• Chapitre 29 : du grand chagrin et du grand dol de Brunehilde

    volsunga saga

    Après cette discussion, Brunehilde s'alita, et la nouvelle qu'elle était souffrante fut portée au roi Gunnar. Il se rendit à son chevet et lui demanda quels étaient ses maux, mais elle ne répondit rien et resta gisante telle une morte. Et lorsqu'il se montra dur avec elle pour obtenir une réponse, elle dit :

    "- Qu'as-tu fait de cet anneau que je t'avais donné, celui-là même que le roi Budli m'avait remis, lorsque toi et le roi Gjuki êtes venus le voir pour le menacer du feu et de l'épée, à moins que tu ne m'obtiennes pour épouse ? Oui, à cette époque, il m'a entretenue en privé, et m'a demandé lequel j'avais choisi parmi ceux de mes prétendants qui étaient venus. Mais je l'ai supplié de pouvoir continuer à monter la garde en son pays, et à être le chef du tiers de ses troupes. Alors j'ai eu le choix entre être mariée à celui qu'il déciderait, ou perdre mes biens et son amitié de ses propres mains. Et il a ajouté que son amitié serait préférable pour moi que sa colère. Alors je réfléchis que si je ne cédais par à sa volonté, je devrais tuer de nombreux hommes. Et enfin, il m'a semblé qu'il ne servirait à rien de l'affronter, et il se trouvait que j'avais promis d'épouser celui qui monterait le cheval Grani portant le butin de Fafnir, et chevaucherait à travers mon mur de flammes, et tuerait les hommes que je lui demanderais d'occire, et tout cela parce que nul autre n'aurait osé monter ce cheval dans les flammes, que Sigurd, parce qu'il avait assez de courage pour ce faire. Oui, il a vaincu le ver, et Reginn, et cinq rois en outre. Mais toi, Gunnar, tu n'as eu aucune audace. Tu es devenu aussi pâle qu'un mort, et tu n'es ni un roi, ni un champion. Ainsi, malgré la promesse faite à mon père de n'aimer que le plus noble des hommes, et qui n'est nul autre que Sigurd, j'ai maintenant brisé mon vœu et n'ai rien obtenu, puisqu'il n'est pas à moi, et c'est la raison pour laquelle je souhaite ta mort. Et j'ai aussi une rétribution maudite pour récompenser Grimhild. Jamais, je pense, une femme ne fut plus maléfique qu'elle, ni aussi dépourvue de cœur.

    Gunnar répondit de manière que personne d'autre ne puisse l'entendre : "- Tu as proféré bien des paroles méchantes, et tu es une femme au cœur mauvais, puisque tu vilipendes une femme bien meilleure que toi. Elle n'oserait jamais maudire sa propre vie comme tu le fais. Non, et elle n'a pas non plus tourmenté les hommes morts, ni n'en a tué. Mais elle vit sa vie bien-aimée de tous."

    Brunehilde répondit : "- Je n'ai jamais ourdi secrètement de maléfices, ni commis d'actes condamnables. Mais maintenant, je suis des plus encline à te tuer." Et ce disant, elle tenta de frapper le roi Gunnar, mais Hogni l'emprisonna dans des entraves. Gunnar reprit la parole : "- Non, je ne veux pas qu'elle soit mise aux fers."

    Alors elle dit : "- Aucune importance ! Plus jamais tu ne me verras heureuse dans ta halle, plus jamais je ne boirai, plus jamais je ne jouerai aux échecs, ni ne dirai de mots aimables, ni ne broderai d'or de beaux vêtements, ni ne te donnerai de bons conseils. Ah, quel chagrin pour mon cœur que Sigurd ne puisse être à moi !"

    Alors elle s'assit et frappa son ouvrage d'aiguille, et le déchira, et ordonna qu'on laisse ouverte la porte de son salon, pour que ses lamentations de chagrin puissent être entendues au loin. Alors s'élevèrent des gémissements et des soupirs de deuil, qu'on pouvait entendre de loin et dans l'ensemble de la demeure.

    Alors Gudrun demanda à ses suivantes pourquoi elles restaient assises sans joie et abattues.

    "- Que vous est-il arrivé, que vous vous comportiez comme des sottes, par quelle catastrophe secrète avez-vous été atteintes ?"

    Une grande dame, la noble Swaflod, répondit : "- C'est un jour néfaste, un mauvais jour, et notre halle résonne de sanglots."

