•  Gylfaginning

    Valhalla, par Oakenshield.

     ___________________________________________

     

    XLI- Gangleri remarqua : "- Par ma foi, il y a une telle foule d'hommes puissants dans la Valhalle qu'Odin doit être un très grand chef, puisqu'il commande une si nombreuse armée.  Mais que font les champions, lorsqu'ils ne boivent pas ? 

    Très-Haut expliqua : "- Chaque jour, dès qu'ils sont vêtus, ils mettent leur armure, se rendent sur le champ clos et combattent, s'abattant les uns les autres. Telle est leur occupation, et lorsque vient le temps du déjeuner1, ils chevauchent vers la Valhöll et s'assoient pour boire, ainsi qu'il est dit ici2 :

    "- Tous les champions 
    Dans les enclos d'Odin,
    Se livrent combat 
    Chaque jour ;
    Ils choisissent leur victime,
    Reviennent à cheval du combat,
    Et s'assoient ensemble
    En toute amitié à table."

     

    Gylfaginning, valhalle

    Festin à la Valhöll. J. Gehrts.

     

    Mais tu as dit vrai : Odin est d'une grande puissance. Il existe bien des exemples qui le prouvent, ainsi qu'il est dit dans les paroles des Ases eux-mêmes3

    "Le frêne Yggdrasill est le plus grand des arbres,
    Skidbladnir, le meilleur des bateaux,
    Odin, le plus éminent des Ases,
    L'idéal des étalons, Sleipnir,
    Bifrost, le meilleur des ponts, Bragi, des poètes,
    Habrok, des autours, et des chiens, Garm."

     

    Gylfaginning, yggdrasil

    Le meilleur des arbres. Frolich.

     

    XLII- Gangleri s'enquit ensuite : "- Qui possède le cheval Sleipnir, et qu'y a-t-il à en dire ?"

    Très-Haut répondit : "- Tu n'as aucune connaissance en ce qui concerne Sleipnir, et tu ne connais pas les circonstances de son origine. Elles te sembleront dignes d'être contées. Cela se passa au début, quand les dieux vinrent s'établir ici après avoir créé Midgard et la Valhalle. Un certain maître artisan se présenta et leur offrit de construire une citadelle en trois saisons, tellement solide qu'elle pourrait résister aux géants des montagnes et aux thurses du givre, même s'ils devaient arriver jusqu'à Midgard. Mais il demanda comme gage d'obtenir Freyja, et ajouta Mani et Sol. Les Ases s'assemblèrent et tinrent alors conseil ; il fut conclu de proposer un marché à l'ouvrier, en ces termes : il obtiendrait ce qu'il avait demandé s'il réussissait à terminer le fort en un hiver. Au premier jour de l'été, si quelque partie de la forteresse était encore inachevée, il perdrait sa récompense. Il fut dit aussi qu'il ne devrait recevoir l'aide d'aucune personne pendant son travail. Lorsqu'ils lui présentèrent ces conditions, il demanda s'ils acceptaient de le laisser recevoir l'aide de son étalon, nommé Svadilfari. Loki intercéda, et cette clause fut accordée. 
    Il commença le travail de construction de la citadelle au premier jour de l'hiver, et la nuit, il hissait de gros blocs de pierre avec l'aide de son étalon. Et la taille des rochers que pouvait tracter le cheval sembla merveilleusement grande aux Ases, car l'animal abattait une plus rude besogne, de moitié, que l'artisan. Mais il y avait des témoins de leur marché, et de nombreux serments avaient été prononcés car il semblait dangereux que le géant restât sans cesse parmi les Ases si Thor devait revenir à la maison. Mais Thor était pour le moment parti dans l'est, combattre les trolls.
    Et lorsque l'hiver tira à sa fin, la construction de la forteresse était bien avancée, et elle était si haute et puissante qu'elle ne pouvait être prise. A trois jours de l'été, ne manquait plus que la porte de la place forte. Alors les dieux se réunirent sur les sièges du jugement, et tinrent conseil, se demandant les uns aux autres qui avait conseillé de donner Freya à Jotunheim, ou de détruire ainsi l'air et les cieux en enlevant le soleil et la lune pour les donner aux géants.  Les dieux tombèrent d'accord sur le nom de celui qui était responsable de ce pacte désastreux, Loki fils de Laufey, et déclarèrent lui réserver un bien mauvais sort s'il ne se débrouillait pas pour que le géant n'honore pas son contrat, et le menacèrent avec violence. Commençant à avoir peur, il s'engagea par serment à trouver un moyen de ne pas payer ses gages au géant, quoi qu'il lui en coûtât.

