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Heimskringla : Saga des fils d'Harald II
6- Du meurtre de Beintein
Sigurd Slembidjakn vogua de là vers le Danemark. Et à ce moment, un homme était perdu sur son navire, il s'appelait Kolbein Thorliotson de Batald. Il était asis dans un canot qui était attaché au navire, et furieux parce qu'il naviguait trop vite. Lorsqu'ils arrivèrent dans le sud du Danemark, le navire de Sigurd lui-même fut disloqué. Mais il rallia Alaborg et y passa l'hiver. L'été suivant (1138), Magnus et Sigurd naviguèrent de conserve depuis le sud avec sept navires, et arrivèrent de nuit à l'improviste à Lister, où ils tirèrent leurs bateaux sur le rivage. Beintein Kolbeinson, un courtisan du roi Inge, et fort brave homme, se trouvait là. Sigurd et ses hommes sautèrent à terre à l'aube, arrivèrent par surprise sur les habitants, encerclèrent la maison, et commencèrent à mettre le feu aux bâtiments. Mais Beintein sortit d'une réserve avec ses armes, bien équipé, et se tint devant la porte, épée dégainée, bouclier devant lui, heaume sur la tête et prêt à se défendre. La porte était assez basse. Sigurd demanda à ses gars lequel d'entre eux souhaitait le plus affronter Beintein, ce qu'il nomma une œuvre d'homme brave. Mais personne ne sembla très pressé de s'y préparer.
"Qui affrontera cet homme ?" W. Westlesen.
Tandis qu'ils en discutaient, Sigurd se rua dans la maison et passa devant Beintein. Beintein le frappa, mais le manqua. Sigurd se retourna instantanément contre lui. Et après quelques échanges de coups, Sigurd lui infligea sa blessure mortelle et ressortit en tenant sa tête dans ses mains.
Ils prirent tous les biens qui se trouvaient dans la ferme, amenèrent leur butin à leurs navires et s'en furent. Lorsque le roi Inge et ses amis, de même que les fils de Kolbein, Sigurd et Gyrd, les frères de Beintein, entendirent parler de son meurtre, le roi envoya une grande force contre Sigurd Slembe et ses suivants. Et il se déplaça lui-même, et prit un navire de Hakon Paulson Pungelta, qui était le fils de la sœur d'Alask, un fils d'Erling Skjalgson de Sole, et cousin de Hakon Mage. Le roi Inge conduisit Hakon et ses compagnons dans le pays, et emmena tout leur équipement. Sigurd Stork, un fils de Eindride de Gautdal, et son frère, Eirik Hael, et Andres Kelduskit, fils de Grim de Vist, qui tous fuirent dans les fjords. Mais Sigurd Slembe, Magnus l'Aveugle et Thorleif Skiappa naviguèrent au large des îles, avec trois navires, et partirent vers le nord et le Halogaland. Et Magnus passa l'hiver (1139) dans le nord à l'île Bjarkey avec Vidkun Jonson. Mais Sigurd fit couper la proue et la poupe de son navire, et pratiquer un grand trou dans la coque, et le coula au fond de l'Egisfjord, après quoi il passa l'hiver à Tiadalsund sur le Gljufrafjord dans le Hin. Plus haut dans le fjord se trouvait une caverne dans le roc. Sigurd investit secrètement cette place avec ses suivants, qui étaient une vingtaine, et fit pendre une tenture grise devant l'entrée de la grotte, de façon que personne ne la vît depuis la grève. Thorleif Skiappa, et Einar, fils d'Ogmund de Sand, et de Gudrun, fille d'Einar Arason de Reikiaholar, ravitailla Sigurd pendant l'hiver. On raconte que Sigurd fit fabriquer deux bateaux aux laplandais dans le fjord pendant l'hiver. Ils étaient attachés l'un à l'autre avec des tendons de cerfs, sans clous, et avec des branches de saule en lieu et place de jointures, et chaque bateau pouvait transporter douze hommes. Sigurd était avec les laplandais pendant qu'ils fabriquaient les canots. Et les laplandais avaient de la bonne bière, grâce à laquelle ils le divertissaient. Sigurd fit ces vers là-dessus :
"Dans la tente de Laponie
Nous avons passé de beaux jours.
