• Sagas islandaises. Régis Boyer.

    Des lames des Vikings

     

     

    En regardant ce reportage, j'ai pensé à la mention des "épées bleues" dans les textes, et à la technique de recuit "au bleu" qui consiste à donner plus de résistance à un acier très dur. Je ne dispose pas de preuves que ces épées bleues, figure de style certainement, mais révélatrice peut-être d'une certaine qualité d'acier, aient été des +Ulfberht+, mais elles étaient remarquables, au point que certaines avaient des noms.

      

    Dans la saga d'Hakon le Bon (961) 

    Il nettoya les ponts avec son épée bleue (Kvernbit)
    Qui régit le sort de la guerre, sur les planches
    Des onze navires, des vikings du Vindland.
    Célèbre depuis lors est le nom de Hakon.

     

    La vengeance du jarl Hakon (965) dans la Saga des fils d'Eirik. 

    Je dis la louange de l'homme, du héros,
    Qui sur ses bons bateaux parcourait l'océan,
    Comme un oiseau de proie et voulait conquérir
    Une rouge vengeance pour son parent mort.
    Par son épée bleutée ruisselante de fer,
    Qui s'abattait rapide et qui figeait la vie
    De celui qui avait pris la vie de son père,
    De lui et de ses hommes pendant le combat.

      

    La bataille de Svolder, an 1000, dans la saga d'Olaf Tryggvason 

    "Epées et boucliers cliquetaient vivement,
    Et la chanson des lances à bord était stridente
    Et les flèches sifflaient en essaims resserrés
    Contre les courageux combattants du Serpent,
    Et toujours, a-t-on dit, le jarl Eirik pouvait
    Aligner à ses côtés des ennemis frais,
    Des armées entières de Danois et Suédois,
    Maniant haut les lames bleues de leurs épées."

     

    Le retour en Norvège en 1035 du roi Magnus Olafson le Bon 

    "Il ne fait vraiment aucun doute que celui
    Qui veut commander sur la mer et sur la terre,
    Fera ressentir dans le sang à l'ennemi
    L'acier bleu tranchant de Hneiter, l'épée d'Olaf.
    Ce jeune homme généreux, qui sème de l'or,
    Courageux fils de Norvège, âgé de dix ans
    Equipe ses navires sur les lacs de Russie,
    Pour prendre sa couronne, aidé de ses amis. "

     

    Histoires de quelques épées nordiques célèbres   

     

    Les secrets de l'épée viking   Baesing, épée du roi Olaf Geirstad-Alf, fils de Gudrod le Chasseur. Récupérée dans son tombeau, elle fut offerte à Saint-Olaf par son oncle et père adoptif  Hrani Roesson (995). Olaf s'en sépara en recevant le baptême (1010), car l'épée était païenne, et, comme elle lui manqua, il la récupéra en 1020, la rebaptisant Hneiter. Il la perdit en mourant à Stiklestad (1030).
    Elle fut prise par un suédois et par la route des Varègues, arriva en Orient (autour de 1100). Elle fut placée sur l'autel de l'église Saint-Olaf à Constantinople par l'empereur Alexis Ier (Kirjalax). On ne sait donc pas trop comment elle aurait pu finir en 1035 dans la main de Magnus Olafsson ainsi que le prétend Arnold Scalde des Jarls. Elle aurait ensuite été ramenée en Norvège par Eindride Unge, et remise au jarl Sigurd qui lui aurait donné le nom de Bâtarde et l'aurait utilisée lors de la bataille de Re (1163). Par la suite, on perd sa trace.

     

    Les secrets de l'épée viking   Fotbrei (large d'un pied) : épée de Thorlaf Skolmsson auprès du roi Hakon le Bon à la bataille de Fitjar (961)

     

    Les secrets de l'épée viking   Kvernbit, la "mordeuse de meule", fut un cadeau du père adoptif d'Hakon le Bon, Adelstein, à son fils. Elle était réputée la meilleure épée jamais forgée en Angleterre. Elle s'illustra lors de la bataille de Fitjar. On la retrouve en 1016 dans la main de Saint-Olaf lors de la bataille de Nesjar en Vestfold.

     

    Les secrets de l'épée viking   Leggbit, "mordeuse de jambes", était le nom de l'épée d'Hakon Herdebreid lors des batailles en Ulster (1103).