    Le même soir, lorsque l'ouvrier partit chercher des pierres avec son étalon Svadilfari, une jument surgit d'une forêt proche et hennit en sa direction.

     

    Gylfaginning, svadilfari, loki

     

    L'étalon, sentant de quelle sorte de cheval il s'agissait, devint aussitôt frénétique et brisa sa longe, et bondit vers la jument, et elle vers la forêt, et l'artisan après eux, tentant d'attraper son étalon. Les chevaux galopèrent toute la nuit, aussi le travail prit-il du retard cette nuit-là. Et le lendemain, le travail n'avança pas ainsi qu'à l'ordinaire. Lorsque le maître bâtisseur s'aperçut que l'ouvrage ne serait pas achevé à temps, il entra dans une fureur de géant. Ainsi, lorsque les Ases eurent la certitude de la sorte de géant des montagnes à laquelle ils avaient affaire, ils se dédirent de leur serment et appelèrent Thor, qui arriva promptement. Et aussitôt, il brandit le marteau Mjöllnir, payant le salaire du géant, mais pas avec le soleil et la lune ; plutôt, il lui refusa le séjour de Jotunheim, lui réduisant le crâne en miettes au premier coup qu'il lui asséna et l'envoyant directement tout en bas, sous Niflheim.

     

    Gylfaginning, asgard, hrimthurs

    Thor arriva promptement... A. Peacock

     

    Mais Loki avait eu de telles relations avec Svadilfari que quelque temps plus tard, il donna naissance à un poulain, gris de poil et à huit jambes. Et ce cheval est le meilleur chez les dieux et chez les hommes. Voilà ce qui en est dit dans la Voluspa :

    "Alors les dieux siégèrent dans la salle du jugement,
    Les divinités suprêmes se consultèrent :
    Qui avait empli l'air de venin
    Et promis aux géants l'épouse d'Odr ?

    Rompues furent les promesses, brisés les vœux et les serments,
    Les solennels accords conclus entre eux.
    Seul Thor combattit, gonflé de colère
    -Il reste rarement assis quand il apprend de telles choses-"

     

    XLIII- Gangleri reprit : "- Qu'y a-t-il à dire de Skidbladnir, qui est le meilleur des navires ? N'y a-t-il pas d'autre vaisseau de même taille ?"

    Très-Haut répliqua : "- Skidbladnir est bien le meilleur des vaisseaux, et fabriqué avec l'art le plus ingénieux. Mais Naglfar est le plus grand des bateaux, que possède Muspell. Des nains fils d'Ivaldi construisirent Skidbladnir et le donnèrent à Freyr. Il est si grand que tous les Ases peuvent prendre place à bord, avec leur équipement et leur armement. Il bénéficie d'un vent favorable dès que la voile est hissée, quelle que soit la direction qu'il doive prendre. Mais lorsqu'il n'y a pas lieu de prendre la mer avec lui, il est fait de tant d'éléments et avec tant d'habileté qu'il peut être replié comme une serviette et mis dans une poche."

     

    XLIV- Gangleri remarqua : "- Skidbladnir est un bon navire, et on a dû utiliser une grande magie pour le fabriquer ainsi. Thor a-t-il jamais fait une expérience de cette sorte, de croiser sur son chemin quelque chose de si fort ou de si puissant qu'il en ait été vaincu par le pouvoir de la magie ?"

    Très-Haut répondit : "- Ils sont peu nombreux, je pense, ceux qui pourraient te narrer de tels événements. Cependant, bien des épreuves lui ont semblé difficiles à surmonter. Bien qu'il ait pu exister quelque chose ou quelqu'un de si puissant ou résistant que Thor n'ait pu surpasser en remportant la victoire, il n'est pas nécessaire d'en parler, parce qu'il y a tant d'exemples pour démontrer, et auxquels tous sont tenus d'ajouter foi, que Thor est le plus puissant."