Sous l'ombrage des bouleaux gris,
Dans des lits ou sur des bancs
Nous ne connûmes plus de rangs
Et fûmes un joyeux équipage.
La bonne bière circulait
Entre nous assis sur le sol,
Dans l'ombrage des bouleaux gris.
Et montaient avec la fumée
Les rires et plaisanteries,
Nous fûmes un joyeux équipage."
Ces bateaux étaient si légers qu'aucun navire ne pouvait les surpasser dans l'eau, en raison de quoi on chanta à l'époque :
"Nos bateaux finns de peaux cousues nagent légers
Sur l'océan qu'ils écrèment comme le vent.
Nos navires sont construits sans aucune pointe ;
Peu de bateaux voguent ou rament comme les nôtres."
Au printemps, Sigurd et Magnus partirent vers le sud le long de la côte avec les deux bateaux que les laplandais avaient faits. Et lorsqu'ils arrivèrent à Vagar, ils tuèrent Svein le prêtre et ses deux fils.
7- De la campagne de Sigurd Slembe.
Après cela, Sigurd vint dans le sud à Vikar, et se saisit des barons du roi Sigurd, William Skinnare et Thorald Kept, et les tua tous deux. Alors Sigurd cabota dans le sud, et rencontra Sturkar Glaesirofa au sud de Byrda, comme il revenait de la ville de Nidaros, et le tua. Lorsque Sigurd vint vers Valsnes, il croisa Svinagrim au large du promontoire, et lui coupa la main droite. De là, ses hommes et lui gagnèrent More, passèrent l'embouchure du fjord de Throndhjem, où ils prirent Hedin Hirdmage et Kalf Kringlaugue. Ils laissèrent Hedin s'échapper, mais tuèrent Kalf. Lorsque le roi Sigurd et son père adoptif Sadagyrd eurent vent des manières de procéder de Sigurd Slembidjakn, et de ce qu'il faisait, ils envoyèrent des gens à sa recherche. Leur chef était Jon Kauda, un fils de Kalf Range, le frère de l'évêque Ivar, et le prêtre Jon Smyril. Ils allèrent à bord du navire le "Renne", qui comportait vingt-deux bancs de rameurs, et était un des vaisseaux les plus rapides, pourchasser Sigurd ; mais comme ils ne purent le trouver, ils s'en retournèrent dans le nord avec peu de gloire. Car les gens dirent qu'ils avaient vu Sigurd et ses hommes, mais sans oser les attaquer. Après quoi Sigurd retourna dans le sud, et arriva à Herdla, où Einar, un fils de Laxapaul, avait une ferme. Il entra dans le fjord d'Hamar, en direction du Thing Gangdaga. Ils s'emparèrent de tous les biens qui se trouvaient dans la ferme, et un langskip de vingt-deux bancs qui appartenait à Einar. Et aussi de son fils, âgé de quatre ans, qui vivait chez un de ses travailleurs. Certains voulaient tuer le garçon, mais d'autres dirent qu'il fallait le prendre et l'emmener avec eux. Le laboureur dit : "- Il ne vous portera pas chance de tuer cet enfant. Et il ne vous sera d'aucune utilité de l'emmener, car c'est mon fils, et non celui d'Einar." Et à ces mots, ils laissèrent l'enfant et s'en allèrent. Lorsqu'Einar revint, il donna au paysan de l'argent pour une valeur de deux pièces d'or, le remercia pour son intervention habile, et lui promit son amitié fidèle. C'est ce que raconte Eirik Olson, qui le premier écrivit cette histoire, et qui avait lui-même entendu la relation de cet événement à Bergen. Sigurd partit vers le sud et Viken par la côte, et croisa Fin Saudaulfson à l'est de Kvildar, qui devait récupérer les rentes et impôts pour le roi Inge, et le pendit. Puis ils firent voile vers le Danemark.
