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Heimskringla : Saga de Magnus Erlingsson III
18- La mort de Markus et du roi Sigurd
Aussitôt qu'Erling Skakke entendit que Sigurd et Markus naviguaient vers le sud, il se hâta en direction de Viken, et appela à lui une force armée : il disposa bientôt de nombreux hommes et de beaucoup de solides vaisseaux. Mais en arrivant à Viken, il se trouva confronté à un fort vent contraire, qui l'obligea à rester au port tout l'été. Et lorsque Sigurd et Markus vinrent dans l'est à Lister, ils apprirent qu'Erling commandait une grande troupe à Viken. Alors ils retournèrent dans le nord. Cependant, lorsqu'ils atteignirent l'Hordaland, avec l'intention de gagner Bergen, et arrivèrent face à la ville, Nikolas et ses hommes ramèrent contre eux, avec plus d'hommes et de plus grands navires qu'eux. Sigurd et Markus ne virent comme échappatoire possible que de s'enfuir vers le sud. Certains prirent la haute mer, d'autres partirent plein sud à travers le détroit, et les derniers rallièrent les fjords. Markus, et ceux qui l'accompagnaient, sautèrent sur une île nommée Skarpa. Nikolas et ses hommes s'emparèrent de leurs navires, donnèrent quartier à Jon Halkelson et quelques autres, mais abattirent la plupart de ceux dont ils purent se saisir.
Quelques jours plus tard, Eindride Heidafylja trouva Sigurd et Markus, et ils furent ramenés à Bergen. Sigurd fut décapité à l'extérieur de Grafdal, et Markus et un autre homme pendus à Hvarfness. Ceci eut lieu à la Saint-Michel (29 septembre 1163), et la bande qui les avait suivis fut dispersée.
19- Erling et le peuple de l'île Hising
Frirek Keina et Bjarne le mauvais, Onund Simonson et Ornolf Skorpa avaient navigué à la rame en haute mer avec quelques navires, puis vogué en longeant la côte vers l'est. Où qu'ils débarquassent, ils pillèrent et tuèrent les amis d'Erling. Quand Erling eut connaissance de la mort de Sigurd et Markus, il libéra les lendermen et les paysans qu'il avait mobilisés, leur permettant de rentrer chez eux ; mais lui-même, et ses hommes, se dirigèrent vers l'est par le fjord Folden, car il avait entendu dire que la bande de Markus s'y trouvait. Erling navigua vers Konungahella, où il resta en automne. Et la première semaine d'hiver, il se rendit avec ses hommes à l'île d'Hising, où il convoqua les boendr à un Thing. Lorsque le peuple d'Hising arriva au Thing, Erling exposa la poursuite légale qu'il intentait contre eux pour avoir rejoint les bandes de Sigurd et Markus, et avoir dressé les gens contre lui. Assur était le nom d'un des plus notables de ces paysans sur l'île, et il répondit à Erling au nom des autres. Le Thing resta longuement rassemblé. Mais à la fin, les boendr confièrent le règlement du cas au pouvoir d'Erling, et il donna date pour une réunion en ville dans un délai d'une semaine, nommant quinze paysans qui devraient y apparaître. Lorsqu'ils vinrent, il les condamna à verser une amende de trois cents têtes de bétail. Et les paysans rentrèrent chez eux fort mécontents de cette sentence. Peu après, la rivière Gaut gela, et les navires d'Erling furent pris dans la glace. Et les boendr retinrent l'amende par devers eux, et restèrent assemblés quelque temps. Erling passa les fêtes de Yule dans la ville, mais les boendr avaient fait des fêtes les uns chez les autres, et étaient restés sous les armes du temps de Yule. La nuit du cinquième jour de Yule, Erling revint à Hising, encercla la maison d'Assur, et le brûla à l'intérieur. Il tua en tout une centaine d'hommes, incendia trois maisons, puis s'en retourna à Konungahella. Les paysans vinrent ensuite, selon les accords, régler l'amende.
Erling le brûla à l'intérieur. W. Wetlesen
20- Mort de Frirek Keina et Bjarne
Erling Skakke se prépara à mettre les voiles au printemps, dès qu'il put dégager ses navires de la glace, et il quitta Konungahella. Car il avait entendu dire que ceux qui étaient précédemment les amis de Markus maraudaient dans le nord de Viken. Erling envoya des espions pour s'informer de leurs actes, les chercha, et les trouva au repos dans un port. Onund Simonson et Ornolf Skorpa s'enfuirent, mais Frirek Keina et Bjarne le mauvais furent pris, et nombre de leurs suivants tués. Erlinf fit attacher Frirek à une ancre, et la jeta par dessus bord. Et pour cet acte, Erling fut largement honni dans le Trondelag, car les hommes les plus puissants y étaient parents de Frirek. Erling ordonna que Bjarne le Mauvais fut pendu : et ce dernier hurla, selon son habitude, de terribles imprécations pendant son exécution. Thorbjorn Scalde de Skakke parle de cet événement :
"A l'orient du fjord et au-delà des terres,
Passant inaperçu au regard des pirates
Erling fondit sur eux avant qu'ils ne le vissent
Et saisit et tua les hommes de Keina.