    Gangleri reprit : "- Il me semble que j'ai posé une question sur un sujet dont nul n'est en mesure de parler."

    Egal du Très-Haut prit la parole : "- Nous avons entendu des ouï-dires là-dessus, qui nous semblent incroyables, mais siège tout près d'ici quelqu'un qui saura t'en narrer les véritables détails. Il te faudra donc le croire puisqu'il ne mentira pas pour la première fois aujourd'hui, lui qui n'a jamais menti auparavant."

    Gangleri dit : "- Je resterai donc ici et j'écouterai vos réponses. Si aucune n'est apportée, je vous déclarerai vaincus."

    Troisième parla alors : "- Il est à présent évident qu'il est résolu à savoir ce qu'il en est, bien que ce récit ne nous soit pas agréable à raconter. Voici le début de cette histoire: Aka-Thor partit un jour avec son char et ses boucs, et cet ase nommé Loki.

     

    Gylfaginning, thor, loki

     

    Dans la soirée, ils arrivèrent chez un paysan, dont ils reçurent le logis, et un peu plus tard, Thor prit ses boucs et les abattit tous deux, après quoi ils furent écorchés et mis au chaudron. Lorsque le repas fut prêt, Thor et son compagnon s'assirent pour le souper. Thor invita le paysan et sa femme au repas, ainsi que leurs enfants : le fils du paysan s'appelait Thjalfi et sa fille Roskva. Après quoi Thor étala les peaux de ses boucs plus loin du feu et demanda au paysan et à ses gens de jeter les os dessus. Thjalfi, le fils du paysan, tenait un os de cuisse, et le fendit avec son couteau puis le brisa pour en extraire la moelle. 
    Thor passa la nuit là. Et juste avant l'aube, il se leva, se vêtit lui même, prit le marteau Mjöllnir, le brandit vers le ciel et sanctifia les peaux des boucs. Aussitôt, les boucs se relevèrent, et l'un d'entre eux était boiteux d'une patte arrière. Thor s'en aperçut, et déclara que le fermier ou sa maisonnée n'en avaient pas usé prudemment avec les os des boucs : il fit savoir que l'os de la cuisse était brisé. Il n'est nul besoin d'en faire une longue histoire à présent ; chacun peut se rendre compte du degré de frayeur du paysan lorsqu'il vit Thor froncer grandement les sourcils devant ses yeux. Mais lorsqu'il regarda les yeux eux-mêmes, il lui sembla que leur regard à lui seul pouvait le faire tomber. Thor serrait les mains autour du manche du marteau si fort que ses jointures blanchirent. Et le paysan et toute sa famille se comportèrent comme il fallait s'y attendre : ils hurlèrent, supplièrent pour la paix, offrirent tout ce qu'ils possédaient en récompense. Mais lorsque Thor vit leur terreur, la fureur le quitta, et il s'apaisa, et accepta leurs enfants en dédommagement, Thjalfi et Roskva, qui devinrent ainsi ses serviteurs, et le suivent toujours depuis. 

     

    Gylfaginning

      

    1 : le déjeuner : principal repas de la journée, ponctuée d'un frugal petit déjeuner au lever puis d'un déjeuner quelques heures plus tard. On en déduit que les champions passent quand même pas mal de temps à table.

    2 : dans les Vafthrudnismal

    3 : dans les Grimnismal

     

     Gylfaginning                                                                                                                                                             Gylfaginning


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  •   Sagas islandaises. Régis Boyer.

    La Saga d'Egil Skallagrimson

     

    Saga d’Egill fils de Grimr le chauve

     

    La Saga d'Egill Skallagrimsson

     Egill. Manuscrit du XVIIème siècle.

     

    Egil Saga (album Licht), par Faun.

     

    L’"Egla" est un texte long et dense, pouvant relever à la fois des sagas royales ou des sagas islandaises.

