de Kraki ou des plaines de Fyri.
Hrolf Kraki sur les plaines de Fyri. Hugo Hamilton.
Les plaines de Fyri. Jenny Nystrom
Ainsi chanta Eyvindr Skaldaspiller :
Dieu des lames de la bataille / Nous portons au long des jours de la vie d'Hakon
Les graines de la vallée de Fyri / Dans nos bras où perche le faucon.
Ainsi chanta Thjódólfr :
Le roi sème les brillantes semences du blé, / Les magnifiques anneaux d'or des doigts,
La moisson du fils d'Yrsa / Dans une joyeuse poignée
En direction du naïf gouverneur de ces terres. / Avec l'orge luisant de Kraki
S'aspergent mes bras, le siège / De chair du faucon encapuchonné.
Dernière bataille de Hrolf Kraki.
XLIV. On raconte que le roi Hölgi, qui a donné son nom au royaume d'Halogaland, était le père de Thorgerdr Hölgabrúdr ; Tous deux ont été tués, et un cairn a été élevé sur Hölgi : une couche d'or ou d'argent (qui était le métal votif) couverte d'une couche de farine et de pierres. Ainsi chanta Skúli Thorsteinsson:
Quand je rougis, derrière le toit du malheur de Reifnir / L'épée vorace, assoiffée de richesses
A Svöldr, je comblai d'anneaux d'or / Le chaume du cairn du belliqueux Hölgi.
Cairn du chef Hafgrim. Iles Feroë.
Dans l'antique Bjarkamal, de nombreux termes sont utilisés pour parler d'or : cela dit :
Le roi le plus généreux en cadeaux / Enrichit ses gardes du corps
Avec le travail de Fenja, / Avec la litière de Fafnir,
Avec les aiguilles brillantes de Glasir, / Avec le fardeau du loyal Grani,
Avec les gouttes du cher Draupnir, / Au bas du Grafvitnir.
Le libéral seigneur donna, / Les héros acceptèrent,
Les longues tresses de Sif, / La glace de l'arc de force,
La rançon forcée d'Otter / Les larmes de Mardöll1,
Les flammes du feu d'Orun, / Les beaux discours d'Idi
Réjouissent le guerrier ; / Nous sommes allés en bel apparat
Aux conseils de Thjazi, / Les innombrables convives
Vers le métal rouge du Rhin, / Querelle des Niflungs,
Les chefs de cette guerre / Sans récompense de Freyr."
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