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Skaldskaparmal III : Introduction à la poésie, Odin
Alors Ægir demanda : «- De combien de manières peuvent être assemblés les éléments de la poésie, ou combien sont les éléments essentiels de l'art des scaldes ?»
Bragi répondit : «- Les éléments composant une poésie sont au nombre de deux.»
Ægir demanda : «- Quels sont-ils ?»
Bragi dit : «- La métaphore et le mètre.»
«- Quels types de métaphores sont utilisés dans l'écriture poétique ?»
«- Il existe trois types de métaphores scaldiques.»
«- Lesquels ?»
«- En premier, nommer chaque chose par son nom ; le deuxième type est nommé substitution (heiti) ; le troisième s'appelle la périphrase (kenning). Ce dernier type est utilisé de la manière suivante. Supposons que je parle d'Odin, ou de Thor, ou de Tyr, ou de n'importe lequel des Ases ou des Elfes ; et pour chacun de ceux dont je parle, je peux ajouter le nom d'une qualité d'un autre Ase, ou je rappelle l'un de ses hauts faits. Il devient alors le propriétaire de ce nom, et non celui dont le nom lui est appliqué : si je parle de Tyr de la Victoire, ou de Tyr le Pendu, ou de Tyr des Chariots, ça devient le nom d'Odin. Nous nommons cela les noms périphrases. Il en va ainsi avec le titre de Tyr des Chariots.»
I- Mais un avertissement doit être donné aux jeunes scaldes, ceux qui aspirent à atteindre la maîtrise de la poésie et à augmenter leur liste de figures de style avec des métaphores traditionnelles, de même qu'à ceux qui veulent discerner le sens caché des phrases : laissez chacun interpréter cette œuvre pour son instruction et son plaisir. Cependant, il ne faut ni oublier ni discréditer cette tradition en éliminant ces anciennes métaphores qui ont plu aux maîtres scaldes, ni lorsqu'on est chrétien, croire dur comme fer en ces dieux païens ou en la vérité de ces légendes telles qu'on peut les trouver au début de ce livre.
II- Maintenant, écoutez des exemples de la manière dont les maîtres scaldes composent, en utilisant de simples mots ou des périphrases : comme lorsque Arnorr scalde du Jarl dit qu'Odin est nommé Alfather.
A présent, je vais conter aux hommes
Les mérites du redoutable Jarl :
Que les flots écumeux de la chanson d'Alfather
Allègent enfin mes chagrins.
Ici, il nomme la poésie : le flot écumeux de la chanson d'Alfather.
Havard le Boîteux chanta ensuite :
Maintenant voici le vol des aigles / Au-dessus des champs ; les cavaliers
Des chevaux de la mer se hâtent / Vers les cadeaux et le festin du Dieu Pendu.
Ainsi chanta Viga-Glumr :
Avec la protection du Dieu Pendu, / Les hommes cessèrent de passer
Par dessus bord ; bien que ce fut désagréable / Les plus braves prirent ce risque.
Ainsi chanta Refr :
Souvent, le Très Gracieux vint à moi / Vers la coupe sainte du Dieu des Corbeaux ;
Le Roi de l'or de l'océan labouré par les troncs / Est séparé du scalde par la mort.
Ainsi chanta Eyvindr Skaldaspiller :
Et Sigurdr, lui qui a / Rassasié les corbeaux
Du Dieu des Cargaisons / Avec le sang de l'hôte
des Haddings assassinés / Par les Seigneurs de la terre, à Oglo.
Ainsi chanta Glumr Geirason :
Là, Tyr des Triomphes / Inspirait lui-même la terreur
Aux navires ; Les dieux des brises / Qui favorisent les hommes bons les guidèrent.
Ainsi chanta Eyvindr :
Gauta-Tyr envoya / Göndull et Skögull
Pour choisir parmi les rois / Lequel des descendants d'Yngvi
Devrait venir avec Odin / A la Valhalle.
Ainsi chanta Úlfr Uggason:
Rapidement chevaucha le Très-Glorieux / Le Dieu Prophète, à la vitesse de l'incendie,
Vers le haut bûcher funéraire de son enfant ; / Dans mes joues se pressent les chants de louanges.
Ainsi chanta Thjódólfr de Hvin:
Le mort gisait là, maculé de sable, / Dépouille pour le Borgne
Habitant du cœur de Frigg ; / De tels faits sont propres à nous réjouir.
Ainsi chanta Hallfredr :
Le preux Maître des Vaisseaux / Avec des mots habiles et apaisants
Leurra notre terre, la Patiente, / L'épouse aux mèches d'orge de Troisième.
Ici on trouve un exemple de cette métaphore poétique de la terre comme épouse d'Odin.
Ici est retranscrit ce que chanta Eyvindr :
Hermodr et Bragi / Parlèrent à Hropta-Tyr;
Allez saluer le Prince ; / Pour un roi qui se révèlera,
Un champion viendra / Dans cette salle.
Ainsi chanta Kormakr :
Le Donneur de Terres, qui lie / La voile au sommet du mât avec un lien d'or
Honore celui qui déverse l'hydromel de la poésie du dieu.
Odin forgea des charmes pour Rind.
Ainsi chanta Steinthorr :
J'ai beaucoup à glorifier / La Liqueur du Vaillant
Faite voilà longtemps (quoiqu'en petite quantité), / Le butin des étreintes de Gunnlod.
Ainsi chanta Úlfr Uggason:
Je pense que les Valkyries suivent / De même que les corbeaux, Odin le victorieux
Vers le sang du glorieux Balder. / La halle fut animée de récits anciens.
Ainsi chanta Egill Skallagrímsson:
Aucune victime : / Au frère de Vili.