Keina lui-même, vite lié à une ancre,
Fut jeté dans l'eau profonde et bleue du détroit.
Et Bjarne pendit haut à l'arbre du gibet
Un spectacle apprécié de tout homme de bien".Onund et Ornolf, avec la bande qui s'était échappée, s'enfuirent vers le Danemark. Mais vinrent parfois en Gautland, ou en Viken.
21- Réunion entre Erling et Eystein
Après quoi Erling Skakke navigua vers Tunsberg, et y resta un long moment au printemps (1164). Mais lorsque vint l'été, il se dirigea vers le nord et Bergen, où beaucoup de monde était assemblé à cette époque. S'y trouvaient Stéphanus, légat de Rome, l'archevêque Eystein et les autres évêques du pays, ainsi que Brand, consacré évêque d'Islande, et Jon Loftsson1, un fils de la fille du roi Magnus le Déchaux. Et à cette occasion, le roi Magnus et d'autres parents de Jon reconnurent leurs liens familiaux avec lui.
L'archevêque Eystein et Erling Skakke discutaient souvent ensemble en privé. Et, parmi d'autres sujets, Erling lui demanda un jour : "- Est-ce vrai, monsieur, ce que dit le peuple, que vous avez augmenté la valeur de l'ore pour lui dans le nord de Throndhjem, dans les cas légaux où des redevances vous sont versées ?"
"- C'est ainsi, répondit l'archevêque, que les boendr m'ont alloué une augmentation de l'ore pour les jugements des cas légaux. Mais ils l'ont fait volontairement, et sans aucune sorte de contrainte, et ont ainsi ajouté à leur honneur aux yeux de Dieu, et aux revenus de l'évêché.
Erling répondit : "- Est-ce conforme à la loi de Saint-Olaf ? Ou avez-vous usé d'arbitraire plus qu'il n'est inscrit dans le livre des lois ?
L'archevêque répondit : "- Le roi Saint-Olaf a fixé les lois, ce pour quoi il reçut le consentement et l'approbation du peuple. Mais il ne sera pas trouvé dans ces lois qu'il est interdit d'augmenter le droit de Dieu."
Erling : "- Si vous augmentez votre droit, vous devez nous assister pour augmenter de même le droit du roi."
L'archevêque : "- Vous avez déjà augmenté suffisamment le pouvoir et le domaine de votre fils. Et si j'ai outrepassé la loi en augmentant la valeur de l'ore pour le peuple de Trondhjem, il me semble qu'il s'agit d'une brèche plus importante dans la loi que soit roi du pays quelqu'un qui n'est pas fils de roi, ce qui n'a aucun support légal dans la loi, et dont il n'existe aucun précédent dans ce pays."
Erling : "- Lorsque Magnus a été choisi pour roi, ce fut porté à votre connaissance et fait avec votre assentiment, ainsi qu'avec celui des autres évêques dans le pays."
L'archevêque : "- Vous promîtes alors, Erling, que si nous accordions notre consentement à l'élection de Magnus comme roi, vous renforceriez, en toutes occasions, et de tout votre pouvoir, les droits de Dieu."
Erling : "- Je peux bien admettre que j'ai promis de protéger et de renforcer les commandements de Dieu et les lois du pays de tout mon pouvoir, et de toute la puissance du roi. Et je trouve à présent préférable, plutôt que de nous accuser inutilement l'un l'autre d'avoir violé nos promesses, de nous en tenir avec fermeté à l'accord conclu entre nous. Soutenez Magnus dans son domaine, suivant ce que vous avez promis, et pour ma part, je renforcerai votre pouvoir dans tout ce qui pourra être avantage ou honneur."
Puis la conversation retrouva un ton plus amical. Et Erling dit : "- Bien que Magnus n'ait pas été choisi comme roi suivant les anciennes coutumes de ce pays, vous pouvez maintenant le consacrer en tant que roi, ainsi que la loi de Dieu le prescrit, grâce à votre pouvoir de lui accorder l'onction de de la souveraineté. Et bien que je ne sois pas un roi, ni de sang royal, la plupart des rois, autant que je me souvienne, ne connaissaient pas les lois ou la constitution du pays aussi bien que moi. Par ailleurs, la mère du roi Magnus est née d'un roi et d'une reine unis légalement par les liens du mariage, et Magnus est le fils d'une reine et d'une femme légalement mariée2. Ainsi, si vous lui accordez l'onction royale, personne ne pourra lui prendre la souveraineté. Guillaume le Bâtard n'était pas fils de roi. Mais il fut sacré et couronné roi d'Angleterre, et la royauté anglaise est depuis toujours restée à ceux de son sang, et tous ont été couronnés. Sveinn Ulfson n'était pas fils de roi, au Danemark, et pourtant, il fut couronné roi, et ses fils de même, et tous ses descendants ont été couronnés rois. Nous avons à présent en Norvège un siège épiscopal, pour la gloire et l'honneur du pays. Ayons aussi un roi couronné, de même que les Danois et les Anglais."