     

    Et quelques autres, parties en Islande :

    - Grasida, de Gisli Thorkelson de More, un des premiers colons en Islande.

    - Adalsranaut, de Gunlaug Ormstunge

    - Hviting : Holmgang Berse de Soebo,

    - Kongsnaut, de Kjartan

    ce qui aurait tendance à confirmer la colonisation de l'Islande par les classes sociales aisées de la société norvégienne.

     

    Et bien sûr, les légendaires :

    - Gramr  (Balmung) de Sigmund, reforgée pour Sigurd (Volsunga Saga)

    - Mimung, épée d'Odin. 

     

    viking                                                                                                                                                                                                      viking 


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  •   Sagas islandaises. Régis Boyer.

    La Saga d'Egil Skallagrimson

     

    Saga d’Egill fils de Grimr le chauve

     

    La Saga d'Egill Skallagrimsson

     Egill. Manuscrit du XVIIème siècle.

     

    Egil Saga (album Licht), par Faun.

     

    L’"Egla" est un texte long et dense, pouvant relever à la fois des sagas royales ou des sagas islandaises.

    Il s’agirait d’une des premières sagas rédigées en Islande, et c’est sans doute la plus fameuse, celle sur laquelle les récits postérieurs (à 1230) ont pris modèle : elle présente la structure typique de ce genre littéraire, et déjà toutes ses caractéristiques, brièveté de la narration, économie de mots, énumération des généalogies, distance du narrateur avec le récit… Coup d’essai, peut-être, coup de maître, assurément. Car les spécialistes soupçonnent que l’auteur en serait Snorri Sturluson, puisque comme nombre de sagas, on n’en connaît pas précisément le rédacteur. Il est cependant à noter qu’au Moyen-âge, l’art de l’écriture ne consistait pas, le plus souvent, à inventer une histoire et à la rédiger ex nihilo. Comme les autres sagas, celle d’Egill fils de Grimr le chauve est probablement une compilation de textes ou de récits plus anciens, liés par le talent de l’auteur qui de pièces et fragments disparates composait une mosaïque cohérente, le tout sur fond de faits historiques. Le fait que l’auteur, disons Snorri, ait réinventé certains passages à partir de la tradition orale, d’anciens textes ou de poèmes (et on sait l’importance qu’il accordait aux témoignages poétiques. Voir la préface de l’Heimskringla) qu’il connaissait a peu d’importance. Qu’il ait pu broder certains détails à partir de la mémoire des Islandais ou composé lui-même certaines vithur non plus. Le récit est impeccablement tissé pour mettre en valeur les trois personnages principaux : Ulfr, le grand-père, Grimr, le père, et Egill, le fils, ascendants de Snorri par sa mère, propriétaires du lieu où l’écrivain passa une partie de sa vie (Borg) et tous trois très remarquables par leur force physique, leur laideur, leur caractère bien trempé et leur talent scaldique (surtout Egill, tenu pour l'un des scaldes les plus talentueux de tous les temps). Ainsi que par la puissance de leur hamr : les trois étaient des berserkir notoires (voir l’article «de l’âme des vikings »). Dans la famille Loup, je voudrais...

    L’ensemble de la saga est sous-tendu par trois fils rouges :

    - une vision du monde dominée par le destin et duelle, caractéristique de la mentalité scandinave de l’époque : ordre / chaos, beauté / laideur, droit / non-droit surtout.

    - l’art scaldique est omniprésent dès la naissance d’Egill qui aurait déclamé sa première vitha à l’âge de trois ans, et atteint des sommets avec certains des textes qu’il a composés comme le Sonatorrek (la perte irrémédiable des fils). Est-il nécessaire de rappeler que Snorri était un maître et un théoricien de la poésie scaldique ? Le texte comporte la citation de plus de 900 vers, faisant avec virtuosité et érudition appel à toutes les techniques et images de la scaldique.

    - Le plaisir de conter pour le plaisir de lire, et la vie d’Egill, viking, guerrier, poète de génie, magicien odinique, ennemi personnel d’un roi et d’une reine, s’y prête à merveille, d’autant qu’il était resté dans l’histoire de l’Islande comme un héros sans pareil jusqu’à la rédaction de l’Egla, et bien après.

