• Jol : fêtes du solstice d'hiver

    Sagas islandaises. Régis Boyer.

    Kauna. Wardruna.

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    Jol : fêtes du solstice d'hiver

    Les fêtes du solstice d'hiver

     

    Jol, en ancien norrois, aujourd'hui nommée Jól (islandais), Jul (danois, norvégien et suédois), Joulu (finnois et estonien) ou Yule (anglais), était une ancienne fête païenne célébrée selon les sources soit lors du solstice d'hiver, soit à la mi-janvier, et était à l'époque nommée Jólablót.

    Le blót, qui signifie sacrifier ou vénérer, est un sacrifice, rituel classique dans les religions germano-scandinaves. Au début, il s'agissait peut-être de sacrifices humains (comme celui de Domald dans l'Ynglinga saga, sacrifié après de vaines offrandes de bétail), puis plus attestés, d'animaux, notamment chevaux : "blóta guð hesti", porc ou mouton. Le sacrifice est pratiqué par le chef de famille dans le cadre privé, ou par le roi ou les chefs lors des grandes cérémonies, bien que dans la saga de Hervör et du roi Heidrek, Alfhidr, la fille du roi Alfr d'Alfheim soit décrite en train de rougir un autel de sang lorsqu'elle est enlevée par Starkad. La cérémonie avait lieu dans ce qui peut être assimilé à un temple ou blót-hús, dont le plus connu est le grand temple d'Uppsala.

    Lors du solstice d'hiver, il s'agissait d'un rituel plus précisément adressé aux Dises (disablót), ces entités féminines présidant aux destinées humaines, probablement issues des figures de la ou des déesses-mères pré-historiques dans les mythes indo-européens, et ayant récupéré au fil des âges les attributs d'autres divinités locales de la fécondité / fertilité. Protectrices des femmes en couches et des nouveaux-nés, et par extension de tout ce qui porte fruit, les dises ont été plus tardivement assimilées aux déesses (Vanadis, dise des Vanes = Freya, et Öndurdis, dise aux raquettes = Skadi) et aux valkyries, détentrices terminales de la protection et du destin des guerriers. Freya, déesse de la fertilité, était d'ailleurs la première des valkyries.
    Ultérieurement, la fête est devenue une cérémonie au dieu Freyr, divinité de la fertilité, dont les animaux symboliques étaient le cheval et le porc.
    Dans les deux cas, la formule consacrée était "til árs ok friðar" : "pour une bonne année et la paix".

    Toute la population prenait part à cette cérémonie, et elle a été décrite par Snorri Sturluson dans la saga d'Haakon den Gode.

    "C'était une ancienne coutume, que tous les boendr se rassemblent à l'endroit du temple où allait se tenir le sacrifice, et qu'ils y amènent tout ce dont ils auraient besoin pour le temps des festivités. Les hommes amenaient de la bière pour ces fêtes. Et toutes sortes d'animaux d'élevage, ainsi que des chevaux, étaient abattus, et tout le sang qui en provenait était nommé "Hlaut", et les récipients dans lesquels il était recueilli s'appelaient "hlautbollar". On préparait des "hlautheinar", des sortes de brosses pour asperger, avec lesquels la totalité des autels et les murs du temple, à l'intérieur et à l'extérieur, étaient éclaboussés de ce sang."

    Les hommes qui s'en chargeaient étaient nommés "goði", lesquels n'étaient pas des prêtres à proprement parler, mais des personnes investies de responsabilités légales et religieuses, loi et religion étant pour les scandinaves deux versants d'une même conception du monde.

     

    Jol

    Un goði, tenant un hlautboll dans la main gauche et un hlauthein (une branche feuillue, à tremper dans le sang de l'animal sacrifié) dans la main droite.

     

    Jol

     Le goði asperge les participants de sang...

     

    Jol

    ... et le bâtiment.

    Images tirées du film "Beowulf et Grendel, la légende viking", de Sturla Gunnarsson.

     

    Jol

     Disablót. August Malmström.

    Noter l'aspersion du public par le goði, sur la gauche.

     

    Ensuite, la viande des animaux sacrifiés était cuite, et se tenait un banquet rituel collectif, le blótveizla, abondamment arrosé d'"Alu", ou "öl" (bière ou hydromel), dans des coupes sur lesquelles étaient faits des signes en quelque sorte magiques, notamment le signe de Mjöllnir, le marteau de Thor, après passage à travers le feu.

    Snorri poursuit :

    "Mais la chair était cuite et cette viande savoureuse était partagée entre les présents. Le feu était allumé sur le sol au milieu du temple et les chaudrons pendaient au-dessus, et les gobelets pleins furent passés à travers le feu. Et celui qui avait préparé la fête, et était un chef, bénissait les gobelets pleins et toute la viande du sacrifice.

