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Gylfaginning I
Gylfaginning
Snorri Sturluson
Traduction de la version anglaise de Arthur Gilchrist Brodeur (1916)
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The beginning (album Ragnarok). Tyr.
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I- Le roi Gylfi régnait sur le pays que les hommes nomment à présent Suède. On dit de lui qu'il octroya à une vagabonde, en récompense du divertissement1 qu'elle lui avait procuré, une terre arable en son royaume, à concurrence de la superficie que quatre bœufs pourrait labourer en un jour et une nuit. Mais cette femme était de la race des Ases. Elle s'appelait Gefion. Elle ramena du nord, de Jotunheim, quatre bœufs qui étaient la progéniture d'un géant et d'elle-même, et les attela à sa charrue. Et le soc fendit la terre si largement et si profondément qu'il la détacha, et les bœufs la tirèrent dans la mer, vers l'ouest, et s'arrêtèrent dans un détroit. Alors Gefion prit possession de cette terre, et la nomma Zealand. Et depuis ce temps, en Suède, l'endroit d'où fut arrachée cette terre est empli d'eau, et s'appelle le Lögr, et ses baies correspondent aux caps de Zealand. Ainsi en parla Bragi, l'ancien scalde :
"Gefion loin de Gylfi emporta une terre
Ancestrale à adjoindre au royaume des Danes,
Heureuse Gefion, labourant dans la buée
S'évaporant de son attelage de bœufs.
Sur leurs quatre têtes, huit étoiles à leurs fronts,
Brillaient lumineuses, tant qu'elle les guidait,
Ôtant de vastes terres au continent profond
Pour les adjoindre à la douce prairie de l'île."
Gefion et Gylfi. L. Frolich
Gefion, Copenhague
II- Le roi Gylfi était un homme savant, talentueux en magie. Il était fort étonné que le peuple des Ases fût si habile que toutes choses allassent selon sa volonté. Il se demandait si cette puissance procédait de sa nature même, ou si les puissances divines2 qu'il vénérait en étaient la cause. Aussi se mit-il en route vers Asgard, cheminant en cachette, et se dissimulant lui-même sous le déguisement d'un vieil homme. Mais les Ases étaient plus rusés en la matière, puisqu'ils possédaient le don de seconde vue. Et ils s'avisèrent de son voyage avant même qu'il ne fût arrivé, et préparèrent pour lui des illusions visuelles.
Gylfi arrive en vue d'Asgard. F.W. Heine.
Lorsqu'il entra dans la forteresse, il vit une halle si haute qu'il n'en put qu'à peine discerner le sommet : son toit était couvert de boucliers dorés tel un toit de bardeaux. Thiodolf de Hvin parla ainsi de la couverture de boucliers de la Valhöll :
"Les sagaces guerriers de la mer
Laissèrent scintiller sur leur dos
Sous une vive grêle de pierres
De la halle d'Odin les bardeaux.3"
Depuis le seuil de la Halle, Gylfi vit un homme jonglant avec des poignards, sept en l'air en même temps. Cet homme lui demanda son nom. Il se présenta comme Gangleri, et dit qu'il était venu par les chemins du serpent4, puis sollicita l'hospitalité pour la nuit et demanda : "- Qui possède cette Halle ?" L'autre répondit que c'était leur roi "- Et je vais te conduire à lui, et tu t'enquerras toi-même de son nom". L'homme fit volte-face devant lui, partit dans la halle, et il le suivit, tandis qu'aussitôt la porte se refermait d'elle-même sur ses gonds. Là, il vit une grande salle emplie de monde, certains jouant, d'autres buvant, et d'autres encore, armés, qui combattaient. Alors il regarda autour de lui, et trouva tant de choses suspectes dans ce qu'il vit qu'il dit :
"Toutes les issues par où sortir
Doivent être bien examinées
On ne sait d'avance sur quels bancs
Les ennemis se sont installés."5
Il avisa trois hauts-sièges, disposés l'un au-dessus de l'autre, où trois hommes étaient assis, chacun sur un trône. Et il demanda le nom de ces seigneurs. Celui qui l'avait conduit ici lui répondit que le souverain assis sur le siège le plus bas était un roi nommé "Très-Haut", que le suivant s'appelait "Egal du Très-Haut", et celui qui était installé au sommet, "Troisième".