    Il s’agirait d’une des premières sagas rédigées en Islande, et c’est sans doute la plus fameuse, celle sur laquelle les récits postérieurs (à 1230) ont pris modèle : elle présente la structure typique de ce genre littéraire, et déjà toutes ses caractéristiques, brièveté de la narration, économie de mots, énumération des généalogies, distance du narrateur avec le récit… Coup d’essai, peut-être, coup de maître, assurément. Car les spécialistes soupçonnent que l’auteur en serait Snorri Sturluson, puisque comme nombre de sagas, on n’en connaît pas précisément le rédacteur. Il est cependant à noter qu’au Moyen-âge, l’art de l’écriture ne consistait pas, le plus souvent, à inventer une histoire et à la rédiger ex nihilo. Comme les autres sagas, celle d’Egill fils de Grimr le chauve est probablement une compilation de textes ou de récits plus anciens, liés par le talent de l’auteur qui de pièces et fragments disparates composait une mosaïque cohérente, le tout sur fond de faits historiques. Le fait que l’auteur, disons Snorri, ait réinventé certains passages à partir de la tradition orale, d’anciens textes ou de poèmes (et on sait l’importance qu’il accordait aux témoignages poétiques. Voir la préface de l’Heimskringla) qu’il connaissait a peu d’importance. Qu’il ait pu broder certains détails à partir de la mémoire des Islandais ou composé lui-même certaines vithur non plus. Le récit est impeccablement tissé pour mettre en valeur les trois personnages principaux : Ulfr, le grand-père, Grimr, le père, et Egill, le fils, ascendants de Snorri par sa mère, propriétaires du lieu où l’écrivain passa une partie de sa vie (Borg) et tous trois très remarquables par leur force physique, leur laideur, leur caractère bien trempé et leur talent scaldique (surtout Egill, tenu pour l'un des scaldes les plus talentueux de tous les temps). Ainsi que par la puissance de leur hamr : les trois étaient des berserkir notoires (voir l’article «de l’âme des vikings »). Dans la famille Loup, je voudrais...

    L’ensemble de la saga est sous-tendu par trois fils rouges :

    - une vision du monde dominée par le destin et duelle, caractéristique de la mentalité scandinave de l’époque : ordre / chaos, beauté / laideur, droit / non-droit surtout.

    - l’art scaldique est omniprésent dès la naissance d’Egill qui aurait déclamé sa première vitha à l’âge de trois ans, et atteint des sommets avec certains des textes qu’il a composés comme le Sonatorrek (la perte irrémédiable des fils). Est-il nécessaire de rappeler que Snorri était un maître et un théoricien de la poésie scaldique ? Le texte comporte la citation de plus de 900 vers, faisant avec virtuosité et érudition appel à toutes les techniques et images de la scaldique.

    - Le plaisir de conter pour le plaisir de lire, et la vie d’Egill, viking, guerrier, poète de génie, magicien odinique, ennemi personnel d’un roi et d’une reine, s’y prête à merveille, d’autant qu’il était resté dans l’histoire de l’Islande comme un héros sans pareil jusqu’à la rédaction de l’Egla, et bien après.

    Quatre-vingt sept chapitres, des dizaines de personnages, des intrigues entremêlées... En rédiger un résumé relèverait donc de la gageure. La saga relate par le menu les démêlés de la famille d'Egill avec les rois Harald Ier de Norvège et ses fils et successeurs Eirik à la hache sanglante puis dans une moindre mesure, Hakon le bon, sur trois générations, et plus particulièrement les faits et gestes du personnage principal qui lui donne son titre, entre Norvège, Angleterre, nord de l'Allemagne et Islande, où ont fini par partir son père et son grand-père.

     

    Colonisation de l'Islande

    Arrivée des colons en Islande. Oscar Wergeland.

     

    Quelques extraits de l’œuvre (traduction de Régis Boyer) pour illustrer compétences et traits de caractère du héros.

    - Egill magicien : la magie est omniprésente dans le récit, et en recenser tous les passages serait trop long. Alors juste quelques aperçus de la maîtrise du sujet par le héros.

