• Barbe Grise et Tête Rousse : l'Harbardsljod

    Première ligne : la Thrymskvitha

    Donar's Oak, Falkenbach.

     

    Le lai de Barbe Grise est un poème relatant encore une joute verbale, mais cette fois entre Thor et un passeur nommé Harbard. Certains ont pu y voir la figure de Loki, et son esprit venimeux, mais le plus probable, comme il s'agit d'un des très nombreux noms d'Odin, est que le Borgne a pris l'aspect de ce passeur. Ce texte met en évidence la rivalité latente qui existait du point de vue cultuel entre Thor et son père, lequel remporte cette compétition par forfait. Thor était le dieu protecteur du peuple, des paysans, et usait de force, et Odin, celui des guerriers et des dirigeants, et usait d'esprit. Parfois sans gants ni fioritures, comme dans ce lai.

     

    Harbardsljod, edda poétique, thor, odin

     

    Recueil écrit attribué à Saemundr Sigfusson ou Snorri Sturlusson

    (traduction des versions anglaises de Bellows et Thorpe)

     

    Le Lai de Barbe-Grise

    Thor vint de la route de l'est et arriva à un détroit.
    De l'autre côté du bras de mer se trouvait le passeur avec son bateau.

    Thor cria:
    Qui est le coquin des coquins, qui fait du bruit de l'autre côté du détroit ?


    L'autre répondit:
    2. Qui est le rustre des rustres qui m'appelle par-delà l'onde ?

      

    Harbardsljod, edda poétique, thor, odin

    Coquin des coquins... Frolich

     

    Thor dit:
    3. Fais-moi passer le détroit, je te donnerai de quoi déjeuner ;
    Je porte un panier sur le dos, il n'y a pas meilleure pitance ;
    J'ai mangé à volonté avant de partir de chez moi,
    Du hareng et du bouc ; j'en ai encore le ventre plein.

    Le passeur dit :
    4. Tu te loues de ton repas comme d'un haut fait matinal ;
    Tu ne prévois rien de ton avenir ;
    Malheureux sont les gens de ta maison,
    Je crois que ta mère est morte.


    Thor dit :
    5. Voilà que tu parles de ce qui semble à chacun
    Le plus grave des chagrins : que ma mère serait morte.

    Le passeur dit :
    6. Il ne me semble pas que tu possèdes trois bonnes demeures en ton pays :
    Te voici jambes nues, tu as la tenue d'un mendiant, et tu ne portes pas même de braies.

    Thor dit :
    7. Amène par ici le rafiot, je vais te montrer où aborder.
    D'ailleurs, à qui est cet esquif que tu retiens à terre ?

    Le passeur dit :
    8. Hildolfr s'appelle celui qui m'en confia la garde,

    Ce sagace guerrier qui habite à Radeyjarsund
    M'a demandé de ne pas transporter les pillards et les voleurs de chevaux 1,
    Seulement les hommes de valeur et ceux que je connaîtrais bien ;
    Dis maintenant ton nom, si tu veux passer le détroit.

    Thor dit :
    9. Je dirais mon nom quoique je sois insulté, et toutes mes origines :
    Je suis le fils d'Odin, de Meili, le frère,
    Et de Magni, le père, le détenteur de la puissance des dieux ;
    C'est avec Thor qu'ici tu peux parler!
    Mais je voudrais maintenant demander comment toi, tu t'appelles.

    Le passeur dit:
    10. Harbard je m'appelle, je cèle mon nom rarement.

    Thor dit:
    11. Pourquoi cacherais-tu ton nom si tu n'as pas commis de crime ?

    Harbard dit:
    12. Même si j'avais tué quelqu'un comme toi
    Je sauverais ma vie, à moins que mon destin ne soit la mort2
     .


    Thor dit:
    13. Il me semble déraisonnable de patauger par la baie jusqu'à toi
    Et de mouiller mon matériel ;
    Je te ferai payer, mauviette, tes sarcasmes si je traverse le détroit.


    Harbard dit:
    14. Ici je reste, ici je t'attendrai ;
    Tu n'as pas croisé d'homme plus coriace depuis la mort de Hrungnir..

    Thor dit:
    15. Voici que tu veux mentionner mes démêlés avec Hrungnir,
    Ce géant présomptueux au crâne de pierre ;
    Pourtant je l'abattis et lui fis mordre la poussière.
    Que faisais-tu pendant ce temps-là, Harbard ?