Par la suite, Erling et l'archevêque s'entretinrent souvent de ce sujet, et tombèrent tout à fait d'accord. Alors l'archevêque exposa l'affaire au légat, et le persuada facilement d'y consentir. Après quoi, l'archevêque réunit les évêques, et d'autres hommes de savoir, et leur présenta le sujet. Ils répondirent tous en les mêmes termes, qu'ils suivraient les conseils de l'archevêque, et qu'ils étaient tous désireux de promouvoir ce sacre dès qu'il plairait à l'archevêque.
22- Le sacre du roi Magnus
Erling Skakke fit alors préparer une grande fête dans la maison du roi. La vaste halle fut couverte d'étoffes coûteuses et de tapisseries, et décorée à grands frais. Les hommes de cour et les participants y furent divertis, et vinrent de nombreux invités et beaucoup de chefs. Alors le roi Magnus reçut la consécration royale de l'archevêque Eystein. Et lors du sacre étaient présents cinq autres évêques, le légat et bien d'autres hommes d'église. Erling Skakke, et avec lui douze barons, firent prêter au roi le serment de la Loi.
Et le jour du sacre, le roi et Erling reçurent le légat, l'archevêque et les autres évêques en tant qu'hôtes. La fête fut tout à fait magnifique, et père et fils distribuèrent des cadeaux de grand prix. Le roi Magnus était alors âgé de huit ans, et avait été roi pendant trois années.
23- L'ambassade du roi Valdemar
Quand le roi Valdemar de Danemark eut appris la nouvelle de Norvège que le roi Magnus était devenu roi de tout le pays, et que tous les autres partis du pays avaient été évincés, il envoya des hommes, porteurs d'une lettre pour le roi Magnus et Erling, et leur rappela l'accord qu'Erling avait passé, sous serment, avec le roi Valdemar, et dont nous avons parlé précédemment. En substance, que de Viken à l'est à Rygiarbit à l'ouest, les domaines devaient être cédés au roi Valdemar, dès lors que Magnus deviendrait le seul roi de Norvège. Quand les ambassadeurs arrivèrent devant lui et montrèrent à Erling le courrier du roi Valdemar, et qu'il eut connaissance de la demande du roi danois, il l'exposa aux autres chefs par les conseils desquels il couvrait habituellement ses actes. Tous, comme un seul homme, répondirent que les danois ne devraient jamais posséder la plus petite partie de la Norvège. Car les choses n'allaient jamais aussi mal dans le pays que lorsque les danois y exercaient le pouvoir. Les ambassadeurs du roi de Danemark pressèrent Erling pour obtenir une réponse, et se montrèrent désireux qu'une décision soit prise. Mais Erling les pria de l'accompagner à Viken, et dit qu'il donnerait une réponse lorsqu'il aurait rencontré les hommes les plus sages et influents de Viken.
24- Erling et le peuple de Viken
Erling Skakke se rendit en automne en Viken, et resta à Tunsberg, d'où il envoya des émissaires à Sarpsborg pour réunir un Thing3 des quatre districts. Et il y alla avec ses gens. Lorsque l'assemblée fut assise, Erling fit un discours dans lequel il expliqua les résolutions qui avaient été prises entre lui et le roi de Danemark, la première fois qu'il avait réuni ses troupes contre ses ennemis.
"- Je vais, dit-il, rester fidèle aux accords que j'ai passés avec le roi, avec votre assentiment, boendr, si c'est votre volonté d'entrer au service du roi danois plutôt qu'à celui du roi qui a été sacré et couronné souverain de ce pays."
Les paysans répondirent ainsi aux paroles d'Erling : "- Nous ne deviendrons jamais les hommes du roi de Danemark, aussi longtemps que vivra un seul homme de Viken." Et toute l'assemblée, avec des cris et des hurlements, appela Erling à tenir son serment de protéger les domaines de son fils, "Devrions-nous jamais te suivre pour aller à la bataille." Et le Thing fut dissout.
Les ambassadeurs du roi danois retournèrent alors chez eux, et rapportèrent le résultat de leur mission. Les danois invectivèrent Erling, et tous les norvégiens, et déclarèrent que seul le mal pouvait provenir d'eux. Et il fut raconté qu'au printemps, le roi danois enverrait une armée dévaster la Norvège. Erling retourna à Bergen en automne, y resta tout l'hiver, et rémunéra ses hommes.1 : Egalement petit-fils de Saemund le Savant, et lui-même prêtre, chef, lettré, homme très riche et influent en Islande, et futur père adoptif de Snorri fils de Sturla.
2 : Allusion à certains rois qui furent fils de rois et d'une de leurs concubines.
3 : Cette référence à un Thing comme participation du peuple aux affaires du royaume est un exemple frappant de la reconnaissance du droit des Things à être, en théorie, l'équivalent de nos parlements actuels.
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