    Egill en voyage est hébergé dans un des domaines du roi Eirikr Hache Sanglante par le tenancier de l’établissement, nommé Bardr. Il est logé dans un bâtiment annexe de la ferme, et on lui donne, pour lui et ses hommes, du pain, du beurre et du skyr (fromage blanc liquide tenant lieu de boisson et d’aliment), en prétendant et en déplorant qu’il n’y ait point de bière. Or, le même soir, le roi Eirikr et sa suite, dont sa femme Gunnhildr, arrivent à la ferme pour un banquet. La bière coule à flots. Gisli s’en rend compte, s’invite au banquet, boit tant et plus sans s’enivrer à en rendre jaloux tous les convives (tenir l’alcool était une grande qualité physique), et fait à Bardr des reproches cinglants pour ses mensonges. Celui-ci, lassé, à l’instigation de la reine Gunnhildr et avec son aide, empoisonne la bière destinée à Egill (chapitre 44).

    "Alors la reine et Bardr mêlèrent du poison à la boisson et la firent servir. Bardr signa la corne1 puis la remit à la servante : elle la porta à Egill en le priant de boire. Egill sortit alors son couteau et se l’enfonça dans la paume. Il prit la corne, grava des runes dessus et y fit couler son sang (voir les Havamal, le Runatal paragraphe 144). Il déclama :

    "Gravons des runes sur la corne,

    Rougissons de sang les signes ;

    Je choisis ces mots pour le bois

    Des racines des oreilles de la bête sauvage ;

    Buvons à loisir la liqueur

    De la serve accorte ;

    Voyons le bien que nous fera

    La bière que Bardr signa. »

    La corne vola en éclats et la boisson se répandit dans la paille."

     

    Autre anecdote, autre forme de magie : le nidh. Après avoir pillé une ferme ennemie, le roi Eirik refusant de reconnaître les droits de sa femme sur les terres de son père, Egill le maudit (chapitre 57) :
    "Egill et ses hommes pillèrent tout le bien sur lequel ils purent mettre la main, puis ils allèrent au bateau. Il ne fallut pas attendre longtemps qu’un vent favorable, venant de la terre, se lève. Ils se préparèrent à mettre à la voile et dès qu’ils furent prêts, Egill monta dans l’île. Il s’empara d’un pieu de noisetier et monta sur un promontoire rocheux orienté vers l’intérieur du pays. Alors il prit une tête de cheval et l’empala sur le piquet. Puis il récita le formulaire et parla ainsi : « J’érige ici un piquet d’infamie et le tourne contre le roi Eirikr et la reine Gunnhildr (il tourna la tête de cheval vers l’intérieur du pays), je tourne ce nidh contre les esprits tutélaires qui habitent ce pays afin qu’ils s’égarent tous et que nul ne s’y retrouve avant qu’ils n’aient chassé du pays le roi Eirikr et la reine Gunnhildr ». Puis il enfonça le piquet dans une fente du rocher et l’y laissa. Il tourna aussi la tête vers l’intérieur du pays et grava des runes sur le piquet, et il récita ce formulaire. Après cela, Egill alla sur le bateau. Ils mirent à la voile et prirent la haute mer."

    Un an plus tard, Eirik et sa femme étaient obligés de fuir le pays lors de l'arrivée d'Hakon en Norvège (voir la saga d'Hakon le Bon), et Eirikr tomba peu après lors d'une expédition viking.

     

    Egill, le nid

     Egill maudit Eirik à la Hache Sanglante et son épouse Gunnhild. Roger Raupp.

     

    Egill skallagrimsson, le nid 

    Egill pratique le nidh. Louis Moe.

     

    C'est de la magie "noire", mais Egill pratiquait aussi la magie "blanche".

    Lors de son voyage au Vermaland, bien reçu par un bondi nommé Thorfinnr, il voit dans sa halle une femme allongée, et bien malade (chapitre 72) :

    "Thorfinnr dit qu'elle s'appelait Helga et que c'était sa fille, "il y a longtemps qu'elle est souffrante", et que c'était une longue maladie ; elle passait toutes ses nuits sans dormir, c'était comme si elle avait perdu l'esprit. "- A-t-on cherché à voir de quoi elle souffre ?" dit Egill. Thorfinnr dit "- Il y a eu des runes gravées et celui qui l'a fait est le fils d'un bondi, pas loin d'ici ; depuis, c'est bien pis qu'avant. T'entends-tu, Egill, à faire quelque chose contre un tel mal ?." Egill dit : "- Il se peut que si j'interviens, ça ne fasse pas de mal." Lorsqu'il eut mangé, Egill alla à l'endroit où gisait la femme et parla avec elle. Il demanda qu'on la soulève de son lit et qu'on lui mette des draps propres. Ce qu'on fit. Puis il fouilla le lit dans lequel elle avait reposé et trouva un morceau de ski sur lequel il y avait des runes. Egill les lut, puis il les rabota et jeta les copeaux dans le feu. Il brûla tout le ski et fit mettre à l'air les draps qu'elle avait eus. Alors il déclama :

