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Heimskringla : Saga de Magnus Erlingsson II
9- Des débuts du roi Sigurd
Il y avait dans les Uplands un homme nommé Marjus de Skog, qui était un parent du jarl Sigurd. Markus éleva un fils du roi Sigurd Mun1, qui se nommait également Sigurd. Ce Sigurd fut choisi pour roi (1162) par le peuple des Uplands, sur le conseil du jarl Sigurd et des autres chefs qui avaient accompagné le roi Hakon. Ils disposaient à présent d'une grande armée, et les troupes furent divisées en deux corps, de sorte que Markus et le roi fussent moins exposés s'il se passait quelque chose, et que le Jarl Sigurd et ses hommes, avec les barons, fussent plus sur le front du danger. Ils sillonnèrent principalement les Uplands avec leurs troupes, et quelquefois l'est de Viken. Erling Skakke avait toujours son fils Magnus auprès de lui, et la responsabilité de toute la flotte et de la défense du pays. Il resta quelque temps à Bergen en automne, mais se rendit de là à Viken, où il installa ses quartiers d'hiver à Tunsberg (1163), et où il collecta toutes les taxes et revenus qui étaient dûs à Magnus, en tant que roi. Il disposait de troupes nombreuses et excellentes. Comme le jarl Sigurd n'avait qu'une petite partie du pays, mais gardait beaucoup d'hommes avec lui, il se trouva bientôt en manque d'argent. Et où il n'y avait pas de chef à proximité, il eut bientôt à s'en procurer par des moyens illégaux, parfois à l'aide de fausses accusations et d'amendes, et parfois, ouvertement, par brigandage.
10- La condamnation du jarl Sigurd.
A cette époque, le royaume de Norvège connaissait une période de grande prospérité. Les boendr étaient riches et puissants, peu habitués aux hostilités ou à la violence, ni à l'oppression par des troupes itinérantes, de sorte que ceux qui avaient été volés et dépouillés firent bientôt grand bruit et scandale. Le peuple de Viken était très amical avec Erling et le roi Magnus, principalement en raison de la popularité du défunt roi Inge Haraldson. Car le peuple de Viken avait toujours servi sous sa bannière. Erling maintint une garde en ville, et douze hommes étaient postés en sentinelles chaque nuit. Erling tenait régulièrement des Things avec les boendr, au cours desquels les méfaits des gens de Sigurd étaient souvent exposés. Et par les représentations qu'en firent Erling et ses conseillers, les paysans furent amenés à considérer unanimement que ce serait un sort très souhaitable si ces bandes pouvaient être extirpées. Arne, parent du roi, parla bien et longtemps sur ce sujet, et à la fin avec sévérité. Et requit que tous ceux qui se trouvaient au Thing - hommes d'armes, boendr, citadins et marchands - en viennent à condamner selon la loi le jarl Sigurd et toutes ses troupes, et à décider de les livrer à Satan, morts ou vifs.
Du fait de cette animosité et de cette haine du peuple, cette condamnation fut agréée par tous. Et en conséquence, la sentence fut adoptée et confirmée par serment, comme si le jugement de ce cas avait été établi par le Thing conformément à la loi. Le prêtre Hroald Longue Haleine, qui était un homme très éloquent, parla de cette affaire. Mais son discours fut de même nature que ceux qui avaient été tenus auparavant. Erling donna une fête pour Yule à Tunsberg, et paya les gages des hommes à la Chandeleur.
11- D'Erling
Le jarl Sigurd descendit avec ses meilleures troupes sur Viken, où nombreux furent ceux qui se retrouvèrent obligés de se soumettre à ses forces supérieures, et dont beaucoup durent lui verser de l'argent. Il se conduisit ainsi plus largement dans les campagnes, pénétrant dans différents districts. Cependant, certains dans ses troupes désiraient en secret faire la paix avec Erling, mais ils s'entendirent répondre que tous ceux qui demanderaient d'avoir la vie sauve devraient obtenir quartier, mais que seraient autorisés à rester dans le pays seulement ceux qui n'étaient coupables d'aucun grand crime contre Erling. Et lorsque les partisans d'Erling surent qu'ils ne seraient pas autorisés à rester dans le pays, ils s'organisèrent en un seul corps, car beaucoup parmi eux tenaient pour certain qu'Erling les considérerait comme coupables de crimes contre lui. Philip Gyrdson passa un accord avec Erling, rentra en possession de ses propriétés, et rentra chez lui dans sa ferme. Mais peu après, Sigurd et ses hommes arrivèrent chez lui et le tuèrent. Ils commirent de nombreux crimes les uns contre les autres, et bien des hommes furent occis lors de leurs persécutions mutuelles. Mais seul ce qui fut commis par les chefs est rapporté par écrit.