    Harbard dit :
    16. Je passais chez Fjölvar cinq hivers pleins, habitant l'île nommée Algraen ;
    Là, nous eûmes à combattre, des guerriers à abattre,
    A surmonter de nombreux périls et à nous laisser aller à l'amour3.

    Thor dit:
    17. Comment vos femmes se comportaient-elle avec vous ?

    Harbard dit :
    18. Nous aurions eu des femmes spirituelles, nous eussent-elles obéi ;
    Nous aurions eu des femmes sensées, nous eussent-elles été fidèles.
    Elles tressaient des cordes de sable et ménageaient des plaines dans de profondes vallées.
    A moi seul, je les surpassais toutes en sagesse4 ;
    Je couchais avec ces sept sœurs et partageais avec elles toutes amour et plaisir.
    Que faisais-tu pendant ce temps-là, Thor ?


    Thor dit :
    19. Je tuai Thjazi, l'intrépide géant, je lançai les yeux du fils d'Alvaldi dans le ciel clair :
    Ce sont les preuves remarquables de mes hauts faits,
    Celles que tous les hommes contemplent depuis.
    Que faisais-tu pendant ce temps-là, Harbard ?


    Harbard dit :
    20. J'eus des intrigues amoureuses avec celles qui chevauchent la nuit
    Que j'enlevai par ruse à leurs époux ;
    Je tenais Hlébard pour un rude géant : il me fit don de sa baguette magique,
    Et moi, je lui fis perdre l'esprit.

    Thor dit :
    21. C'était récompenser de mauvais cœur un aimable cadeau.

    Harbard dit :
    22. Le chêne peut avoir ce qu'il rabote au voisin ;
    En tel cas, c'est chacun pour soi.
    Que faisais-tu pendant ce temps-là, Thor ?

    Thor dit:
    23. J'étais dans l'est et molestais les géantes,
    Les femmes habiles à faire le mal qui allaient par les montagnes ;
    Bien nombreuse serait la race des géants si toutes étaient encore en vie,
    Il n'y aurait plus d'hommes dans Midgard.
    Que faisais-tu pendant ce temps-là, Harbard ?

    Harbard dit :
    24. J'étais à Valland, prenant part aux combats.
    J'exhortais les rois à la guerre et jamais ne faisais la paix.
    A Odin reviennent les jarls qui tombent au combat,
    Mais à Thor, la race des esclaves.


    Thor dit:
    25. Tu donnerais aux dieux un partage inégal du peuple,
    Si tu avais quelque puissance.

    Harbard dit:
    26. Thor a force en suffisance, mais de courage, point :
    Par terreur et couardise, tu te vautras dans le gant, oubliant même que tu étais Thor5;
    Tellement effrayé que tu avais peur d'éternuer ou de péter
    De crainte que Fjalar ne t'entende6.


    Thor dit:
    27. Salaud de Harbard ! Je t'enverrais tout droit chez Hel
    Si mon bras pouvait atteindre l'autre bord du détroit.

     

     

    Harbardsljod, Harbard, Thor, Odin

    Je t'enverrais tout droit chez Hel... F. Stassen.

     

    Harbard dit :
    28. Pourquoi atteindrais-tu l'autre bord du détroit ?
    Nous n'avons point vraiment de compte à régler.
    Que faisais-tu pendant ce temps-là, Thor ?

    Thor dit :
    29. J'étais dans l'est et défendais les fleuves quand m'attaquèrent les fils de Svarang ;
    Ils me criblèrent de pierres,
    Mais ne se réjouirent que brièvement de leur victoire.
    Ils réclamèrent la paix les premiers.
    Que faisais-tu pendant ce temps-là, Harbard ?


    Harbard dit :
    30. J'étais à l'est et conversais avec une fille,
    Jouais avec la vierge blanche comme lin, lui donnais de longs rendez-vous,
    Je me réjouissais de la brillante comme l'or : la fille y trouvait du plaisir.

    Thor dit.
    31. Alors tu avais là bonne sorte de femme.

    Harbard dit :
    32. J'aurais bien eu besoin de ton assistance, Thor,
    Pour maintenir la fille blanche comme lis !

    Thor dit :
    33. Je te l'aurais volontiers prêtée, si j'avais été là.

    Harbard dit :
    34. Je t'aurais fait confiance, si tu n'avais fausse foi.

    Thor dit:
    35. Je ne suis pas aussi mordeur de talons
    Qu'une vieille botte de cuir au printemps !