8- De la lettre du roi Inge au roi Sigurd
Le peuple de Viken et de Bergen se plaignit qu'il était injuste que le roi Sigurd et ses amis restassent tranquillement assis dans le nord à la ville de Nidaros, pendant que le meurtrier de son père croisait benoîtement sur la voie maritime ordinaire au débouché du fjord de Throndhjem. Et le roi Inge et ses gens, au contraire, se trouvaient à Viken, au milieu du danger, défendant le pays et livrant moultes batailles. Alors le roi Inge envoya dans le nord, à la ville marchande de Nidaros, une missive dans laquelle se trouvaient ces mots : "- Le roi Inge Haraldson envoie à son frère le roi Sigurd, de même qu'à Sadagurd, Ogmund Svipte, Ottar Birting et tous les barons, hommes de cour, domestiques, et tout le peuple, riche ou pauvre, jeune ou vieux, ses propres salutations et celles de Dieu. La malchance est connue de tous que du fait de notre jeune âge - tu as cinq ans et j'en ai trois -, nous ne pouvons rien entreprendre sans le conseil de nos amis et autres hommes de bien. Mes hommes et moi pensons que nous sommes à présent plus près du danger, et d'une nécessité commune à tous deux, que toi et tes amis. En conséquence, fais en sorte, dès que possible, de venir à moi, avec autant de troupes que tu pourras, pour que nous puissions être rassemblés pour parer à toute éventualité. Il sera notre meilleur ami celui qui fera tout ce qu'il peut pour que nous soyons réunis, et prendre une part égale en chaque chose. Mais si tu refuses, et ne donnes pas suite à ce message que je t'envoie en grande nécessité, ainsi que tu l'as fait auparavant, alors tu dois t'attendre à ce que je marche contre toi avec mon armée. Que Dieu choisisse alors entre nous. Car nous ne sommes pas en condition ici de rester assis avec de tels frais, et avec des troupes aussi nombreuses rendues nécessaires par la présence de l'ennemi, ainsi que d'autres charges pressantes, pour que tu disposes de la moitié de tous les impôts et autres revenus de la Norvège. Puisses-tu vivre dans la paix de Dieu !".
9- Le discours d'Ottar Birting.
Alors Ottar Birting se leva au Thing, et répondit le premier : "- Ceci est la réponse du roi Sigurd à son frère le roi Inge – que Dieu le récompense pour son aimable salutation, et de même pour les problèmes et le fardeau que lui et ses amis supportent dans ce royaume, et pour cette nécessité qui les affecte tous deux. Bien que certains pensent qu'il y a quelque chose de cassant dans le message du roi Inge à son frère Sigurd, il a certainement des raisons suffisantes pour qu'il en soit ainsi. Maintenant, je vais vous faire connaître mon opinion, et j'entendrai si le roi Sigurd et les autres hommes de pouvoir la partagent. Et cette opinion est que vous, roi Sigurd, vous prépariez, avec tous ceux qui voudront vous suivre, à défendre votre pays. Et à aller retrouver avec les plus grandes forces que vous pourrez votre frère Inge, dès que vous serez prêt, afin que vous vous assistiez mutuellement en toutes choses pour ce qui est de votre bien commun. Et que Dieu Tout-Puissant renforce et aide chacun de vous ! A présent, roi, nous allons écouter vos mots."
Le conseil d'Ottar Birting
Peter, un fils de Saudaulf, et qui fut par la suite nommé Peter Byrdarsvein, porta le roi Sigurd au Thing. Alors le roi dit : "- Vous devez savoir à présent que, si je peux être conseillé, je me rendrai aussi vite que possible auprès de mon frère Inge." Puis d'autres parlèrent, l'un après l'autre. Mais, quoique chacun commençât son discours à sa façon, tous le finirent en agréant à ce qu'Ottar Birting avait proposé. Et il fut décidé de faire appel aux forces de guerre, et de se rendre dans l'est du pays. Le roi Sigurd alla de même avec de nombreuses troupes à Viken, et là, il rencontra son frère le roi Inge.
10- La chute de Magnus l'Aveugle.