Alors Très-Haut demanda au nouveau-venu si d'autres raisons que la nourriture et la boisson, à sa disposition comme à celle de tous les autres hôtes de la Halle de Très-Haut, leur valaient sa visite. Il répondit qu'il voulait d'abord savoir s'il y avait là quelqu'un de très savant. Très-Haut lui déclara alors qu'il ne sortirait pas sain et sauf de cet endroit à moins qu'il ne fût lui-même le plus savant.6
"Et tiens-toi debout devant nous, toi qui questionnes,
C'est celui qui raconte qui doit être assis."
Gylfi debout devant Odin. G.H. Wright
III- Gangleri entama alors ses questions ainsi : "- Qui est le plus éminent, ou le plus ancien, de tous les dieux ? "
Très-Haut répondit : " - Il est en notre langue nommé Alfather (père de tout), mais dans l'ancien Asgard, il portait douze noms : l'un est Alfather. Le deuxième Herrjan (seigneur), le troisième Hnikar (maître de la lance), le quatrième Hnikud (fureur du combat), le cinquième Fjolnir (savant en toutes choses), le sixième Oski (celui qui exauce les souhaits), le septième Omi (celui qui parle), le huitième Biflindi (celui qui fait fuir les armées ?), le neuvième Svidarr (lance brûlée), le dixième Svidrir (celui qui apaise incendies et tempêtes)7, le onzième Vidrir (maître du temps) et le douzième Ialg (nom en relation avec la possession d'un cheval).
Alors Gangleri demanda : "- Où est ce dieu, ou quelle puissance possède-t-il ? Et quels hauts-faits a-t-il accomplis ?"
Très-Haut donna une réponse : "- Il vit de tout temps, et gouverne son royaume, et décide de toutes choses, grandes et petites." Egal du Très-Haut reprit : " - Il façonna les cieux, et la terre, et l'air, et tout ce qu'ils renferment. " Puis Troisième parla ainsi : " - Mais son acte le plus grand est celui-ci : il a créé l'homme et lui a insufflé l'esprit, qui vit et ne meurt jamais, même quand la chair pourrit et tourne en poussière, ou devient cendres en brûlant. Et tous les hommes, ceux qui sont justes dans leurs actes, vivront avec lui en ce lieu appelé Gimlé. Mais les hommes mauvais iront chez Hel, et descendront de là vers Niflhel, tout en bas dans le neuvième monde."
Alors Gangleri s'enquit : "- Que fit-il avant que cieux et terre ne fussent créés ? " Et Très-Haut dit : " - Il était alors avec les Géants du Givre".
IV- Gangleri dit : "- Que fut le commencement, ou que se passa-t-il au début, et qu'y avait-il auparavant ? "
Troisième répondit : "- Ainsi qu'il est dit dans la Voluspa :
"A l'origine des temps, quand le néant régnait,
Il n'y avait rien, ni sable, ni mer, ni froides ondes ;
N'existait point de terre, ni de ciel au-dessus,
Seule l'immense abîme et d'herbe nulle part ".
Egal du Très-Haut ajouta : " - Ce fut beaucoup de temps avant que la terre ne fut mise en forme que Niflheim fut créé. Et en son centre coule la source nommée Hvergelmir, qui donne naissance aux rivières nommées Svöl, Gunnthrá, Fjörm, Fimbulthul, Slídr et Hríd, Sylgr et Ylgr, Víd, Leiptr; Gjöll est toute proche des portes de Hel. "
Et Troisième intervint : " - En premier fut cependant le monde le plus méridional, et qui s'appelle Muspell. Il est lumineux et brûlant, cette région n'est que brillance et flammes, et inaccessible aux étrangers et à ceux qui n'ont pas leurs domaines originels là-bas. Celui qui y siège, à la frontière de ce pays afin de le défendre, se nomme Surt. Il brandit une épée enflammée, et, à la fin du monde, il devra partir combattre, et vaincra tous les dieux, et brûlera le monde de son feu. Ainsi qu'il est dit dans la Voluspa :
" Surtur vient du sud avec la mort des branches,
L'épée luisante de soleil pour les dieux des occis.
Les falaises s'écroulent, les femmes-trolls s'agitent,
Les hommes foulent le chemin de Hel
Et le ciel se lézarde."
V- Gangleri demanda : "- Comment les choses se produisirent-elles, avant que les races n'apparussent et que les tribus humaines ne s'accrussent ?"