    "Point ne faut graver de runes

    Si l'on ne sait les interpréter,

    A maint homme il arrivé

    Que noir bâton gravé l'égare ;

    J'ai vu sur la planche taillée

    Des lettres secrètes gravées,

    Voilà ce qui longtemps a causé

    Lourd dol au tilleul des oignons2."

    Egill grava des runes et les mit sous l'oreiller de la couche où elle reposait. Elle eut l'impression de se réveiller de son sommeil et dit qu'elle était guérie, mais qu'elle n'avait pas beaucoup de forces tout de même, et son père et sa mère furent dans une grande liesse." (Cet épisode est le sujet de la chanson de Faun ci-dessus).

     

    - Egill poète : c'est une composante majeure de son personnage. D'aucuns pensent même que la saga a été rédigée comme écrin pour ses stances, en particulier ses trois morceaux de bravoure : le Sonatorrek, l'Arinbjarnarkvitha (le lai d'Arinbjorn, son meilleur ami), et le Hofudlausn (la rançon de la tête : composé en quelques heures à la gloire du roi Eirik en échange de sa vie).

    Après la mort de son frère Thorolfr au service du roi d’Angleterre Edelstein (Athelstan), auquel Egill a fait comprendre à l’aide d’un éloquent jeu de sourcils qu’il apprécierait un dédommagement sonnant et trébuchant pour cette perte, le roi lui octroie un de ses bracelets d’or au bout de son épée, qu’Egill récupère de même. Alors Egill déclame, lui qui aime les richesses (chapitre 55) :

    «Le Hödr  à la broigne fit prendre pour moi

    Le lacet hurlant enserrant

    La potence du faucon ;

    Je sus passer l’anneau de la poutre

    De l’écu sur la potence

    De la tempête de la lance,

    Le pourvoyeur du faucon de la bataille

    M’a conféré un honneur. »

     

    Egill Skallagrimsson et Athelstan

    Egill récupère de l'épée le bracelet que lui tend le roi d'Angleterre Athelstan.

     

    Le point de vue du marin :

    « Le vent contraire déchaîné

    Cisèle sans cesse de sa lime

    L’étrave sur la mer lisse

    Pour le guerrier.

    Mais la tempête glacée

    Lime rudement les vagues

    De sa râpe contre l’avant

    Du bateau à la proue. »

     

    Après un combat singulier, contre Ljotr le blême, autre berserker, lors duquel il combat à la place de Fridgeirr de manière à ce que Ljotr n'épouse pas sa sœur de force (chapitre 64) :

    "Tomba le pourvoyeur du loup

    Qui fit du mal à la plupart ;

    Le scalde trancha la jambe de Ljötr ;

    J’ai accordé paix à Fridgeirr ;

    Point ne désire récompense

    Du briseur de la flamme de la mer ;

    J’ai pris grand plaisir à en découdre

    Dans le fracas des lances avec le Blême".

    Suite à quoi, lui qui aime tant les biens matériels, laisse le bénéfice des dépouilles du vaincu à Fridgeirr. Lorsque Egill parle de lui-même, il s’enorgueillit d’être « le scalde ». 