J'offre au Très-Haut / Ma joie de lui appartenir;
L'Ami de Mimir / M'a déjà conféré
Cette abolition du mal / Dont je profite.
Il m'a donné l'art / Des imperfections irréprochables,
Lui, l'Ennemi du Loup, / Familier des batailles.
Il est ici appelé Très haut, Ami de Mimir et Ennemi du loup.
Ainsi chanta Refr :
Rapide, le Dieu des Morts, qui brandit / Les faucons des vagues aux flots neigeux,
Les navires qui parcourent les routes des mers, / Nous lui devons la boisson des nains.
Ainsi chanta Einarr Ecaille-Sonore1
C'est mon tour de verser sans contrainte la liqueur / De la barrique d'hydromel du Dieu des Invités
Devant le rapide Hâteur de Vaisseaux ; / Ce faisant, je ne mérite aucun dédain.
Ainsi chanta Úlfr Uggarson:
Le majestueux Heimdall éperonne sa monture / Vers le bûcher funéraire que les dieux ont érigé
Pour le défunt fils d'Odin, / Le très-sage Maître des Corbeaux.
Ainsi est-il dit dans l'Eiriksmal :
Quel rêve est-ce donc ? dit Odin / Je pensais m'éveiller avant le point du jour
Pour préparer Valhall / A recevoir les armées de défunts ;
J'ai réveillé les serviteurs / Leur ai dit de remettre vivement
Les bancs en place et de les pailler, / De laver diligemment les flacons de bière;
Les Valkyries verseront du vin / Puisqu'un prince doit venir.
Ainsi chanta Kormákr :
Je prie le Souverain Vénéré / Du peuple d'Yngvi d'étendre
Sa main armée de l'arc au-dessus de moi. / Hroptr porte Gungnir avec lui.
Ainsi chanta Thórálfr :
Le Puissant Maître de Hlidskjálf / Enonça sa pensée envers eux
Là où les hôtes de l'intrépide / Harekr ont été abattus.
Ainsi chanta Eyvindr:
Pour extraire l'hydromel / De la vallée engloutie de Suttr
Le Puissant par les Sorts / Revêtit l'habit de l'oiseau rapide.
Ainsi chanta Bragi:
On a pu regarder, à la surface de mon bouclier2 / Comment le fils du Père des Peuples
A ardemment désiré éprouver sa force au plus tôt / Contre le Serpent ruisselant qui enserre la terre.
Ainsi chanta Eínarr :Depuis que moins de princes se réclament / De la descendance de Bestla,
Ma tâche est de chanter / Tes louanges dans mes chants de guerre.
Ainsi chanta Thorvaldr Plusieurs-Scaldes :
Maintenant j'ai mieux embrassé / Par la taille
Le fils de Borr / L'héritier de Buri.
1 Tinkling-Scale
2 Les boucliers sont constamment considérés comme des objets permettant de lire les légendes et les histoires. Ils sont les miroirs du passé.
Tags : poésie, scalde, kenningar, odin, snorri sturluson, skaldskaparmal
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Commentaires
Bonsoir Irien.
La version du Skaldskaparmal par FX Dillman dont je dispose est constituée d'extraits, que la mienne englobe évidemment. Il me semble que celle de Régis Boyer n'est pas complète non plus (mais je ne l'ai pas), et c'est la raison pour laquelle j'avais entrepris d'en traduire l'intégralité, en incluant les passages les plus "ingrats" (pour le grand public), à partir d'une version anglaise. Parce que je ne l'ai pas trouvée en français.
Les vers sortis de leur contexte sont parfois assez hermétiques. Je pense, dans la citation de Refr, que "le roi de l'or..." est le roi ou le jarl, le "très gracieux", auquel le scalde Refr était attaché, puisqu'il en parle dans le vers précédent en disant que ce chef écoutait souvent sa poésie (la coupe du dieu des corbeaux). Il s'agissait probablement d'un homme qui partait en expéditions vikings, qui y a peut-être rencontré son destin, vue la formulation du kenning, et a ainsi été séparé de son scalde. Mais c'est une lecture personnelle, qu'en pensez-vous ? Dans ces deux vers, le kenning concernant Odin est "dieu des corbeaux", un basique :)
La poésie scaldique, outre qu'elle est magnifique, est un jeu, un puzzle. Je suis loin d'en avoir assemblé tous les morceaux, et surtout, je ne parle pas la langue, mais j'arrive à bien m'amuser quand même.
Encore merci de votre intérêt.
3IrienJeudi 26 Juin 2014 à 17:41Effectivement cette partie là ne figure pas non plus dans l'Edda Poétique présentée par Boyer (chez Fayard) Il ne présente, pour le Skaldskaparmal que les chapitres 1, 5, 17, 18, 31 et 47.
Pour Refr, je pense que vous avez raison, il était poète de cour, et son roi appréciait sa poésie, mais il (le roi) est mort en expédition, ça me parait clair maintenant que vous le dites...Il me manque encore un peu de pratique :))
Allez,je continue mes errances, au plaisir!
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Bonjour, je suis la "passante" de la dernière fois et je poursuis mon exploration ;) C'est un grand plaisir de pouvoir avoir accès à cette partie en particulier (elle n'est pas dans l'édition Aube des Peuples, je pense?)
Bon, certains kennings restent obscurs:
Le Roi de l'or de l'océan labouré par les troncs / Est séparé du scalde par la mort. ???
C'est l'océan quand il y a des bateaux de guerre dessus, mais le Roi de l'or? Encore Odin? Et pourquoi il est séparé du scalde par la mort? Bien mystérieux tout ça :)
En revanche ça:
Il m'a donné l'art / Des imperfections irréprochables,
Je trouve ça splendide!
Vous avez fait là un travail super!
Et sinon, je suis d'accord avec vous pour le casque ailé...