12- Erling obtient des nouvelles du jarl Sigurd.
Ce fut au début du carême que la nouvelle parvint à Erling que le jarl Sigurd avait l'intention de marcher contre lui. Et les informations arrivèrent deci, delà, parfois de près, parfois de plus loin. Erling envoya des espions dans tous les coins pour découvrir où ils étaient. Chaque soir, il assemblait les hommes d'armes au son de la corne de guerre à l'extérieur de la ville. Et longtemps durant l'hiver, ils restèrent sous les armes toutes les nuits, prêts à se ranger à leur place dans l'armée. Enfin, Erling eut connaissance que Sigurd et ses partisans n'étaient guère loin, à la ferme Re. Erling commença donc son expédition à l'extérieur de la ville, et emmena avec lui tous les hommes de la ville capables de porter des armes et en possédant, ainsi que tous les marchands, ne laissant que douze guerriers pour surveiller la cité. Erling quitta la ville un jeudi après-midi, la deuxième semaine du Carême (19 février), et chaque homme portait deux jours de provisions avec lui. Ils marchèrent de nuit, il était tard lorsqu'ils sortirent de la ville. Il y avait deux hommes pour chaque bouclier et chaque cheval, et les hommes, lorsqu'ils furent rassemblés, se retrouvèrent à environ mille deux cents. Lorsqu'ils rencontrèrent leurs espions, ils furent informés que Sigurd était à Re, dans la maison nommée Rafnes, et avait cinq cents hommes. Alors Erling rassembla ses gens, leur donna les nouvelles qu'il venait de recevoir, et tous furent ardents à poursuivre leur marche, à leur tomber dessus dans les maisons, ou à les engager de nuit. Erling leur répondit ainsi : "- Il est probable que nous rencontrions bientôt le jarl Sigurd. Il y a encore dans sa bande des hommes dont les exactions restent dans nos mémoires, comme tuer le roi Inge, et tant d'autres de nos amis qu'il serait trop long de les énumérer. Ils commirent ces actes par la puissance de Satan, par sorcellerie et vilénie. Mais il est dit dans nos lois et les droits du pays, que même si un homme est reconnu coupable, le tuer de nuit doit être nommé meurtre par vilénie et couardise. Cette bande a jusqu'ici eu la chance de suivre les conseils d'hommes familiarisés avec la sorcellerie et le combat de nuit, et non dans la lumière du jour. Et par ce moyen, elle a jusqu'à présent obtenu la victoire sur les chefs dont les têtes ont été mises à bas sur le sol. Nous avons souvent vu, et expérimenté, combien inadéquat et incorrect il était de livrer bataille pendant la nuit. En conséquence, prenons plutôt en exemple des chefs que nous connaissons mieux, et qu'il est préférable d'imiter, et combattons au grand jour en bataille régulière, sans voler des hommes endormis pendant la nuit. Nous avons assez de forces pour les combattre, peu nombreux comme ils sont. Alors attendons le jour et la lumière, et conservons notre ordre de bataille au cas où ils nous attaqueraient". Après quoi, toute l'armée s'assit. Certains ouvrirent des bottes de paille, et s'en firent un lit, certains s'assirent sur leur bouclier, et ils attendirent ainsi le lever du jour. Le temps était froid et humide, et il tombait de la neige mouillée.
13- De l'ordonnancement de bataille du jarl Sigurd.