    En premier était vidé le gobelet d'Odin, pour la victoire et le pouvoir du roi. Ensuite, les coupes de Njord et Freya, pour la paix et de bonnes récoltes. Puis il était coutume pour beaucoup de vider la coupe de Bragi. Ensuite, les invités vidaient leurs gobelets à la mémoire de leurs amis défunts, et ils étaient nommés les coupes du souvenir."

     Le gobelet de Bragi était celui sur lequel étaient passés les vœux et les serments

     

    Jol

    Scène de boisson collective. Pierre historiée.

     

    De Jol à Noël

     

    La fixation du jour de Noël au 25 décembre par le pape Libère en 354 ne doit rien au hasard. D'une part, la Bible ne donne aucune indication précise quant à la date de naissance du Christ (ni le jour, ni même l'année, à quelques années près) et cette date avait été fixée auparavant arbitrairement en même temps que celle de l'épiphanie le 6 janvier. Noël est d'ailleurs toujours fêté ce jour-là dans la tradition chrétienne orthodoxe. Les 10 jours d'avance du calendrier julien, celui de Jules César, dus à l'erreur de 11 minutes par an de ce calendrier, mis au point par Sosigène, ont été récupérés dans le calendrier grégorien (du pape Grégoire XIII) en 1582 : cette année-là, le lendemain du jeudi 4 octobre fut le vendredi 15 octobre.

    D'autre part, le solstice d'hiver tombait à l'époque le 25 décembre toujours d'après les calculs de Sosigène, et avait été ou était l'occasion de fêtes païennes traditionnelles dans nombre de religions, entre autres :

    - La nouvelle année en Egypte antique,

    - Les saturnales romaines qui s'achevaient par le Natalis dies, la renaissance de Sol invictus, le soleil invaincu, 25 décembre, jour dont Noël tire son nom par glissement phonétique (natalis, naël, noël), les romains ayant été les premiers à convertir au christianisme,

    - Hanoucca dans la religion juive,

    - елка (fête du sapin) chez les slaves, 

    - et Jol chez les nordiques.

    Il était donc très intéressant, sur le plan du prosélytisme chrétien, de caser la naissance du Christ à ce moment-là. L'utilisation de cette date à la symbolique très ancrée dans la mémoire collective, puisqu'il s'agissait notamment chez les germano-scandinaves de la principale célébration de l'année, ne pouvait qu'aider à l'assimilation de la nouvelle religion. Comme le calendrier julien était un peu faux, le solstice d'hiver astronomique survient en réalité généralement entre le 20 et le 23 décembre du calendrier grégorien. Mais Noël n'a pas été déplacé par la suite.

    Les survivances des anciennes traditions sont nombreuses à Noël : fêtes de la lumière et du feu (bougies, combustion d'une bûche particulière ce jour-là en Scandinavie), du végétal (mon beau sapin), banquets... qui n'ont vraiment aucun rapport avec la Nativité.

     

    Et quelles que soient votre foi, votre religion, votre absence de religion,

    BONNES FETES DU SOLSTICE D'HIVER

     Til árs ok friðar

     

    Jol

     

    viking                                                                                                                                                                                                      viking


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  • Commentaires

    1
    Dimanche 23 Décembre 2012 à 23:00

    Merci Thordruna. Je vous souhaite de passer un merveilleux Noël avec tous ceux que vous aimez.

    PS : елка : c'est le sapin et Noël se traduit : Pождество Xристово

    2
    Lundi 24 Décembre 2012 à 09:10

    Merci Cruella pour ce complément d'information, et très belle fête à vous aussi. Amicalement, Thordruna.

    3
    Jeudi 21 Mai 2015 à 17:48

    Bonjour ! Cet article m'a beaucoup apprit, il est vraiment bien fait, bravo ! 

    Je me demandais si vous saviez si il existait des légendes nordiques à propos de deux frères et soeurs nés aux solstices (hiver et été) ? cela m'interreserais beaucoup de le savoir :3 merci d'avance ^^ !

    Bonne journée et bonne continuation :3 !

    4
    Vendredi 22 Mai 2015 à 00:07

    Bonsoir et merci, Lovimew !

    Je n'ai pas connaissance de légendes sur des frères et sœurs nés aux solstices, au moins dans la mythologie principale du nord. Il est possible que des légendes locales en fassent état. Mais les frères et sœurs sont nombreux dans la mythologie nordique : les plus connus sont Freyr et Freya, enfants de Njord et Nerthus (eux-mêmes frère et sœur). On connaît aussi Thjalfi et Roskva, serviteurs de Thor, et, plus en rapport avec la course des astres et des saisons, Lune et Soleil, ainsi que les deux loups qui les poursuivent, Hati et Skoll. Enfin, Bil et Hjuki, les enfants dans la lune, sont liés au phénomène des marées.

    Bonne soirée, merci de votre passage :)

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