    Alors Gudrun parla à une de ses suivantes : "- Lève-toi, car nous avons dormi longtemps. Va, éveille Brunehilde, et remettons-nous à nos travaux d'aiguille, et soyons joyeuses."

    "- Non, non, répondit-elle, en aucune façon je ne la réveillerai, car elle n'a bu ni hydromel ni vin depuis nombre de jours, et certainement, la colère des dieux s'est abattue sur elle."

    Alors Gudrun s'adressa à Gunnar : "- Va la voir, dit-elle, et fais lui savoir que je suis peinée de sa peine."

    "- Non, dit Gunnar, il m'est interdit de la voir ou de partager son destin."

    Pourtant, il se rendit auprès d'elle, et tenta de différentes manières d'avoir une discussion avec elle, mais n'obtint aucune réponse. Alors il partit et alla trouver Hogni, et le pria d'aller la voir. Il dit qu'il s'y refusait, mais y alla quand même, et n'obtint rien de plus de sa part.

    Alors ils vinrent à Sigurd, et le prièrent de lui rendre visite. Il refusa, et les choses en restèrent là pour cette nuit.

    Mais le lendemain, en revenant de la chasse, Sigurd alla voir Gudrun, et lui dit :

    "- Tels que les événements se présentent à moi, je sens que de grands malheurs vont provenir de ces troubles. Et que Brunehilde va certainement mourir."

    Gudrun répondit : "- O mon seigneur, elle est sous l'emprise d'un grand prodige, et voilà sept jours et sept nuits qu'elle dort, et personne n'a osé la réveiller."

    "- Non, elle ne dort pas, dit Sigurd, son cœur est certainement occupé par de terribles projets à mon intention."

    Alors Gudrun, pleurant, dit : "- Maudit soit le moment de ta mort ! Va la voir. Et juge s'il est possible de mettre un terme à sa fureur. Donne-lui de l'or, et étouffe son chagrin et sa colère avec!"

    Alors Sigurd se rendit à la chambre de Brunehilde, dont il trouva la porte ouverte. Il supposa qu'elle était au lit et qu'elle avait ôté ses vêtements, et dit :

    "- Eveille-toi, Brunehilde ! Le soleil brille à présent au-dessus de toute la demeure, et tu as assez dormi. Chasse toute ta peine, et laisse la joie revenir !"

    Elle répondit : "- Mais comment as-tu osé venir à moi ? Dans cette trahison, nul ne fut pire pour moi que toi."

    Sigurd fit : "- Pourquoi ne veux-tu parler à personne ? Quelle est la raison de ton chagrin ?"

    Brunehilde répondit : "- Ah, est-ce à toi que je vais parler de ma colère ?"

    Sigurd dit : "- Tu dois être sous l'effet d'un sortilège, pour penser qu'il y a dans mon cœur quoi que ce soit de cruel envers toi. Mais tu as pour mari celui que tu as toi-même choisi."

    "- Du tout, répondit-elle, Gunnar n'a jamais chevauché à travers les flammes pour me rejoindre, ni ne m'a donné le douaire de l'hôte des morts. Je me demande qui est l'homme qui est venu à ma halle. Parce qu'il me semble avoir reconnu tes yeux. Mais je n'ai peut-être pas bien vu, ou pas pu séparer le bon du mauvais, à cause du voile qui pèse sur mon destin."

    Sigurd dit : "- Il n'y a pas d'hommes plus nobles que les fils de Gjuki. Ils ont tué le roi des Danes, et un grand chef, le frère du roi Budli."

    Brunehilde répondit : "- Certainement, je dois les honorer pour leurs mauvaises actions. Ne me rappelle pas mes griefs envers eux. ! Mais toi, Sigurd, tu as tué le Ver, et chevauché à travers le feu, oui, pour moi, et non l'un des fils de Gjuki.

    Sigurd répondit : "- Je ne suis pas ton époux, et tu n'es pas ma femme. Et un très prestigieux roi t'a versé un douaire."

    Brunehilde dit : "- Je n'ai jamais considéré Gunnar d'une façon telle que mon cœur puisse lui sourire. Et je suis dure et sévère avec lui, même si je le cache aux autres."

    "- Il est prodigieux, dit Sigurd, de ne pas aimer un tel roi. Qu'est-ce qui te contrarie tant ? Certainement, son amour pour toi est plus précieux que l'or."