Le jarl Sigurd eut pour la première fois connaissance de la présence de l'armée d'Erling tandis qu'il était déjà auprès de la maison. Ses hommes se levèrent et s'armèrent, et ne sachant pas de combien de troupes Erling disposait, certains étaient enclins à s'enfuir, mais les plus déterminés à rester. Le jarl Sigurd était un homme intelligent, et savait bien parler, mais n'était certainement pas assez brave pour prendre des décisions fermes. Et sans nul doute, le jarl montra une forte propension à fuir, s'attirant de ce fait maintes paroles cinglantes de la part de ses hommes d'armes.
Comme le jour se levait, on commença de part et d'autre à organiser ses rangs pour la bataille. Le jarl Sigurd plaça ses hommes sur une crête entre la rivière et la maison, à un endroit où un petit torrent se jetait dans la rivière. Erling et ses gens disposèrent leurs lignes de l'autre côté de la rivière, mais à l'arrière de ces rangs se trouvaient des guerriers à cheval et bien armés, qui avaient le roi avec eux. Lorsque les hommes du jarl Sigurd se rendirent compte qu'ils étaient si gravement en infériorité numérique, ils tinrent conseil, et furent d'avis de gagner la forêt. Mais le jarl Sigurd dit : "- Vous prétendiez que je n'avais aucun courage, mais cela reste à prouver. Et que chacun d'entre vous veille à ne pas faillir, ou fuir, avant que je ne le fasse moi-même. Nous avons un bon champ de bataille. Laissons-les traverser le pont. Mais dès que la bannière passera par dessus, ruons-nous sur eux du haut de la colline, et qu'aucun ne fasse défaut à son voisin." Le jarl Sigurd portait une tunique brun-rouge et un manteau rouge dont les coins étaient relevés et attachés, des chaussures aux pieds et un bouclier et une épée nommée Bâtarde. Le jarl dit : "-Dieu sait que je préférerais avoir Erling d'un coup de Bâtarde, plutôt que de recevoir de l'or."
14- La chute du jarl Sigurd
L'armée d'Erling Skakke souhaitait emprunter le pont, mais Erling leur dit de passer tout le long de la rivière, qui était petite et aisée à traverser puisque ses rives étaient planes, et ils firent ainsi. Les lignes du jarl Sigurd avancèrent le long de la crête du côté opposé. Comme à l'endroit où la crête s'interrompait, le sol était bon et au-dessus du niveau de la rivière, Erling dit à ses hommes de chanter une patenôtre et de prier Dieu de leur accorder une victoire méritée. Alors ils chantèrent tous le "Kyrie Eleison", et frappèrent leurs boucliers de leurs épées. Mais pendant ce chant, trois cents hommes d'Erling s'échappèrent et s'enfuirent. Alors Erling et ses hommes traversèrent la rivière, et les hommes du jarl poussèrent leur cri de guerre, sans qu'il y ait assaut depuis la colline, mais la bataille commença sur l'éminence elle-même.
Ils utilisèrent d'abord les lances et les armes de pointe, et la bannière du jarl recula bientôt si loin qu'Erling et ses troupes escaladèrent la crête. La bataille ne dura que peu de temps avant que les hommes du jarl ne s'enfuient vers la forêt, qui était juste derrière eux. On raconte que le jarl Sigurd, à qui ses hommes demandaient de fuir, répondit : "- Continuons tant que nous le pouvons !". Et ses hommes continuèrent bravement, tranchant de tous côtés. Dans cette confusion tombèrent le jarl Sigurd et Jon Sveinson, ainsi que près de soixante hommes. Erling ne perdit que peu de monde, et poursuivit les fugitifs dans la forêt. Là, Erling arrêta ses troupes, et s'en retourna. Il arriva juste au moment où les esclaves du roi étaient sur le point de dépouiller le jarl Sigurd de ses vêtements, bien qu'il ne fut pas tout à fait mort. Il avait remis l'épée au fourreau, et elle était à son côté. Erling la prit, en frappa les esclaves et les chassa. Puis Erling, avec ses troupes, rentra et resta à Tunberg. Sept jours après la chute du jarl Sigurd, les hommes d'Erling capturèrent Eindride Unge, et le tuèrent, avec tout son équipage.
