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Heimskringla, préface : du prêtre Are Frode
Du prêtre Are Frode
Le prêtre Are Frode (l'Instruit), un fils de Thorgils, fils de Geller, fut le premier homme dans ce pays à coucher par écrit en langue nordique le récit des événements tant anciens que récents.
Au début de son livre, il écrivit principalement au sujet des premiers établissements de colons en Islande, des lois, du mode de gouvernement, et plus tard, traita des hommes de loi et de la durée pendant laquelle chacun avait administré la loi. Il en nota les dates, depuis le début jusqu'au moment où le christianisme fut introduit en Islande, et enregistra ensuite ce qui s'était passé dans son propre temps. A cela il ajouta maints autres sujets, tels les vies et les règnes des rois de Norvège et de Danemark, et aussi d'Angleterre. Il prit en compte également les grands événements ayant eu lieu dans son pays-même. Ses récits sont tenus par nombre d'hommes de savoir comme les plus remarquables de tous.
Car il était d'une grande intelligence, et si âgé que sa naissance remontait à l'année suivant la chute de Harald Sigurdson. Il rédigea, ainsi qu'il le dit lui-même, sur les vies et les règnes des rois de Norvège d'après les écrits de Od Kolson, un petit-fils de Hal de Sida.
Od tenait lui-même ses informations de Thorgeir Afradskol, un homme intelligent, et si vieux que lorsque fut tué le Jarl Hakon le Grand, il vivait déjà à Nidarnes, à l'endroit même où le roi Olaf Tryggvason fonda plus tard la ville marchande de Nidaros (Throndheim) que nous connaissons encore aujourd'hui. Le prêtre Are vint, à l'âge de sept ans, chez Hal Thorarinson à Haukadal, et y resta quatorze ans. Hal était un homme de grand savoir doté d'une excellente mémoire. Il pouvait se rappeler le jour de son baptême par le prêtre Thangbrand, à l'âge de trois ans, un an avant que le Christianisme ne soit légalement institué en Islande. Are avait douze ans lorsque mourut l'évêque Isleif, et au moment de cette mort, quatre vingt années s'étaient écoulées depuis la chute d'Olaf Tryggvason. Hal mourut neuf ans après l'évêque Isleif, et avait presque atteint l'âge de quatre vingt quatorze ans. Hal avait commercé entre les deux pays, et avait bénéficié de ses relations avec le roi Saint Olaf, grâce auquel sa réputation avait grandi, et il était devenu un familier du royaume de Norvège. Il s'était installé à Haukadal à l'âge de trente ans, et y a vécu soixante-quatre ans, ainsi que nous le dit Are.
Teit, un des fils de l'évêque Isleif, avait été élevé dans la demeure de Hal à Haukadal, et y résida lui-même plus tard. Il se chargea de l'enseignement du Prêtre Are, et lui donna des informations sur les évènements qu'Are consigna par la suite. Are obtint également nombre de renseignements auprès de Thurid, une fille de Snorri le Godi. Elle était instruite et intelligente, et se souvenait de son père Snorri, qui avait près de trente-cinq ans lorsque le christianisme fut introduit en Islande, et mourut un an après la chute du roi Saint-Olaf. Il n'est donc pas extraordinaire que le prêtre Are ait disposé de documentation au sujet des événements anciens survenus aussi bien ici, en Islande, qu'à l'étranger, car il était un homme curieux de ces renseignements, intelligent, et pourvu d'une très bonne mémoire, et ayant de plus beaucoup appris auprès d'anciens très sages.
Car les chansons me semblent toujours plus dignes de confiance si elle sont chantées correctement et judicieusement interprétées.
Sous la dictée de Snorri. C. Krohg.
Tags : are frode, snorri sturluson, heimskringla
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Commentaires
Il était apparemment important pour Snorri (qui n'avait pas grand-chose d'un viking, à vrai dire... mais qui était un homme d'une intelligence rare) que son oeuvre fût crédible. La méthode est en effet la bonne, de mon point de vue d'ex-chercheuse en sciences fondamentales, et il a écrit par ailleurs qu'il préférait ajouter des lignes qu'en enlever parce qu'elles étaient fausses (dans la saga d'Harald l'Impitoyable). Une honnêteté intellectuelle, qui bien que limitée par les moyens d'information à son époque, me semble parfois faire défaut de nos jours autant qu'aux siens.
Je ne peux m'empêcher de citer le cas de ce moine (franc je crois) des alentours de l'an Mil (j'ai oublié le nom et les détails mais l'anecdote est bien réelle), qui découvrant des tombes non identifiées sur les terres de son monastère, et cherchant à savoir si ce sont des chrétiens ou des païens qui sont enterrés là, va procéder en digne précurseur de Cadfaël par raisonnement quasi archéologique, avec une extraordinaire modernité dans son analyse.
Comme quoi il n'y a pas d'époque réservée pour faire preuve d'intelligence, de justesse et d'honnêteté intellectuelle.
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Présentation détaillée des sources, repères chronologiques croisés et recroisés, je confirme, cet excellent Viking a suivi une rigoureuse méthode pour établir son enquête digne d'Hérodote... Le tout dans le but de bien asseoir l'interprétation des chansons qui sont reconnues comme dignes de confiance. J'adore. Union entre science, méthode et tradition.
Ah, je suis marri, mais je suis incapable de commencer quelque chose par le commencement, ma méthode étant autrement plus confuse... Ce qui explique le désordre de mes commentaires.