Le même automne (1139) Sigurd Slembe et Magnus l'Aveugle revinrent de Danemark avec trente navires, tous avec des équipages de danois et norvégiens. L'hiver était proche. Lorsque les rois eurent vent de cette nouvelle, ils appareillèrent vers l'est avec leurs hommes dans l'intention de les affronter. Ils se rencontrèrent à Hvalar, près de Holm le Gris, le jour suivant la messe de St Martin, un dimanche. Le roi Inge et le roi Sigurd diposaient de vingt navires, tous de grande taille. Ce fut une grande bataille, mais, après le premier assaut, les danois s'enfuirent dans leur pays au Danemark avec dix-huit bateaux. Après quoi les vaisseaux de Sigurd et Magnus furent entièrement vidés, et, comme à la fin, ces deux derniers se retrouvèrent dépourvus d'escorte, et que Magnus gisait sur son lit, Hreidar Griotgardson, qui l'avait longtamps suivi et avait été son courtisan, prit le roi Magnus dans ses bras, et essaya de courir avec lui pour le porter à bord de quelque autre bateau. Mais Hreidar fut touché par une lance, qui passa entre ses épaules. Il tomba en arrière sur le pont, et Magnus sur lui.
"Hreidar prit le roi Magnus dans ses bras". W. Westlesen.
Et tous les hommes parlèrent de la manière honorable avec laquelle il avait suivi son maître et légitime souverain. Heureux sont ceux qui méritent de telles louanges ! Là tombèrent, sur le navire de Magnus, Lodin Saupprud de Linustadar et Bruse Thormodson. Et les hommes du gaillard d'avant de Sigurd Slembidjakn, Ivar Kolbeinson et Halyard Faeger, qui avaient changé de navire. Cet Ivar était le premier qui s'était rendu nuitamment chez le roi Harald, et avait porté ses mains sur lui. Là tombèrent un grand nombre des amis du roi Magnus et de Sigurd Slembe, car les hommes de Inge n'en laissèrent échapper aucun pour peu qu'ils s'en emparassent. Seul un petit nombre d'entre eux sont nommés ici. Ils tuèrent sur un ilôt plus de quarante hommes, parmi lesquels se trouvaient deux islandais, le prêtre Sigurd Bergthorson, un petit-fils de Mas. L'autre était Clemet, un fils d'Are Einarson. Mais trois islandais sauvèrent leurs vies : Ivar Skrauthanke, un fils de Kalf Range, qui fut par la suite évêque de Throndhjem, et le père de l'archevêque Eirik. Ivar avait toujours accompagné le roi Magnus, et il s'échappa en sautant dans le navire de son frère Jon Kauda. Jon était marié à Cécilia, une fille de Gyrd Bardson, et se retrouvait donc dans l'équipage des rois Inge et Sigurd. Ils furent trois en tout qui s'échappèrent par le bateau de Jon. Le deuxième était Arsbjorn Ambe, qui épousa par la suite la fille de Thorstein à Audsholt. Le troisième fut Ivar Dynta, un fils de Stare, mais du côté de sa mère par sa famille de Throndhjem, un homme très agréable. Lorsque les troupes surent que ces trois hommes étaient à bord du bateau de Jon, ils prirent leurs armes et lui donnèrent assaut, et quelques coups furent échangés, et l'ensemble de la flotte en arriva bientôt au bord de la bataille. Mais on trouva un arrangement, et Jon proposa rançon pour ses frères Ivar et Arnbjorn, pour une somme fixée alors, et qui fut remise par la suite. Mais Ivar Dynta fut pris et amené sur le rivage, et décapité. Sigurd et Gyrd, les fils de Kolbein, ne demanderaient aucun dédommagement pour lui, car ils savaient qu'il s'était trouvé là lors du meurtre de leur frère Beintein. Ivar l'évêque dit qu'il n'avait jamais rien vu qui le touchât autant qu'Ivar allant sur la grève sous la menace de la hache et se tournant vers les autres pour leur souhaiter un séjour heureux dans l'au-delà. La fille de Gudrid Birger, une sœur de l'archevêque Jon, dit à Eirik Odson qu'elle avait entendu Ivar dire ceci.
Encadrement : Bouloute créations
Tags : heimskringla, haraldsonnenes, snorri sturluson
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