    Harbard dit:
    36. Que faisais-tu pendant ce temps-là, Thor ?

    Thor dit :
    37. Je molestais des femmes de berserkers à Laesso,
    Elles avaient perpétré le pire : séduit tout un peuple.

    Harbard dit :
    38. Une infamie tu fis alors, quand tu rossas des femmes.

    Thor dit :
    39. Elles étaient des louves plus que des femmes,
    Elles ont fracassé mon bateau que j'avais tiré à terre,
    M'ont menacé de gourdins de fer et ont chassé Thjalfi.
    Que faisais-tu pendant ce temps-là, Harbard ?


    Harbard dit :
    40. J'étais dans l'armée qui fut envoyée par ici,
    Pour brandir des bannières et rougir des lances.

    Thor dit :
    41. Voici que tu parles maintenant de la haine que tu nous portas.

    Harbard dit :
    42. Un anneau pour ta main suffira comme indemnité,
    Comme le firent les conciliateurs qui voulaient nous réconcilier.


    Thor dit :
    43. Où as-tu appris ces sarcastiques paroles ?
    Oncques n'en entendis de plus sarcastiques.

    Harbard dit :
    44. Je les apprises des hommes très vieux qui résident dans les tas de fumier.

    Thor dit :
    45. Tu donnes là un beau nom aux cairns, quand tu les appelles tas de fumier.

    Harbard dit :
    46. C'est ainsi que je parle de telles choses.


    Thor dit:
    47. L'habileté de ta langue te portera malheur, si je décide de patauger par la baie ;
    Je parie que tu hurleras plus haut qu'un loup
    Si tu prends un coup de marteau.

    Harbard dit :
    48. Sif a un galant à la maison, c'est lui que tu devrais chercher à rencontrer,
    C'est sur lui que tu devrais éprouver ta force, cela te touche de plus près.

    Thor dit :
    49. Ta langue te fait toujours dire ce qui m'est le plus fâcheux,
    Homme au cœur de lâche, il me semble que tu mens.

    Harbard dit :
    50. Je crois dire vrai ; mais tu retardes bien ton voyage,
    Tu serais arrivé loin maintenant, Thor, si tu avais pris une autre forme.

    Thor dit :
    51. Crapule de Harbard ! C'est toi plutôt qui m'as retardé !

    Harbard dit :
    52. Je n'aurais jamais cru qu'un passeur empêchât le passage d'Asa-Thor !

    Thor dit :
    53. Je vais maintenant te donner un conseil : rame par ici avec le bateau,
    Cessons les querelles, viens chercher le père de Magni.

    Harbard dit :
    54. Va-t'en loin du détroit, le passage t'est refusé.

    Thor dit :
    55. Indique-moi le chemin,
    Puisque tu ne veux pas me faire passer l'eau.

    Harbard dit :
    56. Refuser serait mesquin. Il faut aller loin !
    Un bon moment jusqu'à la perche, un autre jusqu'à la pierre,
    Prend ensuite sur la gauche jusqu'à ce que tu atteignes Verland ;
    Là, Fjörgyn retrouvera Thor, son fils, et elle l'informera
    Des routes de ses enfants jusqu'au royaume d'Odin.

     

    Harbardsljod, edda poétique, odin, thor

    Ensuite, prends à gauche... Frolich.

     

    Thor dit :
    57. Y serai-je aujourd'hui ?

    Harbard dit :
    58. Tu y seras à grand peine et fatigue au soleil levant,
    Ou quand la neige fondra, je pense.

    Thor dit :
    59. Court sera maintenant notre entretien puisque tu ne veux répondre que moqueries ;
    Je te paierais le passage que tu m'as refusé à notre prochaine rencontre.

    Harbard dit :
    60. Va-t'en à présent là où les démons te prendront tout entier.

     

    1 : être accusé de vol était une insulte particulièrement honteuse pour les nordiques. Le pillage à visage découvert était plus honorable.
    2 : tuer un hors-la-loi n'était pas un crime, ce dernier étant déchu de ses droits et de sa qualité d'être humain.
    3 : la séduction était une activité importante pour Odin.
    4 : réflexions misogynes typiques de ce dieu.
    5 : histoire de la rencontre entre Thor et Utgardaloki

      6 : Fjalar : le coq qui chantera au matin des Ragnarok.

     
     Encadrement : Bouloute créations

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