    Quatre-vingt sept chapitres, des dizaines de personnages, des intrigues entremêlées... En rédiger un résumé relèverait donc de la gageure. La saga relate par le menu les démêlés de la famille d'Egill avec les rois Harald Ier de Norvège et ses fils et successeurs Eirik à la hache sanglante puis dans une moindre mesure, Hakon le bon, sur trois générations, et plus particulièrement les faits et gestes du personnage principal qui lui donne son titre, entre Norvège, Angleterre, nord de l'Allemagne et Islande, où ont fini par partir son père et son grand-père.

     

    Colonisation de l'Islande

    Arrivée des colons en Islande. Oscar Wergeland.

     

    Quelques extraits de l’œuvre (traduction de Régis Boyer) pour illustrer compétences et traits de caractère du héros.

    - Egill magicien : la magie est omniprésente dans le récit, et en recenser tous les passages serait trop long. Alors juste quelques aperçus de la maîtrise du sujet par le héros.

    Egill en voyage est hébergé dans un des domaines du roi Eirikr Hache Sanglante par le tenancier de l’établissement, nommé Bardr. Il est logé dans un bâtiment annexe de la ferme, et on lui donne, pour lui et ses hommes, du pain, du beurre et du skyr (fromage blanc liquide tenant lieu de boisson et d’aliment), en prétendant et en déplorant qu’il n’y ait point de bière. Or, le même soir, le roi Eirikr et sa suite, dont sa femme Gunnhildr, arrivent à la ferme pour un banquet. La bière coule à flots. Gisli s’en rend compte, s’invite au banquet, boit tant et plus sans s’enivrer à en rendre jaloux tous les convives (tenir l’alcool était une grande qualité physique), et fait à Bardr des reproches cinglants pour ses mensonges. Celui-ci, lassé, à l’instigation de la reine Gunnhildr et avec son aide, empoisonne la bière destinée à Egill (chapitre 44).

    "Alors la reine et Bardr mêlèrent du poison à la boisson et la firent servir. Bardr signa la corne1 puis la remit à la servante : elle la porta à Egill en le priant de boire. Egill sortit alors son couteau et se l’enfonça dans la paume. Il prit la corne, grava des runes dessus et y fit couler son sang (voir les Havamal, le Runatal paragraphe 144). Il déclama :

    "Gravons des runes sur la corne,

    Rougissons de sang les signes ;

    Je choisis ces mots pour le bois

    Des racines des oreilles de la bête sauvage ;

    Buvons à loisir la liqueur

    De la serve accorte ;

    Voyons le bien que nous fera

    La bière que Bardr signa. »

    La corne vola en éclats et la boisson se répandit dans la paille."

     

    Autre anecdote, autre forme de magie : le nidh. Après avoir pillé une ferme ennemie, le roi Eirik refusant de reconnaître les droits de sa femme sur les terres de son père, Egill le maudit (chapitre 57) :
    "Egill et ses hommes pillèrent tout le bien sur lequel ils purent mettre la main, puis ils allèrent au bateau. Il ne fallut pas attendre longtemps qu’un vent favorable, venant de la terre, se lève. Ils se préparèrent à mettre à la voile et dès qu’ils furent prêts, Egill monta dans l’île. Il s’empara d’un pieu de noisetier et monta sur un promontoire rocheux orienté vers l’intérieur du pays. Alors il prit une tête de cheval et l’empala sur le piquet. Puis il récita le formulaire et parla ainsi : « J’érige ici un piquet d’infamie et le tourne contre le roi Eirikr et la reine Gunnhildr (il tourna la tête de cheval vers l’intérieur du pays), je tourne ce nidh contre les esprits tutélaires qui habitent ce pays afin qu’ils s’égarent tous et que nul ne s’y retrouve avant qu’ils n’aient chassé du pays le roi Eirikr et la reine Gunnhildr ». Puis il enfonça le piquet dans une fente du rocher et l’y laissa. Il tourna aussi la tête vers l’intérieur du pays et grava des runes sur le piquet, et il récita ce formulaire. Après cela, Egill alla sur le bateau. Ils mirent à la voile et prirent la haute mer."

    Un an plus tard, Eirik et sa femme étaient obligés de fuir le pays lors de l'arrivée d'Hakon en Norvège (voir la saga d'Hakon le Bon), et Eirikr tomba peu après lors d'une expédition viking.