15- Markus de Skog et Sigurd Sigurdson
Markus de Skog, et le roi Sigurd, son fils adoptif, chevauchèrent jusqu'à Viken aux abords du printemps, et y prirent un navire. Mais lorsqu'Erling le sut, il vint dans l'est contre eux, et ils se rencontrèrent à Konungahella. Markus s'enfuit avec ses partisans sur l'île Hising, et là, les paysans d'Hising affluèrent en foule, et intégrèrent l'armée de Markus et Sigurd. Erling et ses guerriers ramèrent vers le rivage, mais les archers de Markus leur tirèrent dessus. alors Erling dit à ses gens : "- Prenons leurs navires, mais n'attaquons pas avec des forces terrestres. Il serait nuisible de se quereller avec les Hisinger, ils sont durs, et de peu d'entendement. Ils conserveront cette troupe, mais pour peu de temps avec eux, car Hising n'est qu'un petit territoire." Ce qui fut fait : ils s'assurèrent des navires et les envoyèrent vers Konungahella. Markus et ses hommes gagnèrent le district forestier, d'où ils avaient l'intention de lancer leurs attaques, et les espions se déployèrent de part et d'autre. Erling était accompagné de nombreux hommes d'armes, qu'il avait amenés d'autres districts, et ils s'attaquèrent chacun leur tour.
16- Des débuts de l'archevêque Eystein
Eystein, un fils d'Erlend Himaide, fut choisi pour être archevêque, après le décès de l'archevêque Jon. Et il fut consacré l'année où le roi Inge fut tué. Quand l'archevêque Eystein prit possession de son siège, il se fit aimer de toute la région, comme un excellent homme, actif, et de haute naissance. Le peuple de Throndhjem, en particulier, l'accueillit avec plaisir, car beaucoup des notables du district de Throndhjem étaient en relation avec lui par parenté ou autre, et tous étaient ses amis. L'archevêque présenta lors d'un discours une requête aux bondis, dans laquelle il faisait valoir le grand besoin d'argent du siège, et combien était nécessaire une augmentation des revenus au maintien de l'archevêché, car il était à présent d'importance supérieure à ce qu'il avait été précédemment, lorsque le siège épiscopal avait été établi la première fois. Il demanda aux bondis de lui donner, afin qu'il puisse conduire les procès, un ore d'argent, plutôt que ce qu'ils versaient auparavant, à savoir un ore de monnaie pour le jugement, dans le genre de ce qui était versé au roi lorsqu'il rendait la justice. Et la différence entre ces deux types d'ores était que celui qu'il voulait était une fois et demie plus important que l'autre. Avec l'aide des parents et amis de l'archevêque, et grâce à sa propre activité, cette demande fut acceptée, et inscrite dans la loi pour tout le district de Throndhjem et dans tous les districts qui dépendaient de son archevêché.
17- De Markus et du roi Sigurd.
Lorsque Sigurd et Markus perdirent leurs navires sur la rivière Gaut, et se rendirent compte qu'ils ne pourraient avoir de prise sur Erling, ils gagnèrent les Uplands, et avancèrent par la terre vers le nord et Thondhjem. Sigurd y fut reçu avec joie, et choisi pour roi à un Eyra-Thing, et maints hommes de qualités, avec leurs fils, rallièrent d'eux-mêmes son parti. Ils équipèrent des vaisseaux, les gréèrent pour le voyage, et lorsque vint l'été, naviguèrent vers le sud et More, où ils collectèrent les revenus royaux où qu'ils aillent. A ce moment, les barons dont les noms suivent furent nommés à Bergen pour la défense du pays : Nikolas Sigurdson, Nokve Palson, et plusieurs chefs militaires, comme Thorolf Dryl, Thorbjorn Gjaldkere, et bien d'autres. Comme Markus et Sigurd faisaient voile vers le sud, ils entendirent dire que les hommes d'Erling étaient nombreux à Bergen, et naviguèrent donc très au large des récifs, et doublèrent Bergen par le sud. On remarquait que généralement, les hommes de Markus bénéficiaient d'un bon vent, où qu'ils veuillent se rendre à la voile.
1 : Lui-même fils d'Harald Gille.
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