    "- La pire affliction pour moi, dit-elle, est que la plus amère des épées ne soit pas rougie de ton sang."

    "- N'en aies crainte ! dit-il, tu n'auras pas longtemps à attendre avant que la plus amère des épées ne transperce mon cœur. Et tu n'as pas besoin de prier pour toi-même, car tu ne me survivras pas. Les jours de nos deux vies sont désormais comptés."

    Brunehilde répondit : "- C'est assez de discours et de tenter d'éviter le mal, puisque tu m'as trahie et m'a éloignée de tout bonheur. Peu m'importe ma vie ou ma mort."

    Sigurd répliqua : "- Ah, vis et aime le roi Gunnar et moi de même ! Et je te donnerai toute ma fortune pour que tu ne meures pas."

    Brunehilde répondit : "- Tu ne me connais pas, ni le cœur qui bat en moi. Car tu es le premier et le meilleur des hommes, et je suis devenue la plus détestable des femmes à tes yeux."

    "- Ce qui est vrai, c'est que je t'aimais plus que moi-même, lorsque je suis tombé dans des pièges dont nos destins ne pouvaient pas s'échapper, car lorsque j'ai repris mes esprits et mes sentiments, je me suis grandement désolé que tu ne sois pas mon épouse. Mais j'ai tâché de garder mon problème pour moi, car c'est le devoir d'un roi. Et de plus, malgré tout, j'étais heureux que nous puissions être tous ensemble. Arrivera ce qui est prédit. Je n'en crains pas l'accomplissement."

    Brunehilde répondit : "- Tu m'avoues trop tard que cette peine t'a désolé. Je ne trouve plus de pitié en moi, maintenant."

    Sigurd dit : "- Mon cœur voudrait que toi et moi nous rejoignions dans le même lit. Et même que tu deviennes mon épouse."

    Brunehilde dit : "- De telles paroles ne devraient pas être prononcées, et je n'aurai pas deux rois dans la même halle. Je préférerais mourir que tromper le roi Gunnar."

    Après ça, elle lui rappela comment ils s'étaient rencontrés, tous deux, sur la montagne, et avaient prêté des serments mutuels.

    "- Mais maintenant, tout a changé, et je ne veux plus vivre."

    "- Je ne me rappelais même pas ton nom, dit Sigurd, ni ces moments, avant le jour de ton mariage. C'est là le plus grand des malheurs."

    Alors Brunehilde dit : "- J'ai juré d'épouser l'homme qui pourrait chevaucher dans mes flammes, et je dois tenir ce serment, ou mourir."

    "- Plutôt que tu ne meures, je vais t'épouser, et répudier Gudrun," dit Sigurd.

    Mais alors qu'il disait cela, son cœur se dilata entre ses côtes, si bien que les anneaux de son armure éclatèrent.

    "- Je ne veux pas de toi, dit Brunehilde, non, ni d'aucun autre !".

    Alors Sigurd s'en retourna.

     

    Ainsi le raconte la chanson de Sigurd :

    "Sigurd sortit alors,

    Le grand roi, bien-aimé,

    De la discussion et dans la peine,

    Plaie ouverte, si douloureuse,

    Que la chemise autour de lui,

    Celle du brave dans la bataille,

    Faite d'anneaux de fer,

    Rompit au-dessus de ses côtes."

     

    Puis, lorsque Sigurd retourna dans la grande salle, Gunnar lui demanda s'il avait réussi à prendre connaissance du grand chagrin qui pesait sur elle, et si elle était capable de parler. Et Sigurd répondit qu'elle n'était pas empêchée de discourir. Alors Gunnar retourna auprès d'elle, et lui demanda d'où venait son malheur, et s'il y avait quelque chose à faire pour l'atténuer.

    Gunnar et Brynhild. Maria Klugh

    Gunnar et Brynhild. Maria Klugh

     

    "- Je ne veux pas vivre, dit Brunehilde, puisque Sigurd m'a trahie, oui, et toi aussi, puisque tu as supporté qu'il me rejoigne dans mon lit. Mais je ne veux pas avoir deux hommes dans la même demeure. Et il en résulte la mort de Sigurd, ou la tienne, ou la mienne, parce qu'à présent, il a tout raconté à Gudrun, et elle doit se moquer de moi en ce moment."

     

    volsunga saga, gudrun

     

    Voir aussi le Sigurdarkvitha en skamma.

    Médaillon : Engelmann.

    Encadrement : Chantalou

     

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