     

    Egill, le nid

     Egill maudit Eirik à la Hache Sanglante et son épouse Gunnhild. Roger Raupp.

     

    Egill skallagrimsson, le nid 

    Egill pratique le nidh. Louis Moe.

     

    C'est de la magie "noire", mais Egill pratiquait aussi la magie "blanche".

    Lors de son voyage au Vermaland, bien reçu par un bondi nommé Thorfinnr, il voit dans sa halle une femme allongée, et bien malade (chapitre 72) :

    "Thorfinnr dit qu'elle s'appelait Helga et que c'était sa fille, "il y a longtemps qu'elle est souffrante", et que c'était une longue maladie ; elle passait toutes ses nuits sans dormir, c'était comme si elle avait perdu l'esprit. "- A-t-on cherché à voir de quoi elle souffre ?" dit Egill. Thorfinnr dit "- Il y a eu des runes gravées et celui qui l'a fait est le fils d'un bondi, pas loin d'ici ; depuis, c'est bien pis qu'avant. T'entends-tu, Egill, à faire quelque chose contre un tel mal ?." Egill dit : "- Il se peut que si j'interviens, ça ne fasse pas de mal." Lorsqu'il eut mangé, Egill alla à l'endroit où gisait la femme et parla avec elle. Il demanda qu'on la soulève de son lit et qu'on lui mette des draps propres. Ce qu'on fit. Puis il fouilla le lit dans lequel elle avait reposé et trouva un morceau de ski sur lequel il y avait des runes. Egill les lut, puis il les rabota et jeta les copeaux dans le feu. Il brûla tout le ski et fit mettre à l'air les draps qu'elle avait eus. Alors il déclama :

    "Point ne faut graver de runes

    Si l'on ne sait les interpréter,

    A maint homme il arrivé

    Que noir bâton gravé l'égare ;

    J'ai vu sur la planche taillée

    Des lettres secrètes gravées,

    Voilà ce qui longtemps a causé

    Lourd dol au tilleul des oignons2."

    Egill grava des runes et les mit sous l'oreiller de la couche où elle reposait. Elle eut l'impression de se réveiller de son sommeil et dit qu'elle était guérie, mais qu'elle n'avait pas beaucoup de forces tout de même, et son père et sa mère furent dans une grande liesse." (Cet épisode est le sujet de la chanson de Faun ci-dessus).

     

    - Egill poète : c'est une composante majeure de son personnage. D'aucuns pensent même que la saga a été rédigée comme écrin pour ses stances, en particulier ses trois morceaux de bravoure : le Sonatorrek, l'Arinbjarnarkvitha (le lai d'Arinbjorn, son meilleur ami), et le Hofudlausn (la rançon de la tête : composé en quelques heures à la gloire du roi Eirik en échange de sa vie).

    Après la mort de son frère Thorolfr au service du roi d’Angleterre Edelstein (Athelstan), auquel Egill a fait comprendre à l’aide d’un éloquent jeu de sourcils qu’il apprécierait un dédommagement sonnant et trébuchant pour cette perte, le roi lui octroie un de ses bracelets d’or au bout de son épée, qu’Egill récupère de même. Alors Egill déclame, lui qui aime les richesses (chapitre 55) :

    «Le Hödr  à la broigne fit prendre pour moi

    Le lacet hurlant enserrant

    La potence du faucon ;

    Je sus passer l’anneau de la poutre

    De l’écu sur la potence

    De la tempête de la lance,

    Le pourvoyeur du faucon de la bataille

    M’a conféré un honneur. »

     

    Egill Skallagrimsson et Athelstan

    Egill récupère de l'épée le bracelet que lui tend le roi d'Angleterre Athelstan.

     

    Le point de vue du marin :

    « Le vent contraire déchaîné

    Cisèle sans cesse de sa lime

    L’étrave sur la mer lisse

    Pour le guerrier.