Alors Très-Haut dit : " - Les fleuves nommés Elivagar (flots tumultueux), en arrivant si loin de leur source que l'écume venimeuse les couvrant avait durci, telle la scorie émergeant du magma, de la glace se forma. Et lorsque la glace s'arrêta tout à fait et cessa de couler, tout se congela. Mais le brouillard s'exhalant du poison gela par-dessus, se transformant en givre, et, couche après couche, le givre s'accrut, et parvint jusque dans le Vide Béant, Ginnungagap. "
Egal du Très-Haut ajouta : " - Du côté septentrional, Ginnungagap s'emplit et s'alourdit de grandes quantités de glace et de givre, dont émanaient brumes et rafales, mais au sud, le Vide Béant s'allégeait sous l'effet des braises et flammèches en provenance de Muspellheim. "
Et Troisième acheva : "- Tout comme le froid le plus cruel arrivait de Niflheim, tout ce qui provenait de Muspellheim était chaud et lumineux. Mais Ginnungagap était aussi doux que l'air sans vent, et lorsque le souffle de la chaleur rencontra le givre, qui fondit et goutta, la vie jaillit de ces gouttes ruisselantes, par la puissance de la source de chaleur, et prit forme humaine. Et cet homme fut nommé Ymir, mais les géants de froid l'appelaient Aurgelmir. C'est de lui que descendent les races des géants de givre, ainsi qu'il est dit dans la Petite Voluspa :
"Les sorcières naquirent de la race de Vitholf,
Tous les voyants sont issus de Vilmeith,
Et les artisans des charmes sont les enfants de Svarthofthi,
Et d'Ymir descendent tous les géants."
Mais à ce sujet, Vafthrudnir le Lote dit aussi :
"Des gouttes de venin , jaillissant des Elivâgar,
Se congelèrent jusqu'à ce qu'il en naquit un lote :
A lui remontent toutes nos familles ;
C'est pourquoi toute cette race est si farouche. "
Gangleri demanda ensuite : "- Comment les races crûrent-elles à partir de lui, ou comment se fit-il que plus d'hommes vinrent au monde ? Ou le tenez-vous pour un dieu ? Lequel de vous parlera maintenant ?"
Egal du Très-Haut prit la parole : "- Nous ne lui reconnaissons en aucune façon le statut de dieu. Il était mauvais, ainsi que toute son engeance. Nous les appelons Géants de Givre. On raconte que lorsqu'il s'endormit, il fut pris de suée : sous son bras gauche naquirent un homme et une femme, tandis que l'une de ses jambes eut un fils de l'autre jambe. Ce furent eux qui engendrèrent les géants du givre. Le vieux géant du givre, nous le nommons Ymir."
VI- Gangleri dit : " - Où résidait alors Ymir, et de quoi assurait-il sa subsistance ?"
Très-Haut répondit : "- Voici ce qui arriva juste après que le givre fondit : des gouttes de givre sortit la vache appelée Audhumla. Quatre fleuves de lait coulant de ses pis, Ymir s'en nourrit."
Gangleri demanda : "- Mais de quoi vivait la vache ?"
Et Très-Haut donna comme réponse : "- Elle léchait les blocs de glace, qui étaient salés. Et ce faisant, le premier jour, comme une chevelure d'homme se dégagea de la glace, le deuxième jour, ce fut une tête d'homme, et le troisième, l'homme tout entier apparut.
Audhumla et Buri. B. Koller
Il s'appelait Buri, était bien fait, grand et robuste. Il engendra un fils appelé Bor, qui épousa une femme nommée Bestla, fille de Bolthor le géant. Et ils eurent trois fils. L'aîné fut Odin, le deuxième Vili et le troisième Vé. Et je suis pour ma part convaincu qu'avec ses frères, Odin doit être le souverain qui règne sur les cieux et la terre. Nous tenons qu'il doit être ainsi nommé, car c'est le titre de l'être le plus puissant et le plus honorable que nous connaissions, et vous devriez aussi à bon droit le nommer ainsi."
1 Skemtan : divertissement, incluant l'art et les plaisirs érotiques.
2 Les Vanes et Ases étaient des hommes à l'origine (voir le début de l'Ynglinga Saga), qui adoraient des Puissances. Voir aussi les premiers commentaires de la Voluspa pour la nuance entre godum (dieu) et regin (puissance).
3 Extrait des Hrafnsmal, qui relate la bataille de Hafersfjord.
4 Il prétend donc s'être égaré.
5 Reprise de l'idée de la première strophe des Havamal
6 Le savoir ou la mort, reprise du motif de la joute oratoire utilisé dans les Vafthrudnismal.
7 Voir strophes 152 et 154 des Havamal
Encadrement : Bouloute créations
Tags : gylfaginning, snorri sturluson, gefion, gylfi, gangleri, ymir, buri, bor, besla, odin, vili, ve
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