     

    La Saga d'Egill Skallagrimsson

    Egill en holmganga, combat singulier ritualisé. J. Flintoe

     

    - Egill guerrier

    Lors d'un autre combat singulier, pour des raisons légales celui-ci, contre Atli, afin de savoir lequel des deux aurait la possession de l'héritage d'Asgerd, épouse d'Egill (chapitre 65) :

    "Lorsqu'ils furent prêts pour le duel, ils bondirent l'un contre l'autre et jetèrent d'abord leur lance : ni l'une ni l'autre ne se fixa dans un bouclier, toutes les deux se fichèrent dans le sol. Ensuite, ils empoignèrent tous deux leurs épées, s'attaquèrent ferme, et échangèrent des horions. Atli ne recula pas. Ils frappaient à coups rudes et redoublés et se détruisirent l'un et l'autre rapidement leurs écus. Comme le bouclier d'Atli était fort abîmé, il le jeta, prit son épée à deux mains et frappa furieusement. Egill lui asséna un coup sur l'épaule, mais l'épée ne mordit pas. Il asséna un deuxième, puis un troisième coup. Il lui était facile de chercher un endroit où frapper Atli, puisque celui-ci n'avait pas de protection. Egill brandit son épée Dragvandill de toutes ses forces, mais elle ne mordait pas, où qu'elle arrive. Egill vit alors qu'il ne servirait à rien d'en rester là, son bouclier ayant été rendu inutilisable. Alors il lâcha son épée et son bouclier, bondit sur Atli et s'empara de lui. On reconnut alors la différence de force. Atli tomba à la renverse, mais Egill se pencha vers le sol et lui arracha la gorge d'un coup de dents : Atli y laissa la vie." 

    Voyant que les armes normales n'ont aucun effet sur Atli, assurément protégé par magie, Egill ne lésine pas sur les moyens à employer. Après tout, son grand-père se prénommait Loup.

    Plus tard, au cours d'une expédition en Vermaland (chapitre 75), Egill et ses trois compagnons tombent dans une embuscade :

    "Lorsqu'ils arrivèrent à la crête, il y avait des arbres en dessous, mais rien en remontant. Parvenus en haut, sept hommes sortirent de la forêt et montèrent la pente en leur courant sus et en leur lançant des traits. Egill et les siens firent face, se tenant côte à côte en travers du chemin. Alors d'autres hommes descendirent vers eux depuis un rocher, leur jetant des pierres depuis là, ce qui les mettait bien plus en péril. Egill dit alors : "- Vous allez maintenant reculer sur la pente en vous protégeant comme vous pourrez, et moi, je vais escalader le rocher." c'est ce qu'ils firent. Quand Egill sortit de la pente, huit hommes se trouvaient là qui marchèrent tous en même temps sur lui et l'attaquèrent. Il n'y a rien à raconter de leurs échanges de horions : pour finir, il les abattit tous. Puis il avança sur le rocher et jeta des pierres en bas. Trois Vermalandais y restèrent, mais quatre parvinrent dans la forêt, ils furent blessés et molestés."

    Il n'y a rien à raconter de leurs échanges de horions... Il en tue quand même huit ! 

     

    Pour plus d'aventures, de magie, de vengeances, de politique, d'émotion aussi, il est vivement conseillé de lire le texte intégral de cette saga, bien qu'Egill ne soit pas un personnage attachant, pas plus que son père Grimr ou son grand-père Ulfr. Il est violent et cassant, procédurier, entêté, cupide et cruel, impitoyable pour ses ennemis, mais aussi homme d'honneur, généreux, fidèle en amour, loyal en amitié, très émouvant dans l'expression de son chagrin lors de la mort de son fils Bodvar. Ils étaient néanmoins tous les trois diablement "söguligr" : dignes d'être racontés, de faire l'objet d'une saga.

    Enfin, Egill était probablement atteint de la maladie osseuse de Paget, de même que ses ascendants, décrits comme lui d'une taille et d'une laideur inhabituelles (déformations osseuses, en particulier du crâne, qui a résisté à un coup de hache, et des os de la face), alors que les autres membres de la famille étaient réputés remarquablement beaux. La saga nous raconte en outre qu'il devint sourd, aveugle, souffrait de froideur des extrémités (troubles vasculaires) et était sujet à des troubles nerveux et comportementaux (absences, léthargie, migraines, accès de violence).

    Et si ça vous tente, son trésor (deux coffres emplis d'or et d'argent, donnés par le roi Athelstan), qu'il a caché dans une crevasse rocheuse en Islande, reste, semble-t-il, à découvrir...

     

    1   du signe du marteau de Thor, rite très ancien de sacralisation censé favoriser la prise d’effet de la magie et des toxiques.

    2 : tilleul des oignons : la femme.

     

    viking                                                                                                                                                                                                 viking


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