    Mais la tempête glacée

    Lime rudement les vagues

    De sa râpe contre l’avant

    Du bateau à la proue. »

     

    Après un combat singulier, contre Ljotr le blême, autre berserker, lors duquel il combat à la place de Fridgeirr de manière à ce que Ljotr n'épouse pas sa sœur de force (chapitre 64) :

    "Tomba le pourvoyeur du loup

    Qui fit du mal à la plupart ;

    Le scalde trancha la jambe de Ljötr ;

    J’ai accordé paix à Fridgeirr ;

    Point ne désire récompense

    Du briseur de la flamme de la mer ;

    J’ai pris grand plaisir à en découdre

    Dans le fracas des lances avec le Blême".

    Suite à quoi, lui qui aime tant les biens matériels, laisse le bénéfice des dépouilles du vaincu à Fridgeirr. Lorsque Egill parle de lui-même, il s’enorgueillit d’être « le scalde ». 

     

    La Saga d'Egill Skallagrimsson

    Egill en holmganga, combat singulier ritualisé. J. Flintoe

     

    - Egill guerrier

    Lors d'un autre combat singulier, pour des raisons légales celui-ci, contre Atli, afin de savoir lequel des deux aurait la possession de l'héritage d'Asgerd, épouse d'Egill (chapitre 65) :

    "Lorsqu'ils furent prêts pour le duel, ils bondirent l'un contre l'autre et jetèrent d'abord leur lance : ni l'une ni l'autre ne se fixa dans un bouclier, toutes les deux se fichèrent dans le sol. Ensuite, ils empoignèrent tous deux leurs épées, s'attaquèrent ferme, et échangèrent des horions. Atli ne recula pas. Ils frappaient à coups rudes et redoublés et se détruisirent l'un et l'autre rapidement leurs écus. Comme le bouclier d'Atli était fort abîmé, il le jeta, prit son épée à deux mains et frappa furieusement. Egill lui asséna un coup sur l'épaule, mais l'épée ne mordit pas. Il asséna un deuxième, puis un troisième coup. Il lui était facile de chercher un endroit où frapper Atli, puisque celui-ci n'avait pas de protection. Egill brandit son épée Dragvandill de toutes ses forces, mais elle ne mordait pas, où qu'elle arrive. Egill vit alors qu'il ne servirait à rien d'en rester là, son bouclier ayant été rendu inutilisable. Alors il lâcha son épée et son bouclier, bondit sur Atli et s'empara de lui. On reconnut alors la différence de force. Atli tomba à la renverse, mais Egill se pencha vers le sol et lui arracha la gorge d'un coup de dents : Atli y laissa la vie." 

    Voyant que les armes normales n'ont aucun effet sur Atli, assurément protégé par magie, Egill ne lésine pas sur les moyens à employer. Après tout, son grand-père se prénommait Loup.

    Plus tard, au cours d'une expédition en Vermaland (chapitre 75), Egill et ses trois compagnons tombent dans une embuscade :

    "Lorsqu'ils arrivèrent à la crête, il y avait des arbres en dessous, mais rien en remontant. Parvenus en haut, sept hommes sortirent de la forêt et montèrent la pente en leur courant sus et en leur lançant des traits. Egill et les siens firent face, se tenant côte à côte en travers du chemin. Alors d'autres hommes descendirent vers eux depuis un rocher, leur jetant des pierres depuis là, ce qui les mettait bien plus en péril. Egill dit alors : "- Vous allez maintenant reculer sur la pente en vous protégeant comme vous pourrez, et moi, je vais escalader le rocher." c'est ce qu'ils firent. Quand Egill sortit de la pente, huit hommes se trouvaient là qui marchèrent tous en même temps sur lui et l'attaquèrent. Il n'y a rien à raconter de leurs échanges de horions : pour finir, il les abattit tous. Puis il avança sur le rocher et jeta des pierres en bas. Trois Vermalandais y restèrent, mais quatre parvinrent dans la forêt, ils furent blessés et molestés."

    Il n'y a rien à raconter de leurs échanges de horions... Il en tue quand même huit ! 

     

    Pour plus d'aventures, de magie, de vengeances, de politique, d'émotion aussi, il est vivement conseillé de lire le texte intégral de cette saga, bien qu'Egill ne soit pas un personnage attachant, pas plus que son père Grimr ou son grand-père Ulfr. Il est violent et cassant, procédurier, entêté, cupide et cruel, impitoyable pour ses ennemis, mais aussi homme d'honneur, généreux, fidèle en amour, loyal en amitié, très émouvant dans l'expression de son chagrin lors de la mort de son fils Bodvar. Ils étaient néanmoins tous les trois diablement "söguligr" : dignes d'être racontés, de faire l'objet d'une saga.

    Enfin, Egill était probablement atteint de la maladie osseuse de Paget, de même que ses ascendants, décrits comme lui d'une taille et d'une laideur inhabituelles (déformations osseuses, en particulier du crâne, qui a résisté à un coup de hache, et des os de la face), alors que les autres membres de la famille étaient réputés remarquablement beaux. La saga nous raconte en outre qu'il devint sourd, aveugle, souffrait de froideur des extrémités (troubles vasculaires) et était sujet à des troubles nerveux et comportementaux (absences, léthargie, migraines, accès de violence).

    Et si ça vous tente, son trésor (deux coffres emplis d'or et d'argent, donnés par le roi Athelstan), qu'il a caché dans une crevasse rocheuse en Islande, reste, semble-t-il, à découvrir...

     

    1   du signe du marteau de Thor, rite très ancien de sacralisation censé favoriser la prise d’effet de la magie et des toxiques.

    2 : tilleul des oignons : la femme.

     

    viking                                                                                                                                                                                                 viking


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  • Sagas islandaises. Régis Boyer.

    La Saga de Gisli Sursson

     

    Quelquefois, en regardant des films de cinéma, je me navre de l’indigence du scénario, le plus souvent lorsqu’il est battu et rebattu, ou du fait de sa grande pauvreté. Même si les images sont belles ou les effets spéciaux trop bons.

    Pourtant, il est des textes, qui sans être d’une folle originalité, pourraient enrichir et revivifier l’imaginaire des scénaristes. Mais tant pis, je me fais mes films en lisant des livres.

    Le saga de Gisli Sursson est l’un de ces récits, qui partage avec les autres sagas (les vraies, les nordiques) sa sécheresse de ton, son manque d’enjolivures, sa hâte pour se précipiter vers son dénouement, et, comme beaucoup d’autres, cette fin survient lors de la mort du héros ; facteur probablement non négligeable du caractère inutilisable de ce genre d’ouvrage au cinéma, la happy-end me semblant souvent, pour ce qui est des films d’aventures, un pré-requis sine qua non.

    Bref, la saga de Gisli Sursson est une saga islandaise de type familial : elle raconte la vie de Gisli fils de Thorbjorn Surr (Ours de Thor « petit lait aigre ») et de ses proches, et commence comme il se doit pour des gens qui pouvaient réciter la liste de leurs ancêtres sur plusieurs générations, par la narration de quelques faits marquants au sujet des ascendants du héros principal, vers la fin du règne en Norvège du roi Hakon Haraldsson (Hakon le Bon) : combats en duel, mariages, querelles, incendies…

    C’est seulement après les scènes d’exposition des principaux personnages que l’intrigue se noue, après une bien curieuse cérémonie d’affrérage entre quatre hommes, Gisli, son ami Vesteinn, son frère Thorkell et son ami Thorgrimr : Gisli propose qu’ils affermissent leurs liens d’amitié par un serment de fraternité. Mais Thorgrimr, après être passé sous le pont de gazon1 et avoir mélangé son sang à celui des autres, émet très vite des restrictions en ce qui concerne Vesteinn, et tout de suite, Gisli relativise son serment en ce qui concerne Thorgrimr, puisque Vesteinn est à la fois son ami et son beau-frère.

    Mais les épouses des frères Sursson, Audr, sœur de Vesteinn, épouse de Gisli, et Asgerd, sœur de Thorgrimr et épouse de Thorkell, ont des sentiments trop bavards, puisque Thorkell surprend une de leurs conversations où Audr avoue à sa belle-sœur avoir eu un penchant pour Thorgrimr, tandis qu’Asgerd révèle un faible pour Vesteinn. Les deux femmes, sachant qu’elles ont été surprises, font amende honorable et chacune avoue ce qu'il en est à son mari, qui lui pardonne. Cependant, Gisli, inquiet, recommande à Vesteinn de ne pas venir dans la région pour les fêtes de l’hiver. Vesteinn, prévenu trop tard, passe outre et est tué d’un coup de lance lors d’une nuit de tempête. C’est Gisli qui arrache la lance du cadavre2, et se charge ainsi de la vengeance à venir.

    La maisonnée de Thorgrimr, qui comprend aussi Thorkell, son beau-frère, est fortement suspecte, et ce dernier plaide la tempérance auprès de son frère, le meurtrier le plus probable étant en effet Thorgrimr, son ami et associé. Au cours des jeux d’hiver, alors que Gisli et Thorgrimr s’affrontent, celui-ci avoue presque ouvertement sa responsabilité dans le meurtre de Vesteinn, et celui-là le menace à mots à peine couverts. L’hiver suivant, Gisli, usant de stratagèmes pour ne pas être vu, tue Thorgrimr au cours d’une nuit de fête, laissant lui aussi son arme, une lance reforgée avec le métal  de l'épée Grasida, dans le corps.

     

    La Saga de Gisli Sursson

    Gisli reforge Grasida.

     

    La Saga de Gisli Sursson

    Le meurtre de Thorgrimr.

     

    Thorkell et les parents du défunt, dont son frère Börkr, époux de Thurid Sursdottir, sœur aînée des frères Sursson, suspectent Gisli. Börkr fait faire une enquête par magie, pour savoir ce qu’il en est.

    Au cours des jeux qui suivent, Gisli, incapable de garder le silence, déclame une vitha à sens multiples qu’on peut interpréter comme un aveu.

     

    La Saga de Gisli Sursson

    Gisli aux jeux d'hiver

     

    C’est sa sœur qui l’entend, et la comprend. Elle en parle à son mari au printemps suivant, et lui conseille le procès. Börkr choisit de se venger directement, et part à la recherche de Gisli, qui, prévenu par son frère Thorkell, tiraillé entre fraternité et amitié, lui échappe de justesse. Lors du procès qui a lieu en parallèle, Gisli est mis hors-la-loi, et Börkr promet une récompense pour sa mort à Eyjolfr et Helgi l’espion. Commence alors une longue traque, où Gisli, sujet aux rêves prémonitoires, apprend la date de sa mort et trouve refuge auprès de ses amis et surtout de sa femme, Audr. La cavale dure six ans, entrecoupée de recherches, de ruses, de trahisons, de cachettes, de recours à la magie, de rêves de plus en plus explicites, et de vengeances collatérales.

     

    La Saga de Gisli Sursson

    Gisli, déguisé en esclave, échappe à Börkr

     

    Enfin découvert par ses poursuivants après les avoir ridiculisés pendant des années, Gisli succombe sous le nombre après un dernier combat héroïque où sa femme lui prête une indéfectible, quoique malencontreuse, assistance.

     

    La Saga de Gisli Sursson

    Gisli, Audr son épouse, et Gudrid, sa fille adoptive.

     

    Et au-delà de l’histoire, ce que j’aime dans les sagas, c’est le non-dit, l’humour souvent sombre et mordant des dialogues et de la narration, qui s’éclaire à la connaissance de la mentalité de l’époque.

    Quelques morceaux choisis (traduction de Régis Boyer) :

    - la cérémonie d’affrérage

    Lors de l’Althing, certains disent que l’amitié des quatre sera bientôt démentie. Gisli propose alors de renforcer ces liens d’amitié et de devenir frères de sang.

    « Ils dressent de longues bandes de gazon hors de terre, de telle sorte que leurs extrémités restent fichées en terre. Ils placent en dessous une lance incrustée, telle qu’un homme debout puisse atteindre de la main les cous qui fixent le fer au manche. Ils devaient passer là-dessous tous les quatre, Thorgrimr, Gisli, Thorkell et Vesteinn. Maintenant, ils s’ouvrent une veine et font ensemble couler leur sang dans le trou laissé par les mottes de gazon, et mêlent le tous, sang et terre. Puis ils tombent tous à genoux et font le serment de venger chacun d’entre eux comme son propre frère, et prennent tous les dieux à témoin. Et quand ils joignent tous ensemble leurs mains, Thorgrimr dit : "- Je suis bien obligé de faire cela avec Thorkell et gisli, mes beaux-frères, mais quant à Vesteinn, rien ne m'y oblige." et il retire sa main. "- Alors, nous serons plusieurs, dit Gisli, et je ne me lierai pas avec celui qui ne veut pas se lier avec Vesteinn, mon beau-frère".»

    Aussitôt dit, aussitôt défait...

     

    - La fuite de Gisli

    Après que Börkr a compris que Gisli avait sans nul doute tué son frère, il part à sa recherche. Pour lui échapper, Gisli, prévenu par son frère Thorkell, prend la fuite et use d’un stratagème…

    « Gisli prend son argent, et deux bêtes de trait qu’il mène à la forêt, son esclave, Thordr le Couard, l’accompagne. Alors Gisli dit : « - Tu m’as souvent été obéissant, et tu as fait selon ma volonté, et je dois t’en récompenser de la bonne manière. » C’est la coutume de Gisli d’aller en manteau bleu, de belle étoffe. Il enlève son manteau et dit : « - Je veux te donner un manteau, ami, et je veux que tu t’en serves tout de suite et que tu ailles en manteau. Reste assis dans le dernier traîneau. Je vais conduire les bêtes et porter ton capuchon. » Ainsi font-ils. Alors Gisli dit : « - S’il arrive que des hommes t’appellent, tu dois surtout prendre soin de ne jamais leur répondre mais si quelqu’un veut te faire du mal, alors vient jusqu’à la forêt. » L’intelligence de Thordr était tout fait équivalente à son courage, car il n’avait pas le moindre soupçon de l’une ni de l’autre. Gisli conduit donc les animaux. Thordr était un homme de grande taille et il avait l’air imposant dans le traîneau. Il se pavanait plutôt, s’estimant magnifiquement équipé. »

    Evidemment, Börkr prend Thordr pour Gisli et le poursuit, puis le tue, pendant que ce dernier s’éclipse. Pour la vie d'un thrall...

     

    - l’argent d’Eyjolfr.

    Eyjolfr, commissionné par Börkr, se rend chez Audr afin de trouver Gisli, et propose à la femme de la payer pour qu’elle trahisse son mari, pour une grosse somme d’argent. Audr ne refuse pas dans un premier temps, et lui demande de montrer et de compter l’argent, puis :

    « Eyjolfr vient de terminer de compter l’argent, et Audr dit : «  - En aucune façon, l’argent n’est ni moins abondant ni moins bon que ce que tu m’en as dit. Et tu admettras que j’ai le droit d’en faire ce que bon me semble. » Eyjolfr accueille ces paroles avec satisfaction, et la prie en effet d’en faire ce qu’elle veut. Audr prend donc l’argent et le verse dans une grande bourse, puis elle se lève et jette la bourse avec l’argent dedans sur le nez d’Eyjolfr, si bien que le sang en jaillit, et elle dit : « Reçois donc cela pour ta crédulité, et tout le mal avec. Il n’y avait aucun espoir que je te livre mon mari, à toi, mauvais homme. Reçois cela, et reçois avec honte et couardise à la fois. Tant que tu vivras, misérable, tu te rappelleras qu’une femme t’a châtié. Et tu n’obtiendras pas davantage ce que tu voulais. »

    Tuer une femme étant une infamie, ses compagnons en empêchèrent Eyjolfr, alors que c’était son premier mouvement.

     

    Plus tard, Eyjolfr en venant annoncer la réussite de sa mission à son mandataire Börkr se verra infliger une grande blessure à la cuisse par Thurid, sœur de Gisli et qui veut le venger, et femme de Börkr, juste avant qu’elle ne divorce de son mari. A la fin, Audr et Gunnhildr, veuve de Vesteinn, se convertissent au christianisme et partent en pélerinage dans le sud, dont elles ne reviennent pas, et Gudrid, la fille adoptive de Gisli, se marie et a de nombreux enfants. Une histoire qui ne finit pas si mal que ça.

     

    1 Il s’agit de découper des bandes de gazon et de faire une sorte de pont de terre sous lequel un homme peut passer mais relié à la terre à chacune de ses extrémités.

    2  Car il s’agit d’un meurtre caché : dans le cas d’un assassinat honteux, l’arme eût été retirée.

     

     viking                                                                                                                                                                                                 viking


    6 commentaires
  •  Sagas islandaises. Régis Boyer.

     

    Absente pour quelques semaines, à bientôt...

    Bon voyage dans le nord peint par les scandinaves, et bel été !

     

    Voir le nord en peinture

     

    Et pour explorer le blog :

     

    Gone Viking

      

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